1 – Les cas de Recylex et Solutions 30

Deux sociétés cotées sur Euronext Paris, Recylex et Solutions 30, ont fait l’objet d’une suspension de cotation respectivement en mai 2020 et en mai 2021.

Les actions de la société en difficulté Recylex ont été suspendues le 13 mai 2020 à la demande de la société pour une durée indéterminée, dans l'attente de la publication d'un communiqué de presse. La crise du Covid-19 avait entre autres généré une détérioration de la trésorerie de la société ainsi qu’un certain nombre de difficultés opérationnelles. Le 30 juin 2020, la société a annoncé que la suspension de la cotation des actions Recylex resterait en place jusqu'à ce que la société soit en mesure de communiquer de manière fiable sur sa capacité à poursuivre son activité. Pourtant, depuis 2020, la négociation de ses titres n'a jamais repris.

La société du SBF 120 Solutions 30 a quant à elle demandé et obtenu d'Euronext Paris la suspension de cotation de ses actions sans donner au public la moindre raison de demander cette suspension. Trois semaines plus tard, Ernst & Young, le commissaire aux comptes de Solutions 30, a annoncé publiquement son incapacité de certifier les comptes de la société, laquelle impossibilité avait justifié dès l’origine la suspension de la cotation. Solutions 30 a finalement annoncé, après deux semaines de suspension, que la cotation de ses actions allait reprendre et qu'elle envisageait de demander le retrait de ses actions de la cote. Depuis lors, la société est cependant restée cotée sur Euronext, bien qu'elle n'ait jamais obtenu la certification de ses états financiers 2020.

2 – Les objectifs de la suspension de cotation

Ces deux affaires, qui ont impliqué des mesures de suspension de la cote particulièrement longues (et même indéfinie dans le cas de Recylex), posent la question des circonstances dans lesquelles ce type de mesure peut se justifier. Les suspensions de cotation peuvent être extrêmement préjudiciables à l'émetteur comme aux investisseurs pour deux raisons principales :elles empêchent le marché de jouer son rôle d'évaluation des sociétés à travers le jeu de l'offre et de la demande et interdisent aux investisseurs d'échanger leurs actions, donc de bénéficier d’une solution de liquidité.

Pour cette raison, les suspensions de cotation ne devraient être décidées que lorsque le marché ne remplit plus correctement sa fonction d’évaluation des entreprises dans des circonstances suffisamment graves pour justifier la privation, pour les investisseurs, d’une solution de liquidité pour leurs actions. C'est typiquement le cas en présence de fausses informations ou rumeurs concernant l'émetteur sont largement diffusées, qui entraînent une mauvaise évaluation des actions de l'émetteur ou une augmentation substantielle de la volatilité du cours de l'action, voire lorsque certains investisseurs ou l'émetteur lui-même se livrent sciemment à des manipulations de marché.

Dans ces situations, une suspension de cotation peut être décidée par Euronext Paris ou l'AMF (à l’initiative de l’émetteur ou non) en attendant que l'émetteur et sa direction clarifient la véracité ou la fausseté de l'information et la situation réelle de la société. Ces cas très spécifiques dans lesquelles l’intégrité du marché est en jeu ne doivent cependant pas être confondus avec les circonstances où l'information sur l'émetteur est simplement absente : dans ces cas, le jeu de l'offre et de la demande reste le moyen le plus efficace d'évaluer l'émetteur, et la cotation ne doit pas être suspendue.

3 – Les cas Solutions 30 et Recylex

Dans le cas de Solutions 30, l'absence de publication d'états financiers audités ne justifiait clairement pas une suspension de cotation. Bien que cette absence de publication ait empêché les investisseurs d’accéder à toutes les informations auxquelles la réglementation applicable leur donne droit, ce manque d’information, qui ne saurait être assimilé à une information fausse entravant le rôle de valorisation joué par le marché, ne justifiait en aucun cas la suspension de la cotation de Solutions 30.

La suspension de cotation de Recylex est plus discutable encore. Les difficultés financières d’une société ne sont en aucun cas une raison valable d’en suspendre la cotation — à tout le moins en l’absence d’information fausse ou de rumeur de marché qu’il convient de faire clarifier par la direction de la société. Cette suspension est d’autant moins justifiée que cela fait maintenant plus d’un an et demi qu’elle se poursuit, privant de ce fait les investisseurs d’une solution de liquidité pour un laps de temps extrêmement long sans aucun bénéfice ni pour eux, ni pour la société.

Pour éviter ce type de situation, les entreprises de marché devraient être tenues d'expliquer systématiquement en quoi les suspensions de cotation qu’elles prononcent sont justifiées par un contexte spécifique. En particulier, elles devraient être en mesure de démontrer qu'il existe un risque significatif de mauvaise évaluation des actions de l'émetteur du fait des conditions de marché en vigueur. En outre, la suspension de cotation ne devrait jamais durer plus de quelques heures, voire un ou deux jours dans les cas extrêmes. Au-delà de cette période, même une volatilité importante ou un fort risque de mauvaise évaluation ne semble pas justifier le coût de liquidité de la suspension de cotation.

Paul Oudin et Pierre Petitcolas, Vermeille & Co