L’essentiel :

  • En France, l’INSEE considère qu’une économie entre dans une phase de récession lorsque le taux de croissance trimestriel du PIB se replie pendant deux trimestres consécutifs
  • Selon l’OCDE qui a une influence internationale, la seule mesure du PIB n’est pas suffisante pour identifier le début d’une récession. L'organisation se base plutôt sur l’écart de production, une mesure que l’on prendra le temps d’expliquer
  • Aux Etats-Unis, c’est le National Bureau of Economic Research (NBER), qui déclare officiellement les récessions. Tout comme l’OCDE, le bureau estime que la seule mesure du PIB n’est pas suffisante. Il se base sur un bien plus grand nombre d’indicateurs que nous allons découvrir.
  • Si l’on s’en tient à l’ensemble des définitions des acteurs mentionnées ci-dessus (INSEE, OCDE, NBER), ni les Etats-Unis, ni la zone Euro n’ont entamé leur phase de récession, qui je le rappelle, fait partie intégrante des cycles longs et semble donc inévitable.
production réelle
Cycle long économique

La récession selon l’INSEE

Pour l’INSEE, qui a la charge du calcul du PIB en France, un pays entre en récession lorsque ladite mesure de son activité économique se replie pendant deux trimestres consécutifs. Par cette définition, on comprend alors pourquoi il est si important de suivre les publications trimestrielles émises par l’institut national de la statistique plutôt que les chiffres annuels.

Soyons maintenant un peu plus précis sur la notion de repli. Une croissance du PIB inférieure à la croissance potentielle ou historique peut-elle être considérée comme un repli ou parle-t-on de repli uniquement lorsque le taux de croissance du PIB est négatif (-0.2% par exemple) ? La deuxième option semble être celle qui prime au vu de la définition du terme repli. Contraction semblerait plus adaptée dans le premier cas. En réalité c’est surtout qu’on peut très bien constater sur deux trimestres consécutifs un taux de croissance négatif sans pour autant que le taux de croissance annuel le soit.

PIB trimestriel insee t1
Evolution du taux de croissance trimestriel du PIB (FRANCE). Source : INSEE

Cela vous parait peut-être idiot mais ça ne l’est pas tant. Pour certains, une récession économique prend place lorsque le taux de croissance diminue tout en restant positif pendant deux ou trois trimestres consécutifs. On retrouve cette idée dans les critères que l’OCDE considère comme étant révélateurs d’une récession. Il faut alors introduire la notion relativement complexe d’écart de production.

La récession selon l’OCDE

L’écart de production est la différence entre la production réelle et la production potentielle d’une économie. C’est donc une variable non observable puisqu’elle est entourée d’incertitudes. Voyez la production potentielle comme la production maximale (de produits et de services) qu’une économie peut soutenir sans surchauffe. Cette production potentielle peut-être obtenue grâce à la fonction de Cobb-Douglas.

Pour faire simple, cette fonction est une sorte de moyenne pondérée des facteurs de production tels que l’emploi et le capital. L’expression de la fonction (et donc le poids de chacun des facteurs), est le fruit d’un travail économétrique : on récupère les historiques des chiffres de la production sur une période, on sélectionne un ensemble de facteurs qui nous semblent plus ou moins pertinents et on laisse la magie des maths opérer. Une régression multilinéaire avec la méthode des moindres carrées nous permet d’obtenir le poids de chacun de ces facteurs, poids qui sont optimaux dans le sens où ils minimisent l’écart entre la production réelle et la production calculée par le modèle.

Une fois le modèle construit, on est capable de calculer la productivité marginale d’un facteur (appelé aussi intrant). Autrement dit, on peut estimer l’effet de l’augmentation d’une unité de cet intrant sur l’augmentation de la production. Il est donc possible de se faire une idée de la production potentielle d’une zone économique.

Si la production réelle est supérieure à la production potentielle, l’écart de production est de signe positif, il augmente d’ailleurs progressivement en période d’expansion, s’accompagnant alors généralement d’une baisse du taux de chômage et de pressions à la hausse sur les coûts de production, dont les salaires, et d’un effet différé sur l’inflation. Le 11 mars 2021, la BCE citait d’ailleurs dans ses projections macroéconomiques que « en ce qui concerne l’inflation, l’écart de production positif devrait se traduire par des tensions inflationnistes en 2022. »

Les crises économiques s’accompagnent quant à elles d’un élargissement de l’écart de production mais dans le domaine négatif. La production réelle est inférieure à ce qui pourrait être produit à plein régime. Cela traduit une demande trop faible et des capacités non utilisées.

Vous l’aurez compris, l’écart de production est une variable qui se gonfle et se dégonfle (parfois qui s’inverse) et qui accompagne les différents cycles économiques. Quand cet écart se creuse, à la hausse comme à la baisse, ce n’est jamais bon signe. Dans un cas c’est la surchauffe, dans l’autre ça traduit une activité en berne.

Le fait est que l’OCDE se base sur cette mesure (une démarche critiquée à de nombreuses reprises) pour identifier une entrée dans une phase de récession. Une production réelle inférieure d’au moins 1% à la production potentielle durant une année est l’un des critères sur lesquels l’organisation se base pour définir une récession.

Le problème de la mesure de croissance par le PIB

Je profite de cet article pour venir y greffer un ensemble de remarques très intéressantes, que l’on retrouve dans l’article : “Let’s count what really matters” écrit par Jayati Ghosh et publié sur project-syndicate.org le 16 juin 2022.

Dans son papier, Jayati Ghosh partage son opinion sur les limites du PIB. Elle soutient que mesurer la croissance d’une économie seulement par la somme de la valeur ajoutée créée ne permet pas de capter la manière dont les richesses sont distribuées, l’importance des activités sociales, la qualité de vie et surtout la durabilité des différents systèmes à la racine même du fonctionnement de l’économie. Des données qui semblent pourtant cruciales et qui permettent d’ailleurs de comprendre si la croissance du PIB est saine.

Elle cite notamment la période pandémique pour mettre en avant le fait que les services essentiels qui ont permis aux plus grandes nations de sortir la tête de l’eau étaient largement sous-estimées dans le simple calcul du produit intérieur brut. A de nombreuses reprises, elle prend aussi l’exemple de l’Inde qui, d’un regard extérieur et aveuglé par le PIB, semble être une nation en pleine croissance alors que de nombreux éléments révèlent des problèmes majeurs de société (l’accès à la nourriture saine et le marché du travail notamment).

Avec le UN’s High-Level Advisory Board on Economic and Social Affairs dont elle fait partie, elle a relevé le défi de Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies : se mettre sérieusement à travailler pour proposer des mesures alternatives. Parmi-elles, le salaire médian multiplié par le taux d’emploi, l’accès à une diététique saine, un indicateur d’activité (qui permettrait notamment de capturer l’activité des hommes et femmes qui restent à la maison pour s’occuper du foyer) et les émissions de dioxyde de carbone par habitant.

Le concept de récession aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, même si certains considèrent toujours le repli du PIB sur deux trimestres consécutifs comme étant le signal de récession par excellence (comme l’INSEE donc), le National Bureau of Economic Research (NBER), qui déclare officiellement les récessions, soutient que ces critères ne sont plus ceux sur lesquels les acteurs économiques doivent se baser pour identifier un tel évènement. Le bureau estime qu’un nombre plus important de facteurs doivent être pris en compte.

Les récessions se traduisent selon lui par une chute significative de l’activité industrielle, du PIB, du commerce de gros et de détails et une forte hausse du taux de chômage. Le bureau se base pour cela sur des indicateurs macroéconomiques comme l’ISM Purchasing Managers Index, le Conference Board Leading Economic Index, le OECD Composite Leading Indicator (coucou l’OCDE) et l’étude de la courbe de taux. Enfin, les indicateurs réels et retardés permettent de confirmer le passage d’une phase d’expansion à une phase de récession.

Vous noterez qu’une telle méthodologie, ne fixant pas de niveaux ou phénomènes précis, permet à NBER de gagner en souplesse et de s’adapter à chaque potentielle régression et son lot de caractéristiques qui lui sont propres. En revanche, ne pas définir de niveaux rigoureux laisse place à l’interprétation et de nombreux débats peuvent émerger si le bureau n’est pas consistant dans sa démarche.

En février 2020, le NBER a annoncé que l’expansion économique américaine (cycle long) était terminée. Historiquement, l’économie met entre 6 mois à 7 ans pour retrouver son cycle de croissance prospère (vous en conviendrez, les historiques ne nous aident pas trop pour savoir où est le point bas).

Et aujourd’hui on en est où ?

Au jour où j’écris ces lignes, le NBER n’a pas déclaré que l’économie américaine était en récession. Nous sommes donc, selon eux, dans un entre deux sur le cycle long.

Si l’on s’en tient à l’ensemble des définitions mentionnées ci-dessus (INSEE, OCDE, NBER), ni les Etats-Unis, ni la zone Euro n’ont entamé leur phase de récession, qui je le rappelle, fait partie intégrante des cycles long et semble donc inévitable (je vous l’accorde, ça ne nous aide pas trop de savoir ça).

Début juin en France, Bruno Le Maire a déclaré publiquement qu’il écartait le risque de récession sur notre territoire pour l’année 2022. Derrière lui, une batterie d’économistes en soutien et cela en dépit du taux de croissance à -0.2% sur le premier trimestre. Ce conglomérat d’experts table en effet sur une légère progression du PIB à un rythme avoisinant les +0.25% par trimestre, et cela jusqu’à la fin de l’année. Vous en conviendrez, si l’on s’en tient à la définition de l’INSEE, la déclaration d’une entrée en phase de récession nous prend quand même au nez et les économistes jouent avec le feu en assurant que le risque est écarté.