Electricité de France a été introduite en bourse au début de l'année 2006, à un cours de 32 EUR par action pour les particuliers et de 33 EUR pour les professionnels. Actuellement, l'action cote 8,20 EUR, après une chute de 21% sur la seule séance du jour, consécutive à une double lame d'actualité. D'un côté, le gouvernement a décidé de plafonner la hausse des prix réglementés pendant l'année entière (nous ne sommes pas encore à la mi-janvier), de l'autre l'énergéticien a revu en baisse marquée sa prévision de production d'énergie nucléaire pour l'année prochaine à cause de problèmes détectés sur plusieurs réacteurs, qui nécessitent des investigations additionnelles. Entre le manque à gagner sur les prix de l'énergie et la sous-utilisation du parc, il n'y a aucune difficulté à imaginer dans quel état les comptes de l'entreprise vont se retrouver.

Cette situation complique encore une équation déjà quasiment insoluble pour le groupe qui peine à mettre ses investissements au niveau des enjeux sociétaux. En d'autres termes, il y aura encore moins de ressources pour alimenter la transition énergétique, l'évolution du parc nucléaire, les exigences de démantèlement, etc. L'entrée en bourse d'EDF avait permis en son temps de participer au financement du plan de développement du groupe, dans un contexte de dérégulation. C'est en tout cas ce qui avait été vendu à l'époque. Avec succès, puisque je rappelle à ceux qui, comme mes stagiaires, étaient scolarisés entre la maternelle et le primaire à l'époque, EDF a été la première capitalisation boursière de France devant Total en 2007 (hors prises en compte du flottant). Sans vouloir faire du mal à mon tonton Jacques, salarié-actionnaire de la première heure, EDF pesait à l'époque plus lourd qu'Apple en bourse. Ça pique un peu.

Cruauté gratuite

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Trop d'enjeux contradictoires

Le problème d'EDF, c'est que c'est un animal politique en charge d'un service public essentiel au cœur d'une controverse technologico-dogmatique à l'heure de la transition énergétique post-dérégulation. Dit autrement, l'entreprise est à la merci des choix de l'exécutif français. Elle opère dans un domaine extrêmement sensible pour le portefeuille des électeurs citoyens. Elle dispose d'une technologie dominante, le nucléaire, parmi les plus clivantes. Et se retrouve à gérer de nouvelles contraintes et une transformation à l'heure où ses finances sont à marée basse. J'ajoute à cela qu'EDF cristallise quelques contradictions. Comme par exemple le fait que nous voulons de l'énergie verte mais pas chère. Ou que le gouvernement cherche à accroître la capacité d'investissement du groupe tout en lui coupant les vivres pour limiter les hausses tarifaires.

L'essence d'une cotation en bourse est de lever des fonds pour financer des projets. Des actionnaires individuels et institutionnels seraient-ils prêts à participer à une levée de fonds pour le champion du nucléaire en 2022 ? Franchement, je ne vois pas qui irait se fourrer dans une telle galère. Les recapitalisations précédentes, qui ont contribué à ramener l'Etat au-dessus de 80% du capital, ont surtout servi à éponger le passé. Je ne nie pas les efforts de modernisation, surtout à l'échelle d'une maison de cette taille, mais ils semblent bien trop minces pour convaincre des investisseurs de mettre au pot dans un projet qui sera, de toute façon, chaperonné par un Etat français dont la stratégie énergétique n'offre aucune visibilité sur le long terme.

Pour toutes ces raisons et d'autres que je ne détaillerai pas pour ne pas ouvrir un millier d'autres débats, il me semble qu'EDF n'a pas besoin d'étaler ses problèmes au vu et au su de tout le monde en bourse. La réforme de l'énergie dont le pays a besoin gagnerait en sérénité. Reste à gérer le problème du rachat des minoritaires qui seront nécessairement froissés des conditions proposées, même avec une belle prime sur les cours du jour. Le prix de 20 EUR qui avait été évoqué voilà quelques mois lors de la précédente vague de rumeur de retrait de la cote est déjà très loin.