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Au-delà de votre processus de sélection ISR, avez-vous élaboré une politique de vote pour influencer les sociétés dans lesquelles vous investissez dans l’adoption des meilleures pratiques en matière ESG…
Nous avons une politique de vote formalisée depuis 2013. Elle est la suite logique de notre engagement dans les Principes d’Investissement Responsable des Nations Unies signées en 2011 : le deuxième grand principe étant relatif à l’engagement et à la responsabilité actionnariale.
Cette politique de vote a gagné en ampleur au fil du temps. L’acquisition d’une certaine expérience et maturité nous a permis d’être plus actif dans le domaine.

Quelle a été l’évolution du comité de vote mis en place ?

En 2013, le comité de vote mis en place en vue de définir cette politique de vote réunissait essentiellement au-delà du Responsable de la stratégie ISR de DPAM, les principaux responsables de la gestion actions ainsi que les responsables juridiques. En 2014, trois experts externes ont rejoint le comité : un expert de la gouvernance dans le secteur des assurances, une juriste travaillant au sein d’un cabinet d’avocats de renommée internationale et l’ancien secrétaire général d’un groupe financier. La Présidence de ce comité est actuellement assurée par ce dernier et démontre de l’importance accordée aux experts externes dans notre démarche.

Pour quelles raisons avez-vous fait appel à ces experts externes ?

En premier lieu, pour leur connaissance et expertise dans le domaine de la gouvernance d’entreprise. Par ailleurs, leur présence nous permet de nous parer de tout conflit d’intérêts lorsque nous votons au nom et pour le compte des SICAV ou des mandats que nous gérons.
Il peut s’avérer que l’entreprise pour laquelle nous allons voter soit cliente de DPAM ou qu'elle ait des relations avec le groupe auquel nous appartenons. Nous sommes alors en mesure de traiter les questions épineuses avec plus d’objectivité.

Cette politique de vote s’articule autour de quatre points principaux…

Ces points sont la transparence de l’information ; la composition du Conseil d’administration (équilibrée, diversifiée, membres compétents…) ; la défense des actionnaires minoritaires ; la prise en compte des aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Dans certaines circonstances, vous avez choisi d’informer systématiquement les sociétés sur la direction de vos instructions de vote avant le déroulement des Assemblées ?

A partir de 2015, nous avons décidé à l’image de ce que faisait le fonds souverain norvégien, qui constitue une référence dans le domaine de l’investissement socialement responsable et de l’engagement, d’informer systématiquement le management des sociétés de la direction de nos instructions, préalablement aux assemblées générales.
Ces alertes concernent cinq grands sujets spécifiques : transparence de l’information, séparation du rôle de CEO et du Président du Conseil d’administration, existence de mécanismes anti-OPA, défense du principe : une action=un vote=un dividende, rémunération des fonctions exécutives.
Dans tous ces cas de figure, une lettre est systématiquement envoyée aux sociétés pour leur indiquer dans quel sens nous envisagions de voter et quelles pratiques nous souhaitions voir modifier afin de voter le cas échéant dans un sens différent.
En 2019, nous avons été amenés à envoyer près de 80 lettres.

Quel est le comportement des entreprises destinatrices de ces lettres ?

Ce comportement a évolué avec le temps. Elles sont désormais plus enclines à répondre. Certaines anticipent même via des agences spécialisées en nous contactant spontanément pour savoir comment nous envisageons de voter.
Il y a très peu de points purement ESG soulevés lors des assemblées générales…
Nous nous exprimons sur plus de 8000 résolutions tous les ans en Europe et en Amérique du Nord. Environ 2% de ces résolutions concernent des points liés à l’environnement, le social, la gouvernance telle que la stratégie de changement climatique. Les autres résolutions concernent des questions plus traditionnelles : approbation des comptes, nomination des administrateurs, paiement du dividende, augmentation du capital…

Comment l’expliquez-vous ?

Ce ne sont pas des points apportés par le management aux assemblées. Il faut que les actionnaires prennent l’initiative d’inscrire ces thèmes à l’ordre du jour des résolutions.

Le faites-vous ?

Actuellement nous ne le faisons pas, notamment suite aux exigences locales de chaque marché en Europe.
Les législations sont divergentes sur la possibilité pour les actionnaires minoritaires d’inscrire des résolutions à l’ordre du jour des assemblées générales. La complexité administrative et procédurale est plus ou moins dense suivant les pays dans lesquels sont implantées les sociétés. Du temps est requis.
Notre ambition est clairement de monter en puissance sur ce front.

Vous arrive-t-il de voter sur des résolutions qui concernent les sociétés de pays émergents ?

Nous votons encore peu sur les positions que nous avons en Asie car nous considérons que les recommandations des agences de notation avec lesquelles nous travaillons sont encore fort biaisées par un modèle d’entreprise occidental alors que c’est une toute autre culture d’entreprise qui nécessite un certain recul dans l’appréciation qui là aussi requière du temps.

Quel est le pourcentage de vote contraire aux résolutions proposées ?

Entre 10% et 13%. Cela pourrait sembler peu. Cependant nous préférons être dans une démarche constructive de dialogue avec les entreprises pour comprendre les finalités d’une résolution qui de prime abord parait problématique.
Nous votons systématiquement contre des résolutions qui ont trait à certains sujets comme la proposition d’un mécanisme anti-OPA.
Pour certaines questions, nous nous efforçons de faire preuve de plus de flexibilité. Par exemple, pour ce qui est de la nomination des administrateurs. Il est requis par la réglementation en Belgique d’avoir le CV dans les deux langues nationales pour valider une telle nomination. Nous nous refusons de voter dans un sens négatif si le candidat nous parait approprié pour la seule raison que son CV nous a été envoyé en une seule langue.
De même, une rémunération des administrateurs indépendants sous forme de stock options n’est pas nécessairement une proposition rejetable en fonction des circonstances spécifiques. Ainsi, dans le cadre d’une biotech en plein lancement, une telle rémunération peut s’imposer si la génération de cash est importante pour le développement de l’activité et que la rémunération sous forme de liquidités n’est pas suffisamment concurrentielle.
Nous faisons en sorte d’avoir une fine analyse de manière à avoir une évaluation adaptée.

Au-delà du vote lors des assemblées générales, quelles formes prend votre politique d’engagement ISR auprès des sociétés dans lesquelles vous investissez ?

Avec certaines sociétés nous nous engageons de manière très formelle avec une lettre dans laquelle nous énumérons les points qui nous posent problèmes et nous demandons à avoir plus de clarté à leur propos.
Nous rencontrons le management des sociétés avant ou pendant que nous sommes investisseurs.
Ces moments de rencontre constituent autant d’occasions d’aborder les sujets ESG et de sensibiliser sur les points qui nous semblent clés. Nous les incitons à communiquer davantage sur ce qu’ils font.

Avez-vous des discussions dans une approche collective ?

Nous avons effectivement un engagement collaboratif avec d’autres investisseurs. Signataires des PRI depuis 2011, nous avons accès à leur plateforme qui s’appelle Clearing House. En fonction des sujets et des priorités nous n’hésitons pas à rejoindre certaines initiatives, par exemple sur la présomption de corruption ou l’approvisionnement responsable du cobalt. Nous sommes investis dans plusieurs sociétés technologiques qui ont besoin de cobalt et autres minerais pour développer leur activité.
Signataires de l’initiative Climate Action 100+, nous participons à un engagement avec plusieurs sociétés dans les secteurs de la consommation, de l’industrie lourde, et des matériaux sur la question du changement climatique.

De quelle manière se déroulent ces engagements collaboratifs ?

Il y a, tout d’abord, des calls préparatoires entre les différents investisseurs qui participent à l’initiative. Un accord est recherché sur les problématiques à soulever et sur les résultats souhaités.
Ensuite, soit le leader de l’initiative prend directement contact avec la société, soit un courrier est rédigé en commun, suivi d’une réunion ou d’une conférence téléphonique. En fonction des réponses apportées, chacun des investisseurs prend position sur le maintien de son exposition à la société.

Aujourd’hui, vous êtes en train de revoir votre politique de vote et d’engagement au regard de la directive européenne sur les droits des actionnaires II. Quelles sont les implications de cette nouvelle réglementation ?
Cette directive est assez large dans son impact. Est notamment prévue dans cette directive un devoir de voter. Les sociétés qui n’ont pas de politique de vote doivent pouvoir le justifier.
Qui plus est, la responsabilité est renforcée en ce qui concerne le suivi de la transmission des instructions données aux agences d’aide au vote.
Notre politique devrait être entièrement révisée en fin d’année pour y être totalement conforme dans la perspective de la prochaine saison des assemblées générales en 2020.

Un dernier mot au sujet de cette politique d’engagement ?

Il est à préciser que la gestion et la recherche sont intégrées dans la politique de vote et d’engagement. Dès que nous avons une recommandation de vote de la société différente de notre politique de vote active, nous recevons une alerte en ce sens et nous impliquons les gérants et les analystes sur le sujet pour déterminer s’il y a lieu de changer notre instruction de vote.
Cela étant pour des raisons de conflit d’intérêt, les gérants et analystes ne votent pas directement.
Lors des rencontres avec le management des sociétés, nous faisons en sorte qu’un membre de l’équipe ESG et les analystes et gérants rencontrent ensemble à la fois le Responsable du développement durable, le Responsable des relations investisseurs et le CEO.

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