Washington (awp/afp) - C'est une grande année qui pourrait devenir glorieuse pour Hanneke Schuitemaker, directrice de la découverte de vaccins chez Johnson & Johnson: le vaccin du laboratoire contre Ebola vient d'être approuvé en Europe, et depuis janvier, elle a quasiment carte blanche sur le vaccin contre le coronavirus, responsable de la pire pandémie que la Terre ait connue depuis un siècle.

"Cela va vous paraître bizarre car on a conscience de ce qui frappe le monde, mais il faut presque être un peu schizophrène, n'est-ce pas?", dit la scientifique néerlandaise à l'AFP depuis son domicile, où elle télétravaille.

"La pandémie apporte son lot de tragédies, mais c'est sensationnel de travailler sur un vaccin en ayant des décisions rapides, du budget pour faire presque tout ce qu'on veut, en un temps record".

Tueur comme rarement un virus ne l'a été récemment, le coronavirus représente pour des milliers de scientifiques comme Hanneke Schuitemaker la plus belle opportunité professionnelle de leur vie, avec potentiellement des millions de vies sauvées à la clé.

La virologue de 50 ans était universitaire avant de rentrer chez Janssen en 2010, rachetée peu après par Johnson & Johnson.

Elle travaille à Leiden, aux Pays-Bas, et dirige les 160 personnes qui, depuis janvier, ont sélectionné parmi plusieurs candidats le vaccin expérimental sur lequel le groupe va tout miser.

Dans quelques jours, il sera injecté pour la première fois à des volontaires aux Etats-Unis, après des participants belges cette semaine.

"Nous avons véritablement utilisé chaque minute", dit cette fille d'un ingénieur et d'une comptable, qui a commencé sa carrière en oncologie avant de bifurquer rapidement, en 1989, vers des recherches sur le VIH, le virus à l'origine du sida.

Mais quand on travaille sur les vaccins, les victoires sont rares.

Il aura fallu une deuxième épidémie d'Ebola en 2014 pour que les essais cliniques soient repris et conduits à terme. Quant au vaccin contre le VIH, les essais sont en cours, mais il faudra attendre 2021 pour les résultats.

Comment fêterait-elle l'évènement si un deuxième vaccin, celui contre le coronavirus, était approuvé dans l'année, après celui contre Ebola?

"Je prendrais immédiatement ma retraite!", répond-elle en plaisantant, évoquant son "addiction" à son travail.

"Le summum de ma carrière"

Les enjeux sont vertigineux: le gouvernement américain a donné 456 millions de dollars à Johnson & Johnson en mars, dans l'espoir d'obtenir des centaines de millions de doses d'ici janvier 2021. Un pur pari, répété avec d'autres sociétés, dans l'espoir qu'au moins l'un des vaccins marche.

La technologie est fondée sur les travaux du professeur Dan Barouch, au Beth Israel Deaconess Medical Center d'Harvard: un virus qui cause de petits rhumes (l'adénovirus 26) est modifié afin qu'il produise, après avoir pénétré les cellules humaines, des protéines propres au coronavirus, afin que le système immunitaire monte ses défenses.

Dès février, les premières doses expérimentales ont été fabriquées à Leiden par une petite équipe dirigée par une autre femme, Rinke Bos, 44 ans.

"J'ai l'impression que cela fait un an, je me souviens à peine de janvier", raconte-t-elle.

Elle aussi exhale ce mélange d'assurance et d'excitation qui fait tenir les chercheurs pendant des mois sur un rythme d'enfer.

"Scientifiquement, c'est extrêmement intéressant. C'est quand même un nouveau virus, ça n'arrive pas tous les jours", dit-elle.

Des vaccins concurrents sont plus avancés, aurait-elle préféré être en premier? "Je ne dis jamais le premier, on veut juste qu'il soit le meilleur", répond Rinke Bos.

Johnson & Johnson sera de toute façon incapable de produire des milliards de doses. "J'espère que les vaccins des autres sociétés fonctionneront car nous aurons besoin de plusieurs vaccins pour vacciner toute la planète".

Imagine-t-elle le jour où les résultats montreraient que le vaccin protège les humains comme les singes sur lesquels il a été testé? "Ce serait le summum de ma carrière", répond Rinke Bos. Après ça, "je suis sûre que je trouverai autre chose à faire pour m'occuper".

afp/al