d'abstention

PARIS (awp/afp) - Plus d'un électeur sur deux a boudé les urnes dimanche pour le premier tour des élections législatives, un nouveau record qui alerte sur la fatigue démocratique du pays et, à tout le moins, sur le désintérêt des Français pour un scrutin désormais éclipsé par la présidentielle.

Après le précédent record de 2017 (51,3%), le taux d'abstention devrait être de 52,1% selon Harris interactive pour M6/RTL, 52,3% selon Ipsos/Sopra Steria pour FranceTV/RadioFrance/France24/RFI/LCP, 52,5% selon Elabe pour BFMTV/L'Express/RMC et Ifop pour TF1/LCI, et 53,2% selon OpinionWay pour Cnews et Europe 1.

A l'issue d'un premier quinquennat d'Emmanuel Macron déjà marqué par des records d'abstention aux élections locales, et notamment la Bérézina des régionales de 2021 (66,72%) sur fond de crise Covid, 25 millions de Français ont ainsi choisi dimanche... de ne pas choisir leur député.

"C'est un chiffre historique, c'est la 2ème fois sous la Ve République, hors référendum, qu'à un scrutin national une majorité de Français n'est pas allé voter, c'est absolument vertigineux", déplore le sondeur de l'Ifop Frédéric Dabi.

"Véritable claque"

"Dans un pays éminemment politique, comme le nôtre qui est passionné par la chose publique, qui croit en cette capacité du politique à changer les choses, ce chiffre sonne comme une véritable claque", s'inquiète-t-il sur LCI.

Huit semaines après un premier tour de la présidentielle qui avait été marqué par une participation honorable (26,3% d'abstention), le rebond aura donc été de courte durée.

Les politologues avancent une explication structurelle à cette rechute: la présidentielle demeure l'élection reine de la Ve République, la seule qui compte vraiment aux yeux des électeurs, et les législatives, surtout depuis l'inversion du calendrier qui les a placées depuis 2002 dans la foulée de celle-ci, peinent de plus en plus à mobiliser.

Depuis 1993 (30,8%), l'abstention au premier tour des législatives ne cesse de croître et le mouvement s'est encore nettement accentué depuis 2007 (39,6%) et 2012 (42,7%) et surtout depuis 2017 (51,3%).

"Depuis la réforme du quinquennat, on voit bien que beaucoup d'électeurs se demandent si, après s'être mobilisés pour l'élection présidentielle, c'est utile d'aller voter pour les élections législatives", résume le sondeur (Elabe) Bernard Sananès sur BFMTV.

Mais "d'autres raisons plus spécifiques à cette élection" sont avancées par le directeur délégué d'Ipsos Brice Teinturier: "la campagne a été extrêmement personnalisée autour de Jean-Luc Mélenchon et d'Emmanuel Macron, donc les électeurs du Rassemblement national ont été un peu plus spectateurs", "l'attractivité d'Emmanuel Macron beaucoup plus faible qu'en 2017" et le fait que "les Français ont jugé massivement que la campagne était inexistante ou décevante".

"Pas de mobilisation par le haut"

Pour le politiste Vincent Tiberj, il faut incriminer sur ce dernier point la stratégie délibérée des macronistes "de faire une campagne discrète, peu politisée", et même une "tentative d'étouffer le débat" de la part de la majorité.

"S'il n'y a pas de mobilisation par le haut, par les partis, à l'exception de la Nupes, par les médias, il ne faut pas s'étonner que les gens ne votent pas", insiste le professeur de Sciences Po Bordeaux.

D'autant qu'"à ce jeu de l'abstention, Emmanuel Macron perd moins que les autres car plus elle est forte, plus elle est défavorable à ses principaux concurrents, la Nupes et le Rassemblement national, qui ont besoin du vote des jeunes et des classes populaires", souligne-t-il.

Pour la Nupes, l'enjeu est désormais de tenter de les remobiliser mais "une semaine, c'est très court", fait remarquer Vincent Tiberj.

Depuis 2002, l'abstention a toujours augmenté entre les deux tours et en 2017, elle avait même bondi de six points pour atteindre le record absolu (pour des législatives) de 57,36%.

Mais au-delà de ces considérations électorales à court terme, "c'est un enjeu important pour la démocratie qu'on puisse apporter des réponses à ce problème grandissant de l'abstention", souligne Bernard Sananès.

Vincent Tiberj pointe lui aussi "les limites de la démocratie représentative" mis en évidence par cette forte abstention, avec des "députés qui vont avoir une faible légitimité" et un "mode de scrutin qui n'est plus en adéquation avec les équilibres politiques du pays".

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