« La femme de 35 ans, CSP+, qui achète pour elle et ses enfants ». Voilà la cible que Spartoo vise et satisfait depuis de nombreuses années, ce qui lui vaut 60% de ventes non marketées, environ 50% de marge brute, et une croissance régulière. Côté finances, la dernière levée de fonds remonte à 9 ans. Depuis, l’entreprise détenue à 27% par ses trois dirigeants-fondateurs et salariés (le solde étant détenu par différents fonds de capital investissement) a pu compter sur ses propres ressources et un endettement mesuré au regard de ses 15 M€ de fonds propres.

Il faut dire que sa croissance est restée modeste, à la différence d’un Zalando, côté en Bourse, ou d’un Sarenza, passé en 2018 dans le giron de Monoprix après avoir hésité à venir en Bourse. Avec un CA 2020 de 134 M€, si l’on fait abstraction de l’aventure André définitivement soldée en aout dernier, la croissance annuelle s’est limitée à 8-10% depuis 3 ans. D’où l’envie de profiter du boom du e-commerce et des valorisations boursières attractives pour accélérer. 

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Une croissance régulière, autofinancée 2012 (Source : Spartoo)

Un petit spécialiste doté de gros atouts

Malgré son large choix d’articles de mode (chaussures, prêt-à-porter, sacs : 8 000 marques et 700 000 références) et une présence dans 30 pays en Europe (39% du CA est réalisé à l’international), Spartoo occupe une place modeste sur un marché européen de la vente en ligne de textile et chaussures évalué à 84 milliards de dollars. La plateforme française, qui réalise 80% de ses ventes sur la chaussure, a donc de la place pour grandir. Moyennant des investissements dans sa notoriété et l’élargissement de son offre sur la petite décoration de la maison, Spartoo vise une hausse de 10 % de ses ventes cette année (fort d’une croissance de 30% au T1) comme en 2020 et table sur une progression de plus de 15 % par an entre 2022 et 2024. A noter que 25 à 30% du volume d’activité est réalisé à travers sa market place afin de disposer d’une offre complète (modèles, marques, pointures) à tout moment tout en maîtrisant le niveau de stock.

L’enseigne, qui dispose aujourd’hui de six magasins et trois corners, peut compter sur une intégration verticale des fonctions logistique et service client pour une meilleure maîtrise du rapport qualité prix de la prestation et une meilleure identification des besoins de la clientèle. Un critère clé dans la chaussure compte tenu d’un taux de retour produit (gratuit) sur lequel les équipes veillent de très près. Situé à moins de 16%, il est stable voire en baisse sur les derniers exercices. Ce dispositif maison se traduit par un très haut taux de satisfaction des clientes et une capacité à monétiser cet outil internalisé auprès d’autres professionnels, ajoutant 10% de chiffre d’affaires au cœur de métier.  

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Spartoo comparé à ses concurrents (Source : Spartoo)

Cette capacité à fidéliser, on la retrouve également en interne puisque de nombreuses personnes clés parmi les 400 employés que compte le groupe sont présentes dans l’entreprise depuis plus de 10 ans. A commencer par les trois étudiants fondateurs toujours présents dans l’entreprise qui est restée basée à Grenoble.

Marques propres

Autre facteur différenciant du modèle Spartoo : l’internalisation de certaines marques. Depuis plus de 10 ans, Spartoo vend des produits à marque propre : soit des marques 100% vendues en ligne crées de toutes pièces, à l’image de Betty London, soit des marques qui ont plus de 40 ans d’existence, en déclin pour minimiser le ticket d’entrée et parier sur leur relance. Comme il a su le faire avec la marque choletaise de chaussures pour enfants GBB dont elle a vendu 12 000 paires en 2020, contre 500 lors de sa reprise en 2017. Ces marques ont pour avantage de doper la croissance (>15% pour les marques créées) et surtout la marge brute (>60%) du groupe.

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Un portefeuille de marques propres (Source : Spartoo)

Stratégie : spécialiste de la chaussure, mais pas que

Au-delà de la diversification produit en s’ouvrant de plus en plus au prêt-à-porter et depuis 1 mois à la petite décoration de la maison (celle qui ne prend pas beaucoup plus de place qu’une boite à chaussure), Spartoo compte faire croitre ses ventes et surtout sa notoriété en ouvrant des magasins, à raison de 5 par an. Enfin, les activités pour comptes de tiers ont vocation à se développer un peu partout en France.

Le bon déroulement de cette stratégie devrait, selon les projections « conservatrices » de la direction, permettre de croitre à un rythme de 10% en 2021 puis plus de 15% jusqu’en 2024. En appliquant ces taux de croissance au CA 2020, on obtient plus de 225M€ de CA en 2024. L’Ebitda cible de 7% visé par la société pourrait donc permettre d’avoisiner les 16 M€ d’Ebitda en 2024.

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Des comptes 2019 alourdis par les activités d’André, largement déficitaires (source : Spartoo)

Une petite levée de fonds pour une valorisation raisonnable

En retenant le milieu de la fourchette indicative de prix de l’offre (6,53 € à 7,22 € par action), on obtient une capitalisation boursière, y compris les ~25 M€ d’augmentation de capital, de l’ordre de 140 M€. La valeur d’entreprise, compte tenu d’une dette financière nette à fin 2020 de 6.6M€, devrait avoisiner les 120 M€ post opération, soit un ratio VE/CA 2021e de 0.8x et un ratio VE/Ebitda 24e autour de 6x en tablant sur un désendettement de 20 M€ d’ici là.

Ces ratios apparaissent bien modestes au regard de ceux du géant Zalando, star européenne de la mode en ligne. La différence de valorisation est très nette avec des prévisions 2023 valorisées 1.6x pour le CA et 22x s’agissant de l’Ebitda. Le consensus prévoit pourtant une croissance et une marge d’Ebitda comparable à celle de Spartoo. Principale différence, et de taille : le CA de l’allemand est près de 10x supérieur et est reconnu comme la star du secteur. Elle vient d’ailleurs de signer avec Sephora (LVMH) dans le cadre de sa place de marché. Prime au leader et au track record donc.

La comparaison avec un Vente-Unique.Com est peut-être plus pertinente. Ce spécialiste du mobilier en ligne, dont le modèle économique, assez proche, a également percé à l’international et n’a pas grand-chose à envier à ses comparables allemands Westwing et home24 si ce n’est leur taille, affiche une valeur d’entreprise 2023e de 145M€ soit 0.8x le CA 2023e et 7x l’Ebitda 2023e. Quant on regarde d’autres acteurs français du e-commerce (tableau ci-après), on retrouve des valorisations assez semblables, autour de 7x l’EBE 22e. Dans cet échantillon, SRP Group nous semble également un bon comparable de Spartoo. Cet acteur de la mode en ligne qui vise le même type de clientèle féminine CSP+ se paie 8x l’Ebitda 2022e. A environ 6x l’Ebitda 2024, la valorisation proposée pour les premiers pas en Bourse de Spartoo intègre donc déjà une forte probabilité de succès du plan, mais pas un dépassement, ce qui serait peu étonnant compte tenu des nombreux atouts d’un modèle intégré aux multiples options. Couplé à un niveau de marge brute élevé, il ne serait pas étonnant de voir Spartoo dégager 10% d’Ebitda en rythme de croisière compte tenu de l’écrasement des coûts fixes.

Concernant l’opération en tant que tel, on notera la cession de titres à auteur de 4M€ de la part des actionnaires historiques, fondateurs comme investisseurs, en cas de franc succès de l’opération. Cela n’envoie pas un signal très positif mais le montant est conditionnel et mesuré. De plus, un flottant trop étroit pourrait condamner la liquidité du titre. Par ailleurs, l’engagement de souscription à hauteur de 10 M€ de la part de deux des meilleures équipes de sélection de PME cotées de la place, Arbevel et Amiral Gestion, peut rassurer sur la qualité du dossier et sur la probabilité que l’opération aboutisse, ce qui n’a rien d’automatique par les temps qui courent.

Concernant le calendrier de l’opération, on retiendra surtout le 1er juillet 2021 qui correspond à la clôture de l’Offre à Prix Ouvert, et l’on pourra se reporter à ce document si l’on souhaite en savoir plus sur les modalités précises de l’opération.

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Valorisation d’acteurs français du e-commerce (source : Euroland Corporate, 1er juin 2020)