Les évolutions à la direction du leader mondial du nautisme ainsi que les décalages de livraisons en raison des tensions sur les approvisionnements font pression sur le cours de Bourse (-30%) depuis le début de l’année. Pourtant, la demande dans le nautisme et l’habitat de loisir reste très soutenue et le groupe a confirmé mi-mai ses prévisions annuelles : une croissance de 11 à 14% du chiffre d’affaires à 1360-1400M€ pour un résultat opérationnel courant de 110-120M€ (+15 à 25% vs. 2021). Cela correspondrait à un record historique en termes d’activité, mais pas en termes de résultats puisque le Groupe avait atteint 152 M€ de ROC en 2008. A l’époque, le cours de l’action était deux fois supérieur. Entretien avec son nouveau directeur général, en poste depuis le 17 juin. 

Bruno Thivoyon, le fait que vous preniez la direction générale, après avoir occupé la direction financière et être passé par Valeo, signale-t-il que les évolutions stratégiques et les transformations opérationnelles sont derrière vous et qu’il s’agit plutôt maintenant d’optimiser la performance financière du Groupe ?  

"Il s’agit surtout d’une double nomination, dans la continuité du plan stratégique Let’s Go Beyond ! 2020-2025, puisque le départ de Jérôme de Metz s’accompagne aussi, entre autres, de la nomination de Gianguido Girotti déjà Directeur Général délégué, en qualité de Directeur Général de la division Bateau. En tant que Directeur Général, je vais avec l’aide de Gianguido poursuivre la trajectoire sur laquelle Jérôme de Metz a lancé le Groupe Beneteau, à savoir assoir le succès de l’ensemble du Groupe sur un portefeuille de marques et de sites industriels rationnalisés et une diversification dans de nouveaux métiers de services. Les chantiers sont bien lancés mais les leviers d’amélioration sont encore très loin d’être épuisés. Notre profitabilité va encore progresser cette année, malgré les tensions sur les approvisionnements, et nous ambitionnons toujours de renouer avec une marge opérationnelle à deux chiffres avant 2025." 

Une empreinte industrielle et un portefeuille de marques rationnalisés (source : présentation des résultats 2021) 

Comment les équipes gèrent-elles les pénuries et la balance d’inflations de votre carnet de commandes estimé à environ 2 milliards d’euros ? Où en est votre stock de bateaux quasi-finis sur lequel vous avez dû alerter il y a quelques semaines ? 

"Dès 2020 nous avons estimé que l’inflation serait un phénomène durable, ce qui nous a amené à répercuter dans nos tarifs, dès juin 2020, les anticipations d’inflation de nos prix de revient. Notre modèle économique a changé depuis le Covid. Nous commençons la saison avec des carnets de commandes de bateaux à livrer au-delà de la saison en cours et qui incluent les phénomènes d’inflation anticipés. Notre balance inflation a été positive en 2021 et le restera en 2022. Il est clair que notre nouvelle stratégie de maison des marques au service du Groupe, en évitant une guerre des prix internes, facilite ces pratiques tarifaires. Enfin, les tensions sur les approvisionnements nous demandent en effet un gros travail d’adaptation et de flexibilité, mais les choses se sont stabilisées ces dernières semaines. Nous en sommes toujours à environ 600 bateaux quasi-finis, certaines livraisons sont décalées d’où notre prudence sur l’atterrissage de fin d’année que nous avons confirmé lors de notre dernière publication." 

Voyez-vous une accalmie du côté de la demande ? 

"Le carnet de commandes du groupe à fin mars (facturé depuis le début de l'exercice et livrable au-delà de 2022) s'inscrivait en hausse de 47% par rapport à fin mars 2021. Il n’a pas été impacté directement ou indirectement par le conflit russo-ukrainien, zone géographique où nous réalisons moins de 1% de nos ventes. Nous n’avons pas enregistré d’annulations et jouissons d’une visibilité inédite. " 

Une dynamique de lancements continue (source : présentation des résultats 2021) 

Sur le segment dynamique et très bataillé du catamaran, vous avez lancé la marque Excesss puis pris des participations dans le sous-traitant tunisien Magic Yacht et la société de charter Dream Yacht Charter, deux acteurs de la filière un temps convoitées par deux grands challengers, Fountaine Pajot et Catana. Est-ce un concours de circonstances ou le souhait de réaffirmer votre place de n°1 sur ce segment ? 

eNous avons effectivement repris l’initiative et renforcé notre leadership après avoir été impacté sur ce segment lors de la cyber-attaque qui nous a touchés début 2021, et après avoir lancé notre nouvelle marque de catamarans Excess en 2020, l’année de la crise sanitaire.  

Les sociétés charter dans lesquelles nous sommes entrés au capital, Dream Yacht Charter et Navigare Yachting, nous apportent dans un premier temps un contact plus direct avec le client utilisateur, tout en gardant une architecture ouverte au niveau de la flotte de bateaux. Concernant Magic Yacht, nous avons pris une petite participation dans ce sous-traitant qui sera dédié aux bateaux à moteur jusqu’à 40 pieds, ce que l’on appelle le day boating. Quant à Excess, axé voile sensation là où notre leader mondial Lagoon occupe un positionnement premium, la marque prend son véritablement envol cette année. Après 2 modèles Excess 11 et 15, elle lance l’Excess 14 qui représente un fort potentiel sur un marché du catamaran qui devrait rester sur une croissance à deux chiffres dans les prochaines années." 

Quelles sont vos ambitions dans les nouveaux métiers de services, en aval du marché nautique ? 

"Les activités de la nouvelle division Boating Solutions que nous consolidons par mise en équivalence (participations minoritaires) devraient totaliser 240 M€ de chiffre d’affaires en 2022 et sont en croissance.  

Aux Etats-Unis, nous voyons un potentiel avec Your Boat Club d’atteindre rapidement les 100 M$ de chiffre d’affaires en conservant une rentabilité à deux chiffres. Nous sommes déjà passés de 24 à 31 bases nautiques depuis notre prise de participation, et nous poursuivons les plans de développement sur la côte Est.  Nous visons une prise de contrôle majoritaire sur ce métier.  

Sur le métier de charter, nous sommes encore en phase d’apprentissage, de rationalisation des prix, des investissements, des localisations. Le potentiel y est plus élevé mais il est encore trop tôt pour savoir si et quand ambitionner une prise de contrôle, mais notre objectif est de devenir un leader mondial capable consolidant des parts de marchés. La profitabilité de ces métiers de service ne doit pas diluer celle des activités historiques du Groupe. " 

L’emploi des ressources financières dégagées dans la croissance externe est-il encore nécessaire ? Le rachat de vos propres titres sur le marché ne serait-il pas plus créateur de valeur pour l’actionnaire ? 

"Il est vrai que nous avons les ressources financières pour consolider nos marchés historiques. Nous regardons les opérations qui nous sont présentées, mais sauf opportunité de réaliser une opération très stratégique, nous préférons aujourd’hui nous concentrer sur l’intégration des nouveaux métiers, des nouveaux sites de production et de notre portefeuille de marques rationnalisé. Quant au cours de Bourse, il est clair qu’il ne reflète pas du tout nos perspectives, mais nous préférons préserver le flottant en limitant nos rachats d’actions à nos programmes d’actions gratuite et d’options d’achat d’actions du management du Groupe." 

(Source : présentation des résultats 2021) 
L'Auteur est actionnaire de la société