Paris (awp/afp) - Carrefour dans le viseur: le groupe canadien Couche-Tard a dévoilé mercredi une offre "en vue d'un rapprochement amical" avec le distributeur français et ce dernier va désormais l'"examiner", sans garantie en l'état que ces discussions aboutissent.

La révélation de "discussions préliminaires" entre Couche-Tard et Carrefour, dans la nuit de mardi à mercredi par l'agence Bloobmerg, confirmée dans la foulée par les entreprises, en a surpris plus d'un.

Voilà un groupe à 44,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur le dernier exercice annuel (2019-20), spécialisé dans la vente d'essence (plus de 70% de ses ventes) et les magasins de petit format, intéressé par un géant de la distribution alimentaire, historiquement fort sur les très grandes surfaces et qui a réalisé près de 81 milliards d'euros de ventes en 2019.

"Couche-Tard est habitué à grossir par acquisitions mais cela n'a jamais été des fusions de cette taille", observe Clément Genelot, spécialiste du secteur de la distribution à Bryan, Garnier & Co.

Le groupe, qui compte plus de 130.000 employés dans le monde (contre 320.000 pour Carrefour), créé au Québec en 1980, s'est en effet établi aux États-Unis au début des années 2000, en Europe du Nord en 2012 puis sur le marché asiatique fin 2020 via de multiples acquisitions externes.

Mercredi, il a annoncé avoir "récemment soumis à Carrefour une lettre d'intention non-engageante en vue d'un rapprochement amical". Ce, en proposant un prix de 20 euros par action qui valoriserait le distributeur français à plus de 16 milliards d'euros hors une dette de plusieurs milliards d'euros que devrait également reprendre le groupe canadien.

"Les termes de la transaction sont toujours en cours de discussions (...) mais la rémunération proposée devrait en grande majorité être en numéraire", a précisé Couche-Tard, qui se montre toutefois prudent: "il n'y a aucune certitude" quant au fait que ces discussions "déboucheront sur un accord ou une opération".

"Pas de synergies"

Dans une communication interne au groupe Carrefour, que l'AFP a pu consulter mercredi, le distributeur français a déclaré qu'il allait "examiner le projet" pour savoir s'il est dans son intérêt.

"Plusieurs conditions déterminantes devront être satisfaites", selon la même source, notamment le fait de "permettre une accélération du développement du groupe", d'"avoir du sens pour l'ensemble de ses parties prenantes, en particulier les collaborateurs du groupe et être créateur de valeur".

C'est justement la question que se posaient les spécialistes du secteur mercredi: "on ne voit pas de synergies sur la chaîne d'approvisionnement ou la logistique" dans le cas d'un rapprochement, estime Yves Marin, expert du secteur de la distribution au sein du cabinet Bartle.

Pour Couche-Tard, l'opération pourrait toutefois présenter l'avantage de s'appuyer sur un maillage géographique plus complet, puisqu'il n'y a qu'en Pologne que les deux enseignes sont toutes deux présentes. Elle permettrait en outre de diversifier ses sources de revenus, alors que l'essor de la voiture électrique menace à terme ses ventes de carburants.

En outre, un autre spécialiste du secteur estime que "face à Amazon et consorts", les volumes d'investissements à réaliser par les distributeurs "sont colossaux". "Il y a donc obligation de trouver une forme d'alliance".

De son côté Carrefour, toujours en interne, dit voir dans cette approche la preuve du "bien-fondé de la transformation lancée il y a trois ans" par son PDG Alexandre Bompard, visant à en faire "le leader mondial de la transition alimentaire pour tous", en appuyant notamment sur le développement du bio.

Ayant "retrouvé une trajectoire de croissance rentable", il dit désormais "pouvoir envisager de participer à des opérations de consolidation si les conditions de marché sont réunies", est-il encore indiqué. Mais le groupe du CAC 40, dont l'action a bondi mercredi de 13,4% sur la séance, se montre lui aussi prudent.

D'autant que son statut de "premier employeur privé" de France, encore affiché début décembre par Alexandre Bompard, confère au dossier une tonalité très politique dans l'Hexagone, même si, sans synergies, l'opération ne semble a priori pas menacer l'emploi.

afp/rp