DOUARNENEZ (awp/afp) - Cité portuaire connue pour ses conserveries de sardines et son passé ouvrier, Douarnenez (Finistère) est submergée depuis plusieurs années par une vague d'investissements touristiques, qui créent des difficultés de logement pour une partie de la population.

"A VENDRE - Ancienne capitainerie désaffectée (...) Il manque à Douarnenez un casino et un hôtel de luxe. Investisseurs, profitez (...) de cette occasion rêvée de faire du profit. Et ainsi bâtir la nouvelle image de Douarnenez: adieu la sardine et vive le Black Jack", détaille une publicité avec photo et diagnostic énergétique.

Affichée dans une rue du centre-ville, sur la devanture de "Bobo Immo" ("L'agence de trop, l'agence qu'il vous faut"), ce pastiche d'annonce immobilière souligne par l'absurde les tensions suscitées par l'immobilier touristique à Douarnenez.

Dernièrement, c'est la vente de l'Abri du marin qui a mis le feu aux poudres: cette grande bâtisse rose construite en 1912, classée monument historique, accueillait autrefois des pêcheurs. Elle doit bientôt être divisée en appartements haut de gamme par le groupe bordelais CIR, qui vante sur son site internet sa "vue exceptionnelle".

Les appartements seraient vendus de 6.600 à 8.000 euros/m2, soit quatre fois le prix moyen à Douarnenez, selon les opposants au projet.

Le groupe CIR n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP.

"Eviction des plus précaires"

"C'est la goutte d'eau dans un ras-le-bol gigantesque", lâche Rémi Garreau, 34 ans, du collectif "DouarnVendez", qui a rassemblé 500 manifestants et plus de 30.000 signatures contre cette vente.

Le collectif, qui a détourné le nom d'une campagne publicitaire de la ville ("DouarnVenez"), dénonce les "effets pervers des politiques d'attractivité" touristique, qui entraînent une "éviction des plus précaires au profit des plus aisés", selon M. Garreau.

"Des immeubles entiers sont loués sur Airbnb" et "des gens qui se logeaient dans le privé doivent faire une demande de logement social", assure-t-il.

L'organisme HLM Douarnenez Habitat compte ainsi 350 dossiers en attente pour 1.700 HLM, alors qu'il y avait encore quelques logements vacants il y a cinq ans. "La crise sanitaire a bouleversé le marché immobilier mais on ne sait pas si ça va durer", précise Catherine Cavatz, directrice générale de l'organisme.

Selon elle, certains propriétaires privés reprennent leur logement pour le mettre en vente ou en location saisonnière, ce qui pousse leurs anciens locataires vers le logement social.

"Les personnes qui arrivent maintenant ont peut-être quelques difficultés à trouver du logement", admet la maire (sans étiquette) Jocelyne Poitevin, qui impute ces "difficultés" à l'absence de construction de logements collectifs par des promoteurs privés depuis dix ans.

Mme Poitevin assume cependant de vouloir accueillir une population plus aisée pour améliorer les finances de la commune. "Il ne faut pas tirer à boulets rouges sur les gens qui ont un peu d'argent. On a besoin du tourisme", estime cette ancienne notaire.

Le taux de résidences secondaires reste d'ailleurs faible (17,3% en 2021) par rapport à d'autres villes littorales, souligne l'élue. Mais leur nombre augmente rapidement et vient s'ajouter aux quelques 500 locations de courte durée recensées par le site d'analyses AirDNA.

"Un petit mouvement, dans une ville comme Douarnenez, peut produire de grands effets", pointe Maxime Sorin, du collectif Droit à la Ville, qui a mené un travail de "recherche action" sur le logement à Douarnenez.

Le port de Cornouille, qui fut une des premières municipalités communistes de France, a connu de grands mouvements démographiques avec l'essor puis le déclin de l'activité sardinière. Et la ville est en situation de mal logement depuis de nombreuses années, selon M. Sorin.

"Le peu de résidences secondaires et de locations Airbnb qui se sont installées ont suffi à faire basculer la ville dans la crise", ajoute-t-il, citant des élèves de l'école de charpente qui ne peuvent pas se loger, ou des locataires invités à quitter leur logement l'été pour laisser la place aux touristes.

"La question c'est: comment continuer à vivre dans une ville abordable?", interroge Rémi Garreau, en plaidant pour une régulation plus forte des pouvoirs publics.

aag/mb/nzg