PARIS (awp/afp) - "On a ouvert la boîte de Pandore, la crise légitime tout!": dans le secteur de la grande distribution, syndicats et hôtesses de caisses s'inquiètent de l'accélération de l'automatisation enclenchée depuis le début de l'épidémie de Covid-19.

Il y a un an, elles ont fleuri dans les supermarchés. Les caisses automatiques, déjà présentes en France depuis quelques années, ont été multipliées pour s'adapter aux nouvelles règles sanitaires: distanciation physique et réduction des contacts entre clients et hôtesses de caisses. Au risque de leur succéder complètement après la fin de la pandémie.

"On en a beaucoup plus", confirme Jeanne*, hôtesse de caisse au Monoprix de Montparnasse, avant de soupirer: "de toute façon, elles vont remplacer tout le monde."

Sous couvert d'adaptation au contexte sanitaire, les caisses automatiques permettent aux enseignes de la distribution de réduire les coûts et gagner en rentabilité.

Dans son bilan de l'année 2020, le groupe Casino annonce compter "533 magasins équipés de solutions autonomes", contre 305 en 2019, "facilitant les ouvertures le soir et le week-end".

"Les enseignes transfèrent l'activité des caissières vers des agents de sécurité en prestations externes, donc elles gagnent en productivité, puisque ce n'est pas le même coût en matière de cotisations", dénonce Amel Ketfi, secrétaire fédérale de la CGT commerce. "Ce procédé, c'est, à terme, la disparition des caissières. On a ouvert la boîte de Pandore, la crise légitime tout!"

Pour le moment cependant, les hôtesses de caisses semblent échapper aux plans de licenciement: elles ne sont par exemple pas concernées par la suppression de 1.475 postes annoncée par Auchan en septembre 2020. Mais les syndicats s'alarment de la disparition de 70% des caisses classiques au profit de caisses automatiques.

Si "des formations" doivent être mises en place "pour permettre aux hôtesses de caisse d'aborder la transformation de leur métier" vers plus de polyvalence, selon Auchan, la menace d'une surcharge de travail plane.

"Il n'y aura plus le métier d'hôtesse de caisse mais celui d'employée du magasin, qui sera un peu à la caisse, puis dans les rayons, puis de nouveau à la caisse", déplore Guy Laplatine, secrétaire général de la CFDT Auchan. "Ça +désapproprie+ les salariés de leur périmètre, et je ne pense pas que ça produise du bonheur, puisque quand on fait tout, on ne fait rien."

Charge mentale

Les hôtesses de caisse doivent également assister les clients dans leurs achats en caisses automatiques, une "dégradation des conditions de travail", pour Amel Ketfi. "Quand on surveille quatre à six caisses en même temps, il n'y a pas de baisse de vigilance."

"On a remplacé la charge physique par une charge mentale", regrette Marie*, hôtesse de caisse au Auchan de Boulogne-sur-Mer. "On chamboule un travail qu'on a eu l'habitude de faire pendant longtemps."

Décrites comme "les ouvrières du XXIe siècle" par Guy Laplatine, les hôtesses de caisse exercent un métier dur physiquement et mal payé, un des rares auquel on peut encore accéder sans qualification ni expérience. En poste depuis 28 ans, Marie gagne 1.250 euros "une fois (sa) mutuelle déduite" pour 37 heures par mois.

Si elle est amenée à multiplier les tâches, elle "aimerait bien être rémunérée en conséquence."

En attendant, les caisses automatiques doivent passer le test de la clientèle sur le long terme, et pourraient bien être elles-mêmes remplacées si le boom du commerce en ligne et des "drives" se poursuit. Cette année, le groupe Casino s'est défini comme priorité le commerce en ligne, dont le chiffre d'affaires a bondi de +67% en 2020, en s'appuyant sur des entrepôts automatisés et un partenariat avec le géant américain Amazon.

"La grande difficulté va être de persuader les consommateurs à aller dans les magasins s'il n'y a plus de contact humain", explique Carole Desiano, secrétaire fédérale chargée de la grande distribution chez Force Ouvrière. "Si on automatise trop les magasins, quel est l'intérêt d'y aller?"

* les prénoms ont été changés

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