PARIS (awp/afp) - Le marché du jeu vidéo a beau atteindre des sommets, les médias spécialisés ont du mal à survivre et leurs journalistes s'interrogent sur l'avenir.

Fin juin, l'annonce par TF1 de la cession de son pôle numérique Unify à Reworld Media (Auto Plus, Grazia, Science&Vie), a suscité l'émoi dans le monde du jeu vidéo, faisant craindre pour le devenir de Gamekult.

Lancé en 2000, le site spécialisé reste très apprécié de sa communauté de lecteurs et d'abonnés, qui l'identifient comme l'un des rares à enquêter sur l'industrie du jeu vidéo.

"Reworld va forcément s'immiscer dans leurs affaires", estime un collaborateur du groupe de presse auprès de l'AFP, sous couvert d'anonymat.

Parti à la conquête du jeu vidéo fin 2021 en faisant l'acquisition de Melty (La Crème du Gaming, SuperSoluce, et GameLove), Reworld a accéléré en début d'année en achetant Eclypsia, une marque historique du esport, et JeuVideo-Live.com, plus généraliste. D'ici cinq ans, le groupe compte prendre la deuxième place du podium français sur la thématique, occupé aujourd'hui par Webedia, avec le portail JeuxVideos.com, ou Breakflip, détenu par l'agence de communication WSC.

Mais ses méthodes qui visent à rentabiliser au plus vite des sites acquis au rabais ont du mal à passer. "Le site +La Crème du Gaming+ est dégueulasse, il y a des pubs partout, de nombreux bugs", et "comme tout est externalisé chez Reworld, ça ne sert à rien de le signaler", critique la même source.

"Reworld se présente comme une énorme structure, mais ca continue souvent d'être très amateur en interne", appuie un autre salarié du groupe. "Presque toutes les semaines, quelqu'un démissionne ou fait un burn-out", affirme-t-il.

"Inquiétants"

S'ajoutent à cela des retards de paiement pour les freelance.

Interrogé à ce sujet, le co-fondateur de Reworld, Jérémy Parola, concède "quelques ratés au moment du paiement", mais il défend "la plateforme technique et la puissance publicitaire du groupe, qui lui permet d'être "plus performant" faute d'avoir "une recette éditoriale miracle".

Le dirigeant se veut également rassurant sur la singularité de Gamekult et ses 12.000 abonnés. "Le modèle payant est ultra-vertueux", assure-t-il, à condition qu'il implique "la création de nouveaux services pour que les abonnés aient envie de payer un peu plus".

Contactées, les équipes de Gamekult n'ont pas répondu aux sollicitations de l'AFP. Selon Valentin Cébo, parti au printemps de la rédaction, des "signes inquiétants" étaient déjà apparus avec le rapprochement annoncé de Gamekult et du portail tech Les Numériques, et le déménagement dans la tour TF1.

L'inquiétude des journalistes est renforcée par l'accélération des difficultés des médias du secteur: le magazine Canard PC vient de réduire sa pagination et a supprimé 3 postes, en raison de l'explosion des prix du papier.

Jeuxvideo.fr, détenu par Clubic, a mis la clé sous la porte en mai, 7 ans jour pour jour après avoir fermé une première fois.

Vidéo et streaming

Selon un représentant français d'un grand éditeur de jeux, "la presse spécialisée est toujours celle qui structure les histoires. Mais de nouveaux médias ont émergé", notamment vidéo. Résultat, des rédacteurs se sont transformés en vidéastes, comme Julien Chièze et Carole Quintaine (plus de 800.000 abonnés sur YouTube) ou Gauthier Andres (Gautoz) sur Twitch.

"Pour un éditeur, c'est beaucoup plus intéressant d'envoyer les codes d'un jeu à des streamers. L'audience est plus large et le regard un peu moins critique", estime la journaliste Julie Le Baron, ancienne de Canard PC.

"La plupart des journalistes vont tenir 5 ou 10 ans, mais au bout d'un moment, si la rémunération ne suit pas, tu réfléchis à des changements", estime Valentin Cébo.

"Pendant très longtemps, c'était une vision de rêve d'être payé pour jouer à des jeux vidéo, ce qui était réducteur", conclut un des journalistes de Reworld. "Mais ces dernières années, de moins en moins de personnes voient le métier de journaliste comme un aboutissement."

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