* Bernard Tapie nie toute collusion avec un ancien magistrat

* Cet ancien magistrat comparaît également avec lui

* Le PDG d'Orange sera interrogé la semaine prochaine

par Emmanuel Jarry

PARIS, 13 mars (Reuters) - Une dédicace chaleureuse adressée à l'ex-magistrat Pierre Estoup dix ans avant qu'il joue un rôle clé dans l'arbitrage favorable à Bernard Tapie dans son conflit avec le Crédit lyonnais a été mercredi au coeur du troisième jour du procès de l'ancien homme d'affaires et de cinq autres prévenus.

Lors des investigations sur cet arbitrage contesté, les enquêteurs ont découvert chez la fille de l'ancien président de la Cour d'appel de Versailles un exemplaire du livre de Bernard Tapie "Librement", avec ces mots datés du 10 juin 1998 :

"Pour le président Pierre Estoupe, en témoignage de mon infinie reconnaissance. Votre soutien a changé le cours de mon destin. Je vous remercie d'avoir eu l'intelligence et le coeur de chercher la vérité cachée derrière les clichés et les apparences. Avec toute mon affection. B. Tapie."

Pour l'accusation, cette dédicace prouve que l'homme d'affaires entretenait de longue date des relations avec celui qui sera en 2008 le plus influent des trois membres du tribunal arbitral chargé de régler son contentieux avec le Crédit lyonnais et constitue donc une preuve de leur collusion.

Ce que Bernard Tapie, 76 ans, a contesté mercredi, comme pendant l'instruction. Il a notamment avancé pour preuve qu'il ne connaissait pas l'ex-magistrat à l'époque de la dédicace le fait qu'il ait orthographié son nom avec un "e" final.

Il a expliqué que Pierre Estoup s'était simplement porté garant de sa moralité à la demande de Francis Chouraqui, avocat de l'intermédiaire André Guelfi avec qui il avait sympathisé en prison, après sa condamnation pour le truquage d'un match entre l'Olympique de Marseille et le club de Valenciennes, et avec lequel il s'apprêtait à s'associer en affaires.

Pierre Estoup "m'a permis de redevenir un homme d'affaires", a ajouté Bernard Tapie pour justifier la chaleur de la dédicace.

Il assure cependant avoir dédicacé son livre à la demande de l'assistante de Me Chouraqui et ne pas avoir rencontré l'ancien magistrat avant l'arbitrage de 2008.

COLLUSION

"Neuf ans plus tard, je ne me rappelle pas plus de son nom que je ne me rappellerai le vôtre dans trois semaines", lance-t-il alors à l'avocat du consortium de réalisation (CDR) chargé de gérer le passif du Crédit lyonnais, qui l'interroge.

Sur les relations entre son avocat, Maurice Lantourne, accusé de participation à un simulacre d'arbitrage en collusion avec Pierre Estoup, il dit n'avoir rien à déclarer.

"Je n'étais pas du tout au courant de leurs relations par écrit, par téléphone ou sous toute autre forme", dit-il.

Bernard Tapie, qui estime avoir été floué par le Crédit lyonnais lors de la vente du fabriquant d'équipements de sports Adidas en 1993, s'est vu accorder par l'arbitrage de 2008 la somme de 403 millions d'euros, dont 45 millions pour préjudice moral. Somme qu'il a été définitivement condamné à rembourser au CDR le 18 mai 2017 dans le volet civil de cette affaire.

L'ancien homme d'affaires, Maurice Lantourne et Pierre Estoup, 92 ans, accusés d'avoir obtenu l'arbitrage par des moyens frauduleux et de l'avoir truqué, sont jugés depuis lundi pour escroquerie et détournement de fonds publics ou complicité.

Comparaît avec eux le PDG d'Orange, Stéphane Richard, 57 ans, pour complicité - il était directeur de cabinet de la ministre de l'Economie de l'époque Christine Lagarde, actuelle directrice générale du FMI. Mais il était absent ces deux derniers jours du tribunal - il accompagne le chef de l'Etat, Emmanuel Macron, dans sa tournée africaine. Son interrogatoire est programmé pour le mercredi 20 mars. (Edité par Danielle Rouquié)

Valeurs citées dans l'article : adidas, Orange