Snowflake est un spécialiste de la gestion de données dans le cloud. Ses solutions de data analytics rencontrent un inestimable succès commercial auprès de clients qui peuvent agréger, transférer, mutualiser et ordonner d’énormes quantité de données sur une multitude de plates-formes différentes sans recourir à des API compliquées à mettre en place ou des protocoles d’échange forcément vulnérables. La data centralisée peut ainsi être distribuée à une multitude d’acteurs qui orbitent autour du centre… une organisation en "flocon de neige", qui a naturellement inspiré le patronyme de la société. La souplesse de l'offre permet aussi à des tierces parties de se greffer sur cet écosystème pour y développer et y vendre leurs propres solutions à grande échelle. Il y a donc là un effet plateforme qui garantit à la fois l'ubiquité de la solution et érige de belles barrières à l’entrée. On retrouve d'ailleurs Snowflake chez le triumvirat du cloud mondial, Amazon, Microsoft, Google.

Une IPO largement médiatisée

Les fées se sont penchées sur le berceau de l'entreprise qui fêtera cette année ses dix ans. En 2012, le patron du fonds de capital-risque Mike Speiser était allé chercher deux français d'Oracle, Benoît Dageville et Thierry Cruasnes, pour créer la société. Il y eut d'ailleurs pas mal de cocoricos à ce sujet autour de l'IPO. Et quelques commentaires plus acérés soulignant qu'une fois de plus, c'est dans la Silicon Valley que s'épanouissent les créateurs hexagonaux. Parmi les fées, figurait Berkshire Hathaway, qui a investi dès l'IPO. Plutôt inhabituel car Berkshire ne participe traditionnellement jamais aux entrées en bourse. Un investissement assurément entrepris sous la responsabilité d’un des deux lieutenants de Warren Buffet (Todd Combs ou Ted Weschler) plutôt que Buffett lui-même. Peut-être ont-ils été séduits par les taux de croissance démentiels affichés par la société, apanage de plusieurs IPO du secteur technologique de cette période.

Il ne faut pas oublier que Snowflake avait été valorisée 3,5 Mds$ en 2018, puis 12,4 Mds$ début 2020 et enfin 33,3 Mds$ sur la base du prix d'IPO de 120 USD. Autant dire que les fonds de capital-risque présents au capital ont réalisé une excellente opération, meilleure à coup sûr que les actionnaires entrés sur le dossier depuis, si l'on fait exception des souscripteurs de l'IPO ou de ceux qui sont sortis depuis dans un timing approprié. Dans ce type d'opération, il est toujours bon de réfléchir aux motivations des vendeurs et des acheteurs.  

De 400 à 126 USD en six mois

La suite est bien plus chaotique, avec deux interludes au-delà des 400 USD l'action. Depuis le dernier pic du mois de novembre dernier, l'action n'a cessé de dégringoler jusqu'à toucher un point bas à 126 USD il y a quelques jours, à peine au-dessus donc du cours d'IPO. La division par trois de la capitalisation boursière en six mois a conduit certains analystes audacieux à comparer Snowflake en 2022 à Google post-crise financière, lorsque le géant de la tech avec un monopole sur la recherche web cotait à ses plus bas historiques. Mais avec une différence majeure : ex-cash et ventures, Google cotait à 10 ou 12 fois ses profits de l'époque, alors que Snowflake n’a jamais fait rentrer le moindre centime en caisse et s'échange à 20 fois ses revenus.

Depuis l'IPO, le titre fait largement moins bien que le S&P500 ou un techno-aristocrate comme Microsoft
Depuis l'IPO, le titre fait largement moins bien que le S&P500 ou un techno-aristocrate comme Microsoft

La dimension spéculative reste donc très forte et toute comparaison précipitée semble fantaisiste. Il faut raison garder. Plutôt que Google, la comparaison la plus immédiate serait davantage avec Amazon : IPO en 1997 à 18 USD par action, cours qui bondit à 105 USD en deux ans pendant la bulle des dotcom, puis chute brutale à 6 USD. Il aura fallu une décennie entière pour que le cours de l’action Amazon remonte à ses plus hauts précédents. Il est parfois utile de se rappeler que derrière les success-story, il n'y a pas toujours un long fleuve tranquille.

29 fois les profits 2029

Le management communique cependant des projections très ambitieuses : 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires d’ici 2029, soit un revenu multiplié par cinq en sept ans, avec une marge de profit cash (free cash-flow) de 15%. Même en se reposant sur ces projections du management (forcément optimistes), le retour sur investissement attendu d’ici là est tout à fait insuffisant pour envisager une telle prise de risque. Surtout si l'on tient compte de l’inévitable dilution causée par les pléthoriques paiements en stock-options, qui ont représenté 600 M$ l'année dernière, soit la moitié du chiffre d'affaires attendu cette année. Cette tendance à surrémunérer les dirigeants et les salariés est désormais une pratique bien ancrée dans le secteur technologique.

Des promesses encore compliquées à valoriser
Estimations des résultats attendus ces prochaines années (Zonebourse / S&P Capital IQ, 28 analystes en moyenne)

L'objectif de Snowflake est d'atteindre l'équilibre opérationnel l'année prochaine, avant de dérouler le plan jusqu'à ces fameux objectifs 2029. Mais supposons que les projections du management soient correctes : le profit cash devrait atteindre 1,5 Md$ dans sept ans, soit un multiple de 29 fois les résultats si l'on se fonde sur la capitalisation actuelle (dans ce schéma, notez que nous n'intégrons pas la dilution née des stock-options). Sur cette base, la valorisation apparaît raisonnable pour une entreprise en très forte croissance, si les taux restent bas. Mais comme on parle là du profit réalisé en 2029, le dossier a tout à coup l'air moins sexy. On notera, c'est déjà ça, que les imposantes réserves de la société devraient la mettre à l'abri d'une levée de fonds une fois que le cash-burn ne sera plus négatif.  

Bref, Snowflake conserve un indiscutable caractère spéculatif même après correction. Les initiés semblent d’ailleurs penser de même puisque le CEO Frank Slootman a vendu pour 600 M$ de titres pile-poil au pic de valorisation, comme d’ailleurs son directeur financier Michael Scarpelli, qui lui a vendu 241 M$ de titres. Les actions parlent plus que les déclarations et pour l'instant, Snowflake aura surtout enrichi ses premiers investisseurs et son management.