Londres (awp/afp) - Avec une récession qui commence alors que le PIB reste en deçà de son niveau d'avant la pandémie de Covid-19, les inquiétudes s'amoncellent au Royaume-Uni, faisant craindre à certains observateurs que le pays ne redevienne "l'homme malade de l'Europe", comme dans les années 1970.

Selon le FMI, le Royaume-Uni sera la seule grande économie à subir une récession en 2023, avec une contraction de 0,6% du PIB, soit une performance pire qu'en zone euro ou aux Etats-Unis, mais également qu'en Russie, pourtant visée par de nombreuses sanctions internationales.

Les économistes de la Banque d'Angleterre (BoE) tablent eux sur une baisse de 0,5% du PIB en 2023 et estiment qu'une récession de cinq trimestres a débuté en janvier.

"La participation (au marché du travail) n'est pas revenue au même niveau qu'avant la pandémie. Nous ne sommes pas sûrs de la raison, mais c'est un fait. Et le Royaume-Uni dépend énormément du gaz" pour produire son électricité, "bien plus que l'Europe", et a donc été affecté par la guerre en Ukraine, a détaillé le gouverneur adjoint de la BoE Ben Broadbent.

Les prix du gaz se sont envolés dans la foulée de l'invasion russe de l'Ukraine, alimentant l'inflation, qui dépasse 10% depuis des mois, plus qu'en zone euro et aux Etats-Unis.

Les factures d'énergie ont flambé, ce qui met sous pression les entreprises comme les ménages.

La Banque d'Angleterre tente de juguler l'escalade des prix et vient d'aligner sa dixième hausse de taux d'intérêt, pour les porter jeudi à 4%, un record depuis la crise financière. Au risque d'accentuer le recul de la croissance.

Quant au Brexit, sujet politiquement ultra-sensible que la Banque aborde rarement, il a "réduit la capacité de production du pays", et ce plus rapidement que la BoE ne s'y attendait, a reconnu M. Broadbent lors d'une conférence de presse jeudi.

"Les retombées du Brexit continuent", explique à l'AFP Raj Badiani, économiste chez S&P Global Market Intelligence, qui souligne que "les nouvelles règles et régulations pour exporter vers l'UE vont rester une plaie pour les entreprises britanniques à moyen terme".

Chaos politique

"Le Royaume-Uni est en retard sur les trois dernières années, mais il est désormais clair que cette sous-performance est réelle et bien ancrée, pas seulement une divergence temporaire pendant la pandémie", s'alarme pour sa part dans une note Samuel Tombs, de Pantheon Macroeconomics.

Selon lui, les ménages britanniques ont particulièrement peu dépensé en 2022, et "l'instabilité politique de l'année dernière pourrait expliquer une partie de leur prudence".

Après de multiples scandales au sein du gouvernement de Boris Johnson, la nouvelle Première ministre Liz Truss n'aura tenu les rênes du pays qu'un mois et demi, le temps d'annoncer des mesures budgétaires si coûteuses qu'elles ont fait bondir le prix de l'emprunt britannique, obligeant la Banque d'Angleterre à intervenir.

Un épisode peu rassurant pour les emprunteurs immobiliers, qui ont vu le coût de leurs hypothèques s'envoler.

"L'Office national des statistiques (ONS) estime que 1,4 million d'emprunteurs vont faire face à des taux plus importants lors de la renégociation en 2023, en plus d'un million de propriétaires avec des emprunts à taux variables qui souffrent déjà", détaille M. Badiani.

Le successeur de Mme Truss Rishi Sunak promet désormais un régime d'austérité pour renflouer les finances publiques.

Crise du coût de la vie

Un éditorial du Financial Times craint "le retour de la maladie britannique", expression née à la fin des années 1970 quand le Royaume-Uni, sous le coup d'une inflation persistante et d'une croissance amorphe, était vu comme l'"homme malade de l'Europe".

La crise du coût de la vie avait engendré l'hiver du Mécontentement de 1978-1979, de nombreuses manifestations géantes qui avaient coûté le pouvoir aux Travaillistes, ouvrant la voie aux années Thatcher.

En 2023, les difficultés économiques se traduisent aussi dans la rue, où les manifestations, d'habitude peu communes au Royaume-Uni, se multiplient pour réclamer des revalorisations de salaires.

Petite consolation: le Royaume-Uni peut encore se targuer d'un taux de chômage extrêmement bas: 3,7% à fin novembre, même si c'est en partie dû à des pénuries de travailleurs aigües.

afp/rp