Euroapi est au milieu de deux grands courants contraires. D'un côté la souveraineté industrielle, douloureusement mise en lumière pour l'industrie pharmaceutique pendant la pandémie de coronavirus, et de l'autre la propension des grands laboratoires pharmaceutiques à se séparer de leurs activités les moins rentables.

Car si Sanofi a procédé au spinoff d'Euroapi, c'est que cet actif n'est pas au niveau de rendement des autres branches du laboratoire. La marge d'exploitation 2022 de l'entreprise fraîchement entrée en bourse est attendue à 6,7%, quand son ancienne maison-mère devrait afficher près de 29%. Le marché des principes actifs pharmaceutiques est largement embouteillé et très mature, ce qui est synonyme d'activité en faible croissance et de marges modestes. Pendant des années, les majors du secteur ont délégué à tours de bras à des producteurs tiers à bas coûts la production des ingrédients primaires. Si bien qu'actuellement, environ 60% des sites de production d'API sont localisés en Chine et en Inde. D’où, par exemple, la polémique sur l'absence de production de paracétamol en Europe. Les études montrent que 20% des API utilisées sur le vieux continent étaient produites en Chine et en Inde en 1980, contre 80% en 2020.

Comment est structuré le marché ?
Les acteurs de l'API dans la chaîne de valeur pharmaceutique (Source Présentation Euroapi 01/04/2022)

Une entreprise à mettre à niveau

Euroapi peut donc jouer la carte de la localisation européenne, voire de la relocalisation puisque c'est dans l'air du temps. L'entreprise de 3350 salariés compte en effet six sites de production sur le vieux continent. Financièrement, l'historique est limité. La société a dégagé 902 M€ de revenus en 2021. Les analystes qui suivent la valeur (au nombre de 6 actuellement) s'attendent à une croissance moyenne des revenus de 10% cette année puis de 5 à 6% par an par la suite (ce qui est la norme du secteur pharmaceutique dans son ensemble). Pour dynamiser les ventes, la croissance externe peut constituer une planche de salut valable. Mais ce levier est difficile à activer dans un secteur où les valorisations sont en général très élevées.

Quant aux résultats, la marge d'Ebitda devrait passer de 12% cette année à 18% en 2024. La hausse de la rentabilité est la principale histoire boursière qu'Euroapi a à raconter. Comme le montre le tableau ci-dessous, le groupe est à la traîne de ses comparables cotés. Si Lonza fait figure d'extraterrestre du secteur, avec ses marges élevées grâce à une expertise inégalée dans des domaines pointus, ont peut assez facilement comparer Euroapi au suisse Siegfried, qui officie en partie sur les mêmes métiers et dont la marge d'Ebitda est supérieure à 20%. Le Français ambitionne d'ailleurs d'atteindre plus de 20% de marge d'Ebitda en 2025, c’est-à-dire de rejoindre les standards du marché.

Les comparables de la société (Source Présentation Euroapi)
Les comparables de la société (Source Présentation Euroapi 01/04/2022)

Reste que si Sanofi a laissé sa filiale voler de ses propres ailes sans l'alourdir d'une dette, la génération de cash-flows est faiblarde, puisque la totalité (et même davantage) a été consommée par les investissements ces dernières années. Le management explique que les frais d'émancipation ont pesé, mais le redressement s'annonce lent : le cash-flow libre devrait remonter autour de 73 M€ en 2024, selon les analystes qui suivent le dossier.

Tout à prouver

Côté Sanofi, on comprend assez vite l'intérêt d'une telle opération, d'autant que le groupe conserve 30% du capital du façonnier, qui restera un partenaire privilégié, du moins à moyen terme. C'est une façon pour la "big pharma" de concentrer ses activités, même si Euroapi était une goutte d'eau dans le périmètre (1/40e du chiffre d'affaires en une part encore plus négligeable des résultats). Sanofi peut consacrer ses investissements à la stratégie qui fait recette depuis plusieurs années maintenant, monter des partenariats avec des biotechs prometteuses, à l'image des accords passés avec Genzyme (rachetée depuis) ou Regeneron (dont est issu le Dupixent, devenu le médicament le plus vendu de Sanofi).

Introduite à 12 EUR il y a un peu plus d'un mois, la société a bénéficié depuis de son statut plutôt défensif et d'un appel d'air favorable pour progresser quand le marché dans son ensemble piquait du nez. Les dirigeants, eux, accumulent des titres depuis l'IPO, ce qui est au pire une opération de communication engagée, au mieux un signal positif. Pour autant, le dossier porte surtout des promesses pour le moment, puisqu'il n'est ni suffisamment dynamique pour être une valeur de croissance, ni suffisamment bon marché pour être une valeur décotée. C'est un peu le cas de la plupart des pharmas, mais les marges d'Euroapi sont assez éloignées des standards sectoriels. Reste la thématique de la relocalisation de l'approvisionnement, dont on parle beaucoup mais qui a parfois du mal à se concrétiser devant l'attrait du Made in Asia. Chassez le naturel…