Dans un rapport publié le 10 septembre, Hindenburg Research accuse l’entreprise d’être une fraude à grande échelle et met en doute sa capacité à révolutionner l’hydrogène. Le cabinet de recherche spécialisé explique que cette fraude serait basée sur un tissu de mensonges du P-DG, Trevor Milton, afin de lever de l’argent frais et signer des partenariats avec les poids-lourds de l’automobile dans l'objectif de rattraper Tesla et en filigrane, de profiter de l’engouement pour les véhicules propres.

Dans l’affaire Nikola, il n’est pas question de manipulation comptable comme ça a pu être le cas avec Wirecard récemment. D’ailleurs, l’exercice pourrait être assez compliqué puisque l’entreprise n’a pas encore vendu un seul véhicule et affiche donc un chiffre d’affaires ridicule par rapport à sa valorisation de 13,5 milliards de dollars. Non, il s’agirait plutôt de la construction d’une fausse réalité quant à la capacité de Nikola à révolutionner le monde de l’hydrogène et celui des véhicules propres. 

Dans ce décryptage, je ne vais pas m’attarder sur l’ensemble des allégations de Nate Anderson. D’abord parce que je serais bien en peine de tout vérifier et certaines me semblent moins importantes. Pour cela, je vous laisse examiner le rapport original en anglais que vous retrouverez sur ce lien. Bien qu’il se base sur des preuves comme des “appels téléphoniques enregistrés, des SMS, des courriels privés et des photos prises en coulisses”, notre rôle ici est de rester objectif et de ne pas foncer tête baissée sur une position short de Nikola, car oui, l’auteur du rapport possède une position vendeuse sur l’action. 

Commençons par un bref point sur la chronologie des derniers événements sur l’action Nikola. 

Le 8 septembre 2020, Nikola annonce un partenariat stratégique avec General Motors qui a pris 11% du capital pour 2 milliards de dollars. Cette news fait grimper l’action Nikola de près de 41% en une seule séance… avant qu’elle ne s’effondre de 35% dans les jours suivants, sur fond de spéculation alimentée par la publication le 10 septembre du rapport Hindenburg Research. Dès le lendemain, Nikola dément les accusations du cabinet de recherche, indique que la start-up n’a rien à cacher et que ce rapport est uniquement destiné à manipuler le prix de l’action à la baisse. Le fabricant de camions a également indiqué avoir pris contact avec la commission américaine des opérations de bourse (SEC) pour lui indiquer son intention de coopérer pleinement sur l’enquête relative aux 53 questions posées par Nate Anderson.

Le 14 septembre, Nikola publie un communiqué répondant point par point à une partie des interrogations soulevées par Hindenburg Research. Alors qu’elle était attendue en baisse de près de 10% avant l’ouverture de Wall-Street, l’action Nikola rebondi de plus de 11% après les réponses de Trevor Milton. Le même jour, General Motors vole à la rescousse de son petit protégé en affichant sa confiance dans le partenariat conclu avec Nikola. Est-ce sincère ou est-ce simplement pour ne pas perdre la face si la société n’avait pas fait son devoir de diligence ? En attendant, Nikola chute de 7% aujourd’hui. 

Bloomberg - Graphique intraday de Nikola en 30 minutes sur 10 jours 

Bien que j’ai dit plus haut que nous n'irions pas dans le détail, nous allons tout de même examiner les allégations qui font beaucoup parler.  

Parmi elles, on retrouve l’argument qui brocarde une vidéo promotionnelle mettant en scène le camion Nikola One à l’état de marche… alors que son moteur n’était pas encore fonctionnel. 

La vidéo a généré un certain buzz et de l’excitation quant à l’annonce sur la sortie des unités de test en 2019. Néanmoins, ces unités de test n’ont pas vu le jour et d’après un ancien employé qui a discuté avec l’ingénieur en chef de Nikola, Kevin Lynk, la vidéo est habilement tournée sur une route en pente, pour donner une impression de vitesse au camion. Bloomberg avait déjà mis en évidence l’exagération des capacités du camion Nikola au mois de juin de cette année.

Source : Rapport Hindenburg Research

Nikola s’est défendu en indiquant que la vidéo était publiée sous le titre “in motion” et que par conséquent, cela n’induisait pas que le camion devait se mouvoir par son propre chef.

La société ajoute que cette vidéo n’est plus tellement d’actualité puisque d’autres images montrent des camions Nikola en état de marche.

Source : communiqué Nikola en réponse au rapport Hindenburg

Par ailleurs, Travis Milton, le frère du fondateur, a été nommé au poste clé de Directeur de la production d'hydrogène/infrastructure alors qu’il opérait auparavant en tant qu’indépendant dans le bâtiment et la construction. Tout comme d’autres nominations, sa légitimité à occuper un poste crucial est remise en question.

Enfin, Worthington et ValueAct, des bailleurs de fonds, ont vendu des actions pour des sommes importantes. Worthington a par exemple vendu 237 millions de dollars d'actions en deux jours en juillet (soit plus de 25% de sa participation) et 250 millions de dollars supplémentaires en août d’après le rapport de Nate Anderson. 

Source : SEC Filings 

ValueAct a également vendu 1,4 millions d’actions pour près de 60 millions de dollars le 11 août dernier.

Bloomberg - Transaction d’initiés sur Nikola

Notons enfin que Trevor Milton s'est bien assuré de ne pas couler avec le navire. D’après le rapport d’Hindenburg Research, il a encaissé 70 millions de dollars à l'occasion de l'introduction en bourse de Nikola et a modifié le délai de blocage de ses actions, qui est passé d'un an à 180 jours. S'il est licencié, ses actions sont immédiatement acquises et il a le droit de percevoir 20 millions de dollars sur deux ans. Le fondateur semble donc avoir posé les bases pour traire la vache à lait avant de tenir ses promesses.

Totale imposture ou difficultés à révolutionner le monde du transport ? Coup de com’ pour Hindenburg ou convictions sincères ? L’affaire Hindenburg  contre Nikola n’en restera sûrement pas là. Le cabinet de recherche spécialisé vient de publier ses réponses au dernier communiqué de Nikola qu’il voit comme une admission tacite de fraude. L’enquête de la SEC devrait nous en apprendre davantage et nous vous tiendrons informé de la suite, elle est généralement plus rapide que ses homologues européennes.