Thierry Lambert, Aix-Marseille Université (AMU)

La liste était déjà longue : Offshore Leaks, Panama Papers, Paradis Papers, LuxLeaks, ou Open Lux. Il faut désormais ajouter à ces révélations celles des Pandora Papers. Cette nouvelle enquête a été réalisée, comme les précédentes par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Les fins limiers ont dépouillé 11,9 millions de documents. La nouveauté tient au fait que sept présidents et quatre premiers ministres en exercice, un ancien président du Fonds monétaire international et des centaines de responsables politiques sont cités. Le montant des avoirs dissimulés serait de 11 300 milliards de dollars, soit environ 9 400 milliards d’euros.

Les Caraïbes, le Luxembourg, les îles Vierges, l’État américain du Delaware, où le président Joe Biden a fait sa carrière, restent les territoires sur lesquels la fraude peut s’épanouir. Le secret bancaire conjugué au secret des affaires, les sociétés-écrans et les sociétés d’investissement, comme BlackRock, ont pris des positions stratégiques attirant le produit de la fraude et de tous les trafics. La financiarisation des économies facilite les opérations.

Ce qui a déjà été fait

Cependant, il serait faux de considérer que rien n’a été fait depuis la crise de 2008. Les différents G20, depuis celui de Londres en 2009, expriment avec constance une volonté politique de renforcer l’échange d’informations à des fins fiscales dans un souci de transparence mais aussi de combattre l’érosion des bases d’imposition, ou encore de contrarier l’utilisation abusive des conventions fiscales qui conduit certains contribuables ingénieux à être en situation de double non-imposition. L’échange automatique de renseignements est une réalité.

À l’initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), depuis 2018, une norme commune de déclaration (NCD) a permis d’échanger des renseignements sur 47 millions de comptes à l’étranger, pour une valeur totale de 4 900 milliards d’euros. L’initiative d’échange automatique de renseignements, inscrit dans 4 500 conventions fiscales bilatérales, représente un mouvement d’échanges d’informations sans précédent. Tout ceci ne doit pas être sans conséquence sur le contrôle fiscal et les recettes publiques qui, notamment, financent des services et participent à la vie économique du pays.

Ce qui se fait actuellement

À la demande du G20, l’OCDE a conçu quinze actions dans le cadre de son plan Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) et mis en place une convention multilatérale pour la mise en œuvre de mesures relatives aux conventions fiscales. L’objectif est de prévenir l’érosion de la base d’imposition et des transferts de bénéfices vers des États à fiscalité privilégiée et où, généralement, le secret sous toutes ses formes est cultivé.

Il s’agit là de lutter contre le « chalandage fiscal » (treaty shopping), qui fait partie de l’ingénierie fiscale des entreprises qui choisissent de localiser les profits en fonction de la fiscalité des pays. Cet exercice nous place dans la zone grise de l’évasion, avec le risque d’aboutir à « une double non-imposition », comme le souligne l’OCDE. Autrement dit, le profit ou le produit n’est ni taxé dans le pays de la source ni dans le pays de destination où il sera appréhendé.

La convention multilatérale vise également à lutter contre la manipulation des prix de transfert, c’est-à-dire les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées.

Les États signataires ont la possibilité d’émettre des réserves, faisant qu’une partie de la convention peut ne pas être appliquée. Il est possible que les standards proposés soient déjà dans le droit interne de l’État, ce qui rend inutile le dispositif de la convention, ou que l’État ne souhaite pas appliquer une partie du texte.

Par exemple, la Chine a posé des réserves sur toute la partie de la convention ayant trait à l’arbitrage car elle considère que cette « justice privée » porte atteinte à sa souveraineté. Cette position de principe dépasse la question fiscale.

Les États qui ont signé la convention ont envoyé un message politique fort, mais pour beaucoup d’entre eux, celle-ci n’est pas encore ratifiée, notamment par les parlements nationaux.

Il est donc trop tôt pour porter un jugement définitif sur la mise en œuvre de la Convention. Laissons le temps aux États d’intégrer les nouvelles dispositions dans leur droit conventionnel, de modifier éventuellement leur droit interne et leurs pratiques administratives.

Ce qu’il reste à faire

Ces initiatives multilatérales laissent cependant plusieurs questions essentielles en suspens. Comment rendre plus transparentes, sauf à les interdire, les sociétés-écrans qui dissimulent le ou les bénéficiaires effectifs d’une distribution de bénéfices ? Comment faire pour que les sociétés d’investissements dévoilent, un plus qu’elles ne le font, les personnes physiques et morales qui y participent ?

Le droit des sociétés, le droit bancaire et le droit des affaires, qui restent pour l’essentiel des droits d’abord nationaux, doivent encore être modifiés par aller plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale. Tout ceci n’a de sens que si le chantier est ouvert au niveau mondial. Ces difficultés juridiques pourraient être surmontées avec une volonté politique, mais il faudra effectivement compter sur les résistances et les oppositions de ceux qui, aujourd’hui, vivent du système.

Les exigences de transparence pourraient également être renforcées dans la lignée des initiatives lancées depuis 2008. Les administrations fiscales nationales pourraient en outre se montrer réactives, avec des procédures allégées et des échanges plus fluides. L’harmonisation des procédures d’investigation et de contrôle faciliterait en outre la lutte contre la fraude. Or, nous en sommes encore loin.

Enfin, les sanctions applicables pourraient être renforcées en interdisant par exemple toute forme de négociation des amendes et des pénalités. La privation des droits civiques, ou encore rendre public les noms et qualités des fraudeurs pourraient également être mis en œuvre.

Un pas vient d’être fait en matière d’harmonisation fiscale avec l’accord sur l’impôt minimum mondial sur les multinationales à 15 %. À ce jour, 136 pays, dont l’Irlande qui proposait un taux inférieur pour attirer les sociétés sur son territoire, en ont accepté le principe.

Le principe de cet accord est d’avoir une taxation pays par pays, sans compensation possible entre les entités. Autrement dit, le profit réalisé en Espagne sera imposé dans ce pays, sans compensation possible avec une perte générée en Italie. Cette solution évite qu’avec des montages les multinationales aillent loger leurs profits dans des États particulièrement attractifs. C’est toute l’architecture mondiale de la fiscalité qui se trouve ainsi affectée.

En attendant d’aller plus loin, il est probable que le Consortium de journalistes publie de nouvelles révélations quant à la fraude fiscale internationale. Une fois la convention multilatérale de l’OCDE et l’impôt minimum de 15 % en place, elles pourraient être moins nombreuses… même si l’on ne peut pas exclure qu’il restera encore quelques trous dans la raquette.The Conversation

Thierry Lambert, Professeur de droit fiscal, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.