Pour l’instant, les rapports des experts commandés par la commission européenne sont plutôt dans le sens de l’approbation. Ils assurent que la gestion des déchets peut être faite dans de bonnes conditions, sans causer de dégâts significatifs sur l’environnement. Si au contraire, l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte ne se fait pas, les conséquences seront désastreuses pour EDF, l’exploitant semi public français. Il serait alors plus difficile de justifier l’utilisation de fonds publics et privés pour financer les multiples projets EPR à venir. Ces mesures sont d’autant plus critiques que EDF à une situation bilantielle inquiétante (très fort endettement) et accuse toujours le fiasco de son premier chantier à Flamanville. Cela placerait aussi Emmanuel Macron dans une position plus que délicate à l'approche des élections présidentielles de 2022.

Généralités

En 2020, les centrales nucléaires ont permis de produire environ 2.500 TWh d’électricité sur une production électrique mondiale proche des 27.000 TWh. Le nucléaire représente donc un peu moins de 10% de la production mondiale. A l’évidence, ce n’est pas le mode de production d’électricité dominant dans le monde, alors que c’est le cas en France (environ 71% en 2020). Le nombre de réacteurs opérationnels varie que très peu depuis que je suis arrivé au monde en 1997 et s’établit aujourd’hui à 444 (plus de 180 sont en Europe), pour une capacité de production qui, elle, n’a cessé d’augmenter (fort heureusement, on fait des progrès technologiques) pour approcher les 390 000 GW.

Un kW de nucléaire installé dure 60 ans et représente un investissement d’environ 3000 euros pour les réacteurs dernière génération (EPR), soit 3 fois moins qu’une combinaison éoliennes terrestres + gaz, sans compter le coût du CO2 émis, et 20 fois moins que le photovoltaïque. Le charbon reste quant à lui compétitif en matière d’investissement initial mais la composante combustible est bien plus importante que pour le nucléaire où le minerai représente seulement 2% du prix du kWh. Concernant l’hydraulique, il s’agit certainement d’une des technologies les plus intéressantes du point de vue économique, surtout dans les pays en développement dans lesquels le coût d’installation peut être divisé par 3. Cependant, beaucoup de pays, à l’image de l’Allemagne, sont dans l’incapacité de faire évoluer leur parc hydraulique, manquant de fleuves et de montagnes.

 

Coûts de production d'électricité
Coût de production (MWh) de différentes installations énergétiques. Source : Jean-Marc Jancovici, section "transition énergétique".

Dans un pays ayant déjà atteint sa capacité d’installation de barrages, se souciant des émissions de GES et de son porte-monnaie sur le long terme, le nucléaire semble donc être la meilleure option. Ce choix s’avère d’autant plus intéressant lorsque les prix du gaz et du charbon s'envolent. Cependant, soyons honnêtes, le nucléaire a un impact nocif sur l’environnement. La construction d’une centrale nécessite une quantité astronomique de ciment et d’acier et les risques de pollution de l’eau et des sols lors d’accidents ne peuvent pas être négligés. La mauvaise exploitation d’un réacteur ou une gestion douteuse des déchets peut condamner une région et sa population pour plusieurs dizaines (voir centaines) d’années.

Dernièrement le prix de l’oxyde d’Uranium s’est lui aussi enflammé, mais avec un impact limité sur l’exploitation d’un réacteur.

 

Cours de l'U308
Cours spot de l'U308 en $. Source : Cameco Corporation

Pour ouvrir une parenthèse, on pourrait espérer que cette augmentation des prix pourrait conduire à une baisse significative de la consommation d’électricité, mais Jean-Marc Jancovici (expert reconnu à l’origine du bilan carbone) reste, par expérience, peu convaincu par cet effet. Quand on transpose cette logique aux carburants, c’est seulement lors d’une hausse des prix de plusieurs dizaines de % qu’une baisse de la consommation est observée. Mettant d’ailleurs en valeur le caractère défensif d’un investissement dans le secteur de l'énergie.

L’industrie du nucléaire est relativement vaste et rassemble bon nombre d'activités allant de la pré-exploration des sols au démantèlement des centrales et la gestion des déchets radioactifs en passant par l’extraction, le traitement et l’enrichissement de l’uranium, la construction et l’exploitation des réacteurs.

Dans ce dossier, l’objectif est de faire un tour d’horizon sur les acteurs du nucléaire. Pour simplifier les choses, on les regroupe sous 6 catégories.

1 - Exploration, extraction du minerai et négoce :

L’uranium naturel est constitué de trois isotopes : 

  • l’uranium 238 (à 99.3%) est stable et ne peut pas être utilisé en directement en centrale sans être transformé en plutonium fissile par absorption d’un neutron du noyau.
  • l’uranium 235 (à 0.7%) est quant à lui directement fissile et plus intéressant.
  • l’uranium 234, présent à seulement 0.0056%.

D’ailleurs, lorsque l’on parle d’enrichissement de l’uranium, on augmente en réalité la proportion en isotope 235 à un taux proche de 4%.

Dans les sols, l’Uranium est présent sous sa forme oxydé dans la pechblende, un minerai aussi appelé uraninite. Lors de l’exploitation des sites miniers (souterrains ou à ciel ouvert), on considère que pour une tonne de terre extraite, la quantité d’oxyde que l’on peut récupérer et traiter est comprise entre 1 et 2 kg. 

Le minerai extrait est alors broyé puis traité (séparation et purification) afin d’augmenter la concentration en uranium. Une poudre jaune appelé Yellow Cake est obtenue. Le cake sera ensuite raffiné pour la préparation du combustible

Certaines sociétés se concentrent sur la prospection, l’évaluation des sols pré-extraction et la caractérisation des minerais présents sur le site. Leur expertise et leurs interventions sont indispensables pour être en mesure de comprendre si l’exploitation est intéressante ou non.

D’autres entreprises se sont spécialisées dans l'aménagement et l’exploitation minière à proprement parler tandis que certains acteurs font uniquement du négoce. On retiendra que beaucoup de grands groupes couvrent l’ensemble des activités que nous venons de décrire, d’où l'intérêt de créer une catégorie unique.

Exemples : JSC National atomic company kazatomprom, Encore Energy corp, Fission uranium corp, Cameco corporation, Boss energy limited, Deep Yellow limited, Uranium energy corp, Uranium royalty corp, Yellow cake, Denison mines corp

2 - Enrichissement et fabrication du combustible : 

Le cake est donc transporté puis raffiné. L’uranium est débarrassé de ses impuretés puis converti en tétrafluorure d’uranium (UF4), un composé chimique qui joue le rôle d’intermédiaire dans la réaction de conversion du dioxyde d’uranium (UO2) en hexafluorure d’uranium (UF6) ou en octaoxyde de triuranium (U308). 

Pour faciliter le procédé d’enrichissement, l’uranium est donc associé au fluor et porté à l'état gazeux sous sa forme UF6. Cette molécule est particulièrement intéressante car elle peut facilement passer de l’état solide à liquide puis gazeux. Par exemple, l’hexafluorure d’uranium peut facilement être transporté dans son état liquide lorsque la température est inférieure à 65°C (à pression atmosphérique) et au-dessus de 65°C, sous sa forme gazeuse, ce composé peut être enrichi en U235. L’opération la plus complexe est celle de séparation isotopique, nécessaire à cet enrichissement. Plusieurs techniques peuvent être employées pour cette séparation, mais elles reposent toutes sur la différence de masse entre les molécules UF6 avec un isotope 238 et celles avec un isotope 235. Parmi ces techniques, la diffusion gazeuse consiste à filtrer ces différentes molécules à l’aide d’une membrane adaptée tandis que l’ultracentrifugation en cascade permet de projeter les molécules gazeuses les plus lourdes vers l’extérieur, passant d’une centrifugeuse à l’autre pour être progressivement séparées.

Pour la majorité des réacteurs (Pressurized light-water-moderated and cooled reactor, PWR), l’UF6 enrichi doit être transformé en pastilles qui seront ensuite placées dans des tubes métalliques de plusieurs mètres de long appelés crayons. L’alliage de zirconium composant ces crayons fait l’objet d’une recherche très avancée, ce choix s’explique par le fait que l’alliage se doit d’être transparent au neutron pour que la réaction en chaîne s'opère et doit conserver une bonne tenue mécanique en température ainsi qu’une résistance à l’oxydation et la corrosion nodulaire.

Quelques entreprises qui opèrent dans l’enrichissement et la fabrication du combustible : Centrus energy corp, Cameco corporation, Denison mines corp, Paladin energy limited, Energy resources of australia, Uranium energy corp, Urenco, Rosatom

3 - La construction des centrales nucléaires et leur maintenance : 

Les centrales sont composées de plusieurs infrastructures. On distinguera principalement l’îlot nucléaire et l’îlot turbine. Chacune de ces infrastructures fait appel à des compétences spécifiques en termes de maîtrise d'œuvre. Plusieurs entreprises peuvent donc être amenées à collaborer sur un site en construction. 

Alors que l’îlot nucléaire accueille les installations relatives à la fission des noyaux composant le combustible, l’îlot turbine comprend les systèmes de circulation d’eau, le condensateur, l’alternateur et le reste des équipements nécessaires à la transformation de l'énergie thermique en énergie électrique. Comme nous l’avions évoqué dans un autre article: il existe plusieurs fabricants de turbines, en compétition pour proposer des offres et des turbines avec des performances différentes. 

La maintenance des centrales nucléaires est un marché important en termes de chiffre d’affaires. Alors que plusieurs grands groupes essaient de maîtriser les savoir-faire nécessaires à la construction de l’ensemble de la centrale, d’autres font souvent appel à des sous-traitants pour la maintenance du site. Des entreprises spécialisées dans la sécurité, les services nucléaires et les réparations ponctuelles répondent aux offres des grands groupes pour prendre le relai. Toute intervention sur un site nucléaire fait l’objet d’un suivi rigoureux en matière d’exposition aux radiations.

Quelques entreprises qui opèrent dans la construction des centrales et leur maintenance : Electricité de France, Orano, Ansaldo energia, Centrus energy corp, General Electric, Kepco plant services & engineering, Hitachi, Toshiba, Mitsubishi Heavy industries, Rosatom…

4 - L’exploitation :

A la suite de la mise en service d’une centrale, c’est le maître d’ouvrage (le client) qui est responsable du fonctionnement de celle-ci et de la sûreté du site. Il peut évidemment faire appel à des intervenants extérieurs mais il doit être en mesure d’assurer le contrôle de sa centrale, de la production d'électricité ainsi que des démarches à suivre en cas de problèmes ou de régulation. Les exploitants sont nombreux et se positionnent sur un business bien différent que celui des autres acteurs de l’échelle verticale que nous détaillons depuis le début de cet article. Beaucoup de pays ont choisi d'empêcher l’introduction en bourse de leurs exploitants pour protéger le secteur des investissements étrangers qui conduisent à une prise de pouvoir au sein du groupe.

Quelques exemples d’exploitants de centrales nucléaires : Electricité de France, Engie, Exelon Corporation, Constellation Energy, China general nuclear power, Tepco, E.ON SE, RWE AG, Rosenergoatom, Rosatom…

5 - Le démantèlement et la gestion des déchets : 

Le démantèlement d’une centrale est une affaire complexe sur laquelle les acteurs et gouvernements ont peu de recul encore aujourd’hui. Entre 2005 et 2020, seulement 77 réacteurs ont été définitivement arrêtés dans le monde. Plusieurs techniques peuvent être utilisées.

La décontamination consiste à stopper la réaction puis enlever les combustibles et les équipements irradiés qui seront stockés et rigoureusement décontaminés. L’ensemble du site peut ensuite être détruit et celui-ci est de nouveau exploitable dans des conditions sûres pour d’autres activités relativement rapidement. Cette procédure s’étend sur un minimum de 7 ans et peut facilement durer le double. Une autre technique consiste à attendre que la radioactivité des combustibles et des équipements chute avant de procéder au démantèlement du site. Cette opération peut prendre jusqu’à 60 ans mais représente un coût bien inférieur et peut aussi permettre à l’opérateur de sécuriser les fonds relatifs au coût du démantèlement. Une troisième technique consiste à couler l’ensemble du site dans du béton pour toujours. Les Etats-Unis n’ont jamais eu recours à une telle procédure mais elle a été observée dans d’autres pays comme pour la centrale de Tchernobyl (cas particulier). Le coût des opérations d'arrêt définitif et de démantèlement d’une centrale peut représenter jusqu’à 15% du coût d’investissement net d’après le ministère de l’industrie française, mais ce chiffre est très approximatif.

La gestion des déchets est elle aussi une étape importante du processus. Les combustibles peuvent être stockés tels quels dans des piscines pourvues à cet effet à proximité du réacteur. Une autre méthode consiste à récupérer les combustibles valorisables en les séparant des autres déchets pour fabriquer du combustible MOX. Les déchets restants sont vitrifiés et stockés dans des sites spécialisés.

Quelques exemples d’entreprises qui opèrent dans le démantèlement des centrales et la gestion des déchets : Bouygues construction SCES, Nucléaire, Onet, Orano, Naval Group, Tepco, Rosatom...

L’industrie du nucléaire fait donc en effet appel à un nombre considérable de métiers. Le business de ces acteurs est corrélé de manière différente au prix de l’U308 et tous ne profitent pas d’une hausse des prix du kWh. Il est évident que les entreprises qui opèrent dans l’exploration et l’extraction du minerai bénéficient de la hausse des prix de l’uranium, pour autant un exploitant voit ses charges augmenter, même si cela reste un poste de dépenses relativement faible. 

Le nucléaire est un secteur aussi complexe que stratégique, sujet de nombreux débats à l’image de l’actualité (inclusion de cette énergie dans la taxonomie verte). Comprendre un peu mieux les tenants et aboutissants de ce secteur me semble nécessaire pour garder un regard critique sur la direction prise il y a quelques années par la France.

Vous pouvez retrouver l’ensemble des entreprises citées dans cet article dans notre liste Uranium. Au travers du screener, il vous est possible de trier ces dernières en fonction de critères que vous aurez définis.
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