Genève (awp) - Certaines caisses de pension romandes sont tiraillées entre la nécessité d'intégrer des critères durables dans leur portefeuille de placement, le besoin de rendement et l'impuissance à rendre des sociétés plus vertueuses. L'exclusion d'entreprises n'est cependant pas la solution, ont convenu jeudi des spécialistes de l'investissement lors du Geneva Forum for Sustainable Investment (GFSI).

La transparence n'est pas encore l'apanage de la finance durable, a souligné Angela de Wolff en introduction de la manifestation genevoise. "Il existe une méfiance entre détenteurs et gestionnaires d'actifs", a constaté la cofondatrice de la société d'investissement Conser, qui co-organise le GFSI.

Dans une jungle où se mêlent acteurs sincères et adeptes de l'écoblanchissage ("greenwashing"), certaines caisses de pensions romandes fournissent des efforts afin de verdir leur portefeuille. Urgence climatique oblige, la composante écologique prend de plus en plus le pas sur la responsabilité sociale et la gouvernance dans les critères durables ou ESG.

Certains ont changé sous la pression, comme Retraites Populaires, dont les locaux lausannois ont été occupés en mars 2019 par des grévistes du climat. "Cela a été un facteur d'accélération pour nous", a expliqué Jean-Christophe Van Tilborgh, directeur de l'investissement du gérant d'actifs vaudois, à l'occasion d'une table ronde.

Au moment de fixer une charte ESG, Retraites Populaires - dont les volumes gérés atteignent 24 milliards de francs suisses - a toutefois refusé de totalement décarboniser son portefeuille, par exemple en excluant des géants pétroliers, comme Shell, BP et consorts.

La caisse de pension du Comité international de la Croix Rouge à Genève, plus modeste avec 1,5 milliard et 4000 assurés actifs, a également choisi cette voie. "Nous nous sommes demandés si les énergies fossiles représentaient un risque de réputation majeur pour le CICR. Nous avons estimé que ce n'était pas le cas", a expliqué la directrice Sophie Cathala.

Dilemme du petit actionnaire

Ne pas exclure les entreprises polluantes mais les inciter à devenir plus vertueuses: c'est en essence le concept de l'"engagement". En tant qu'actionnaire, une caisse de pension peut ainsi faire pression sur la direction d'une société en portefeuille, par exemple pour réduire son empreinte carbone.

L'exercice connait cependant ses limites, surtout lorsqu'on est un petit actionnaire, comme l'a souligné Sophie Cathala. "Vous n'allez pas rencontrer le CEO et rendre la société plus vertueuse. Il faut rester modeste", a-t-elle lancé. Dans le cas d'une entreprise récalcitrante, une exclusion pure et simple peut ainsi être envisagée.

Directeur des investissements de la Caisse de prévoyance de l'Etat de Genève, Grégoire Haenni a rappelé le rôle de fondations comme Ethos, qui fédèrent les petits actionnaires pour augmenter leur impact. "Le politique a également son rôle à jouer" pour tenter d'infléchir la stratégie environnementale de multinationales, selon lui.

Et M. Haenni de rappeler que le géant des matières premières Glencore a pris récemment des engagements pour rendre l'exploitation du cobalt plus responsable en République démocratique du Congo, non sous la pression des actionnaires mais celle des créanciers du groupe zougois.

L'immobilier est le domaine dans lequel les entreprises disposent de la plus grande marge de manoeuvre, en qualité de propriétaires directs des biens. Avec un parc d'une valeur de quelques 5 milliards de francs suisses, Retraites Populaires est un acteur majeur dans le canton de Vaud, a rappelé Jean-Christophe Van Tilborgh.

Pour le spécialiste, il faut cependant trouver le bon équilibre entre les investissements - coûteux - pour améliorer l'efficience énergétique des bâtiments et la nécessité de dégager des rendements intéressants. En raison de ces contraintes, la caisse de pension du CICR n'aura pas "nettoyé" son portefeuille immobilier avant dix ans, a considéré Sophia Cathala.

La 11e édition du Geneva Forum for Sustainable Investment est organisée par le groupe de communication Voxia et Conser.

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