Evolution récente des parts de marchés des principaux vendeurs de smartphones (Source IDC - Cliquer pour agrandir)
Du rapport entre Huawei et le minerai de fer
Désormais, tout le monde a bien compris qu'Huawei est un acteur majeur de l'avenir des télécommunications. C'est à partir de ce moment que Bernstein va nous faire doucement glisser vers le secteur minier. Voyant son poulain fragilisé – il cristallise à lui seul une bonne partie des griefs américains - Pékin a dégainé la menace d'une fermeture du robinet des terres rares. "Les terres rares sont un segment presque insignifiant de l'écosystème de l'industrie minière, tandis qu'Huawei est une entreprise technologique dominante à l'échelle mondiale. Pourtant, les représailles sont perçues par beaucoup comme étant d'une ampleur égale", poursuit Paul Gait.
Comment expliquer la dissymétrie apparente ? Gait prend pour exemple le marché du minerai de fer. Depuis trente ans, la Chine essaie de bâtir, sans réel succès, sa propre industrie du fer. Malgré l'appui politique et financier de l'Etat, des normes environnementales à géométrie variable et une main d'oeuvre abondante et mal rémunérée, la production recule et n'est pas en mesure de concurrencer les importations des grandes compagnies, car ses coûts sont largement plus élevés ("même la moins rentable des mines australiennes est plus productive que la moyenne des mines chinoises"). Pour l'équipe de recherche de Bernstein, la raison en est évidente : "contrairement aux technologies de l'information, soit vous avez une bonne géologie, soit vous n'en avez pas, et la productivité de l'industrie minière d'un pays est fonction de sa dotation géologique… le fait d'être propriétaire d'une géologie de qualité supérieure n'est pas reproductible". La Chine n'est pas seule dans ce cas : le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, le Japon et les États-Unis sont incapables de concurrencer l'Australie et le Brésil. Contrairement au secteur technologique, les barrières à l'entrée du compartiment minier sont quasiment insurmontables. Pas de Rio Tinto chinois donc.
En Australie-Occidentale, le système intégré de BHP comprend 7 mines, 2 ports et plus de 1 000 kilomètres de voies ferrées (Source BHP)
Mais où veulent en venir les analystes de Sanford Bernstein ? A la revanche du secteur primaire et à son importance pour celui des produits finis. Paradoxalement, "l'exploitation minière continue d'être valorisée sur la base de multiples punitifs", regrette Paul Gait, qui pense que le fossé prétendu entre la nouvelle et l'ancienne économie est au final fallacieux. Il l'est d'autant plus que les performances financières entre Rio Tinto, BHP, Vale d'un côté et Apple de l'autre ne sont pas forcément en faveur de l'Américain : si son ROCE est plus élevé, les marges d'Ebitda et d'Ebit des groupes miniers sont supérieures à celles de la marque à la pomme.
L'équipe de recherche de Bernstein prêche un peu pour sa paroisse. D'ailleurs, les "implications d'investissement" en pied d'étude se résument en trois mots : "Buy Rio Tinto". Mais son éclairage sur la dépendance du secteur des produits finis au secteur primaire est très intéressant, surtout lorsqu'il est mis en perspective avec la problématique des terres rares, une niche de la spécialité minière mais une niche à gros enjeux, pour laquelle la Chine dispose d'une "dotation géologique de qualité supérieure", pour reprendre les termes de l'analyse. Pékin profite ainsi de barrières à l'entrée considérables, comme l'explique Jordan Dufee dans l'excellent état des lieux qu'il a dressé il y a quelques jours sur la problématique des terres rares (je prêche aussi pour ma paroisse).