PARIS, 17 mai (Reuters) - La réouverture des musées parisiens, cette semaine, coïncide avec l'inauguration d'un nouveau lieu d'exception, la Bourse du Commerce, consacrée à la vaste collection du milliardaire François Pinault, magnat du luxe et grand amateur d'art contemporain.

Tôt lundi matin, l'homme d'affaires de 84 ans est venu lui-même assister à l'allumage des mèches de la dizaine de pièces de cire de l'artiste d'origine suisse Urs Fischer - qui brûleront pendant six mois, jusqu'à leur complète disparition - exposées au centre du bâtiment circulaire revisité par l'architecte japonais Tadao Ando, qui ouvrira samedi au grand public.

L'inauguration de la Bourse du Commerce, ancienne halle aux grains sise au coeur de Paris, non loin du Louvre et du Centre Pompidou, a été repoussée à deux reprises en raison de l'épidémie de coronavirus.

"Cette ouverture est le symbole même de la renaissance de la vie culturelle à Paris puisque c'est un lieu nouveau", a dit à Reuters l'ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, directeur général de la Collection Pinault.

D'origine bretonne, François Pinault a fait fortune dans le commerce du bois avant de se tourner vers la vente au détail à travers un groupe aujourd'hui connu sous le nom de Kering , dirigé par son fils François-Henri.

Depuis les années 1980, l'homme d'affaires a constitué une vaste collection de quelque 10.000 oeuvres, dont environ 200 sont exposées à la Bourse du Commerce, tels une série de photographies de Cindy Sherman et des tableaux de Peter Doig. Exposées sur trois niveaux, elles émanent parfois d'artistes n'ayant jamais eu de rétrospectives en France, comme l'Afro-Américain Kerry James Marshall.

"Les oeuvres de cet accrochage sont toutes en prise directe avec des problématiques politiques, sociales, d'identité, de genre, elles expriment toutes un lien très fort entre l'art et simplement la vie, l'existence, c'est une vision très humaniste", a dit à Reuters le directeur général de la Bourse du Commerce, Martin Bethenod.

PIGEONS ET SOURIS

En levant les yeux, on aperçoit des pigeons empaillés gardant un oeil sur le visiteur, oeuvre de Maurizio Cattelan intitulée "Others". D'un trou creusé au bas d'un mur surgissent les balbutiements d'une souris imaginée par l'artiste conceptuel britannique Ryan Gander.

La Bourse du Commerce est l'aboutissement d'un projet de longue haleine qui a vu François Pinault envisager puis renoncer à bâtir un musée sur le site de l'ancienne usine automobile Renault de l'île Seguin. Le milliardaire a ensuite ouvert deux lieux à Venise en Italie, La Punta Della Dogana et le Palazzo Grassi, sans jamais renoncer à son dessein parisien.

La Bourse de Commerce - Collection Pinault allonge la liste des hauts lieux privés d'art contemporain où figurent la Fondation Cartier, liée à la marque de joaillerie appartenant au Suisse Richemont et la Fondation Louis Vuitton, bâtiment futuriste commandé à Frank Gehry par Bernard Arnault, patron de LVMH, ouvert au public depuis 2014.

Rivaux en affaires et tous deux amateurs d'art, François Pinault et Bernard Arnault ont récemment visité ensemble la Bourse du Commerce.

"Ils ont beaucoup d'estime et de respect l'un pour l'autre", assure Jean-Jacques Aillagon. "Le fait que l'un et l'autre aient voulu constituer une collection, même si celle de M. Pinault est de plus grande ampleur, montre bien que certaines personnes qui sont parfois en concurrence féroce dans les affaires peuvent s'estimer et avoir une passion commune."

Dans Paris, capitale artistique autrefois dominée par les institutions publiques, les musées privés offrent désormais une nouvelle perspective, estime Martin Bethenod.

"Maintenant, c'est une scène artistique beaucoup plus équilibrée, c'est une sorte d'écosystème dans lequel le privé et le public peuvent travailler ensemble", a-t-il dit à Reuters.

Après avoir gardé porte close pour cause d'épidémie, de nombreux musées rouvrent cette semaine en France pour la première fois depuis le 19 octobre, avec des jauges réduites. La Bourse de Commerce - Collection Pinault accueillera entre 600 et 700 visiteurs par jour, alors que sa capacité est de 1.700 places. (Elizabeth Pineau, Sarah White et Michaela Cabrera, édité par Blandine Hénault)