Photos par Pascal POCHARD

FURIANI (awp/afp) - "On espère que ça va durer", mais "on a conscience que ce n'est pas le produit de l'avenir": à Furiani (Haute-Corse), la Manufacture corse des tabacs est depuis 2016 la dernière usine de cigarettes de France, avec 850 millions d'unités produites par an.

Autour de Nicolas Bernard, 49 ans, un ouvrier spécialisé travaillant depuis 20 ans à la Macotab, des machines secouent le tabac avant de le glisser dans le papier cylindrique, d'y ajouter un filtre puis de réunir les cigarettes par lot de 20.

Elles sont ensuite enveloppées d'une feuille d'aluminium pour préserver la fraîcheur du tabac, puis d'un emballage en carton et d'un film plastique. Les paquets sont ensuite regroupés par 10 dans une cartouche filmée.

"Je suis arrivé ici par hasard, via l'intérim", raconte à l'AFP Nicolas Bernard. Ce non-fumeur, passionné de sports de montagne, apprécie "de travailler un produit naturel. Il faut faire avec la qualité du tabac qui peut être changeante".

"Un peu comme le vin, il y a des assemblages de différentes variétés", complète le directeur du site Thierry Jourdan, comparant l'action de son ouvrier "à la mise en bouteille" en viticulture.

Quant à l'avenir de cette industrie "plutôt en déclin en Europe", "quelle usine en France sait ce qu'elle fera dans trois ans?", interroge M. Jourdan, également directeur de l'usine Seita du Havre qui importe et traite le tabac.

Le tabac "est la première cause de mortalité évitable" en France, selon Santé publique France, qui estime le nombre de décès dus au tabac à 75.000 par an et avance qu'"un fumeur régulier sur deux meurt des conséquences de son tabagisme".

La France a interdit la publicité pour le tabac, et nombre de manufactures ont fermé, se transformant en lieux culturels (Marseille) ou même en université (Lyon).

L'usine corse, la dernière qui fabrique des cigarettes en France depuis la fermeture de celle de Riom (Puy-de-Dôme) en 2016, emploie aujourd'hui sur 10.000 mètres carrés 30 salariés, contre 143 au début des années 1980.

Créée en 1961, elle appartient au groupe Seita (Société d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes), ancien monopole français des tabacs privatisé en 1995, lui-même filiale du géant britannique Imperial Tobacco, et produit des cigarettes pour la Corse et d'autres régions de France.

Marché parallèle

"L'essentiel de la fabrication des cigarettes en Europe se fait aujourd'hui en Allemagne et en Pologne", avec respectivement 150 et 114 milliards d'unités produites par an, précise à l'AFP Basile Vezin, directeur de la communication du groupe Seita.

Mais "aujourd'hui, le marché parallèle est notre premier concurrent", explique M. Vezin, rappelant qu'en France, il pèse 36% des cigarettes consommées - un paquet sur trois -, avec "50% de contrefaçons et 50% de contrebande et achat frontalier".

Plusieurs usines clandestines ont d'ailleurs été démantelées en France en 2022 et en janvier à Rouen (Seine-Maritime).

En décembre dernier, le ministre des Comptes publics Gabriel Attal avait dévoilé un plan triennal de lutte contre les trafics de tabac: selon les statistiques des douanes, de 284 tonnes en 2020, les saisies de tabac de contrebande s'étaient établies à plus de 600 tonnes (dont les deux tiers de cigarettes) sur les 10 premiers mois de 2022.

Mais Thierry Jourdan déplore également "le manque d'harmonisation fiscale entre les différents pays européens": un paquet vaut environ 5 euros en Espagne ou 6,50 euros en Sardaigne contre 8,50 euros en Corse et 10,50 dans l'Hexagone --sachant que le prix d'un paquet français se répartit entre 84% de taxes, 10% pour les buralistes et le reste pour les fabricants et distributeurs.

En Corse, un régime d'exception datant d'un décret de Napoléon Bonaparte de 1811 permettait d'avoir des prix 25% moins chers que ceux du Continent mais le projet de loi de finances 2020 en a acté la fin. Depuis 2022, le paquet de cigarettes vendu sur l'île doit valoir au moins 80% de celui dans l'Hexagone et le prix doit augmenter chaque année de 5% jusqu'à atteindre 95% en 2025.

Pour autant, "32% des 18-75 ans déclaraient fumer en 2021", selon Santé publique France.

mc/mdm/iw/as/juf