Le conseil d’administration de Lafarge avait décidé en mai 2015 l’octroi d’un bonus de 2,5 millions d'euros à Bruno Lafont pour son rôle dans la fusion du cimentier français avec le suisse Holcim. Et en juillet de la même année, il s'était vu accorder 5,9 millions d'euros d'indemnités de départ.

Bruno Lafont est cependant resté administrateur de la nouvelle entité, LafargeHolcim, jusqu'au début 2017.

Selon France Inter, les juges d'instruction ont ordonné la saisie de 2,475 millions d'euros.

Ils l'ont fait cet été en accord avec le parquet de Paris, précise une autre source proche du dossier.

"Les juges ont considéré que s'il était condamné et qu'il y avait une peine complémentaire de confiscation de ses biens, il fallait s'assurer que cette peine complémentaire pourrait être exécutée", a expliqué pour sa part à Reuters Me Marie Dosé, avocate de l'ONG Sherpa, dont une plainte est à l'origine de la procédure en cours contre Lafarge et ses anciens dirigeants.

Si Bruno Lafont est condamné, "cet argent ira directement sur un fonds d'indemnisation des victimes d'acte du terrorisme", a-t-elle ajouté.

La justice enquête sur les conditions dans lesquelles, avant son absorption par Holcim en 2015, Lafarge a maintenu en activité son usine de Jalabiya en 2013-2014 dans une région du nord de la Syrie sous contrôle du groupe Etat islamique (EI).

Elle s'intéresse notamment aux versements effectués par Lafarge, par le biais d'intermédiaires, à des organisations armées, notamment à l'EI, pour permettre le fonctionnement de l'usine, la circulation des salariés et des marchandises.

Elle examine également l'achat éventuel de matières premières à des intermédiaires proches de ces groupes.

"UN BON SIGNE", SELON SHERPA

Au total, les sommes concernées sont évaluées à près de 13 millions d'euros et le parquet de Paris a ouvert en juin 2017 une information judiciaire pour financement d'entreprise terroriste et mise en danger de la vie d'autrui.

Outre Bruno Lafont, sept autres anciens dirigeants et cadres de Lafarge ont été mis en examen.

Mais les juges d'instruction ont commencé à faire un tri des responsabilités, estime-t-on de source proche du dossier.

Ils ont en effet décidé de saisir une partie des indemnités de deux anciens dirigeants de l'usine syrienne, Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois, et de l'ancien directeur général adjoint opérations Christian Herrault.

Au total, les saisies ordonnées sur les indemnités de Bruno Lafont et ces trois autres anciens responsables s'élèveraient à 3,7 millions d'euros, selon France Inter.

"C'est très choquant, c'est une atteinte à la présomption d'innocence, je trouve cela inadmissible", a déclaré à Reuters l'avocate de Christian Herrault, Me Solange Doumic, selon qui ces quatre anciens dirigeants ont fait appel de cette mesure.

En revanche, les juges ont épargné les quatre autres mis en examen, dont Eric Olsen, qui fut le premier PDG de LafargeHolcim avant d'être évincé.

L'ONG Sherpa, qui avait porté plainte au nom de 14 anciens salariés syriens de l'usine, s'est réjouie de ce qui constitue selon elle "un bon signe de l'avancée de l'instruction".

"Les victimes que nous défendons vont enfin pouvoir être rassurées sur le fait de pouvoir obtenir une indemnisation à la fin de cette procédure. Nous espérons que la mise en examen des personnes physiques pourra s'étendre à la complicité de crime contre l'humanité", a déclaré une de ses responsables à Reuters.

L'entreprise Lafarge SA a déjà été mise en examen fin juin en tant que personne morale pour financement d'une entreprise terroriste et complicité de crimes contre l'humanité, violation d'un embargo et mise en danger de la vie d'autrui.

(Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)