Streaming is the new normal 

Tous les acteurs du secteur se mettent au streaming : Apple, Amazon et maintenant Disney depuis quelques années. Il aura fallu moins de 3 ans à Disney pour rattraper Netflix, ce qui souligne la qualité de l’exécution et la puissance du catalogue hors-du-commun de Disney. La société a annoncé que le nombre total d'abonnements Disney+ était passé à 152,1 millions au cours du troisième trimestre fiscal, supérieur aux 147 millions prévus par les analystes.

Nombre d'abonnés Disney+ par trimestre depuis 2020 : 

Source : Statista 

Si l’on agrège ces données aux utilisateurs de ces filiales Hulu et ESPN+, on obtient un nombre d’abonnés supérieur à Netflix (221 millions d’abonnés contre 220 pour Netflix à la fin du premier semestre 2022). Attention cependant au nombre d’abonnés qui est présenté de manière avantageuse par Disney ainsi au profit faible généré par les abonnés, comme en parle mon collègue Louis dans cet article

Source : The Walt Disney Company

Le marché du streaming se consolide progressivement avec Disney et Netflix en tête (220 millions d’abonnés chacun), Amazon Prime Video (120 millions), Warner Bros Discovery (92 millions) et Paramount (43 millions) derrière. Ne pas oublier YouTube Premium en embuscade (25 millions). 

Vu la qualité des catalogues de Disney, de Warner Bros Discovery (qui possède HBO et la bibliothèque de Discovery) et de Paramount, Netflix fait un peu figure de parent pauvre bien qu’il ait été un pionnier et un first-mover dans le streaming. 

Encore une fois, il faut saluer la performance de Disney qui exécute parfaitement. Ils sont parfaitement en ligne avec leur objectif fixé en 2020 d’atteindre 300 millions d’abonnés en 2023. Pendant ce temps, la croissance de Netflix patine (elle perd même des abonnés).

Ces bonnes nouvelles donnent un peu de répit au CEO Bob Chapek sous le feu des critiques après une actualité quelque peu tumultueuse (« woke agenda », conflit avec le gouverneur DeSantis en Floride où Disney a son plus grand parc, etc.) Chapek succède à deux CEO d’exception (Michael Eisner et Bob Iger), on imagine la pression qu’il a sur les épaules. Mais s’il transforme l’essai du streaming, il aura mérité son entrée au panthéon des CEOs de génie chez Disney. 

Au dernier trimestre, le segment streaming/DTC (direct-to-consumer) a généré 5,1 milliards de dollars de revenus, soit toujours moins que le segment TV traditionnel (7,2 milliards de dollars) et que le segment parcs d’attraction (7,4 milliards de dollars). Il y a aussi l’activité de licencing qui génère 2,1 milliards de dollars de revenus. Cela dit, le segment DTC est en très forte croissance : il devrait dépasser 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année alors qu’il générait à peine 3 milliards il y a quatre ans. 

C’est d’ailleurs le seul relais de croissance puisque les autres activités sont matures - très profitables certes - mais matures. 

Cela dit ce segment DTC/streaming n’est pas en breakeven et continue de générer des pertes : 1 milliard de dollars sur le dernier trimestre et déjà 2,5 milliards de dollars sur les neuf derniers mois. L’inflation continue des investissements dans la production de nouveaux films n’arrange pas la donne. Initialement Disney avait budgété 17 milliards de dollars d’investissements cette année. En réalité, ce sera plutôt 30 milliards de dollars. Ces investissements s’inscrivent dans une véritable « course à l’armement » entre les grands noms du streaming. 

La concurrence à l’écart 

Cela dit, entre tous, Disney est celui avec la meilleure position compétitive car outre sa bibliothèque de contenus unique au monde et de loin la plus séduisante pour un public jeune et familial (+gros consommateur de contenus) ses autres business très profitables (TV et parcs) lui permettent d’autofinancer le développement de son offre DTC. Amazon prend un gros risque en détournant les ressources de son core business retail vers l'entertainment, même si Amazon possède la plus grande base de clients au monde avec un accès direct à leur carte de crédit. Netflix est dépendant des marchés de capitaux pour continuer à financer sa croissance. WarnerBrosDiscovery entend « milker » à fond ses bibliothèques HBO et Discovery mais le groupe est très endetté et marche sur un fil. Derrière Paramount a une carte de niche à jouer mais n’a pas l’échelle pour faire face (cela dit ce n’est pas un concurrent direct de Disney). 

Third Point au capital 

Dans ce contexte, on se gratte un peu la tête avec la récente prise de position de Third Point Capital dirigé par l'investisseur de légende Daniel Loeb au capital. En réalité, cela ressemble plus à une simple campagne marketing pour booster le prix de l’action et faire un « coup » (exactement comme Loeb l’a fait avec ce même Disney en 2020) qu’à une réelle campagne activiste. Tout d’abord parce que le montant investi par Third Point est modeste (un milliard de dollars), ensuite parce que les propositions de Loeb n’ont pas vraiment de sens (il suggère un spin off de ESPN+ qui est un véritable joyau de la couronne). En effet, ESPN diffuse la NFL, la NBA, la MLB et le PGA et fournit un énorme incentive aux chefs de famille pour souscrire à Disney+ car ESPN vient en bundle (« ok je prends Disney pour les gosses et comme ça je pourrais mater le sport »). Et en ce sens, c’est une offre commerciale très intelligente.

Une industrie pérenne ? 

En tout cas avec Disney, comme avec les autres, plane toujours la question de savoir s’il y aura oui ou non une récompense au bout de tous ces efforts ou si cette industrie du streaming n’est pas l’une des destructions de valeur les plus épiques de l’histoire du capitalisme. Il y a tellement de contenus gratuits sur internet et puis le pricing power des acteurs est pour certains de plus en plus faible (avec des coûts de substitution faibles comme en parle mon collègue Xavier Delmas dans cette vidéo). D’autant plus que le coût de production des nouveaux contenus explose. 

L’effet flywheel de Disney 

Après avoir beaucoup discuté de l’étoile montante Disney+, comprenons que The Walt Disney Company, c’est bien plus que du Streaming. Les différents business de l’entreprise cohabitent et interagissent avec une certaine efficience. 

Source : TitleMax

Walt Disney avait compris bien avant tout le monde la valeur qui peut résider dans l’optimisation d’un parcours utilisateur. Chaque service est pensé pour répondre à la satiété des petits et des grands en matière de magie et de dépaysement. Rien que sur son offre “Parcs et expériences” (parcs d’attraction, croisières, villages de vacances, etc), Disney possède de nombreuses franchises qui attirent les clients qui se déplacent pour l’évènement. Une journée Disney est alors organisée lors des vacances. Le but pour les parents, offrir du rêve à leur enfant et regoûter à la magie de l’enfance. L’entreprise possède un flywheel effect (comprenez une force inertielle) bien huilé. A chaque nouvelle saga, le succès des films attire les clients dans les parcs. Les visiteurs repartent avec des produits dérivés : peluches, mugs et déguisements. Les produits dérivés créent des souvenirs qui occupent l’espace attentionnel des visiteurs chez eux. Ils ont alors envie de continuer à consommer la magie “Disney”. Disney+ prend le relai de cet élan inertiel bien pensé pour leur offrir toujours plus de contenus à regarder en attendant le prochain film. 

En témoigne le schéma ci-dessous réalisé par Walt Disney en personne en 1957. Il avait alors défini les bases de l’entreprise dans un croquis réalisé sur une serviette de table et connu sous le nom de Synergy Map. La Synergy Map de Disney est un cycle vertueux de son écosystème commercial. 

Vous l’aurez compris, la force de la société réside dans cette capacité à conserver le client dans la boucle qui va lui même transmettre cette envie de consommer “Disney” à sa progéniture. 

Valorisation 

Niveau valorisation, honnêtement, c’est impossible de mettre un prix à Disney au vu de la complexité et de la faible visibilité. Sur la base d’un P/E classique, l’action n’apparaît pas spécialement attractive. En plus, la profitabilité est sous pression pour les raisons évoquées plus haut et il y a une difficulté à réconcilier les profits GAAP avec les cash-flows. Une somme des parties n’aurait pas de sens car Disney n’est certainement pas à vendre en pièces détachées. C’est un tout qu’il faut embrasser ou laisser de côté. A vous de choisir. 

En bref 

Nous avons affaire ici à une entreprise extrêmement bien gérée avec des avantages compétitifs de tous les côtés (image de marge, catalogues de contenus, flywheel, etc). La société est d’ailleurs bien armée dans la course au streaming. Cependant, il y a toujours un doute sur la viabilité de cette industrie.

Évolution du chiffre d'affaires trimestre par trimestre sur les douze dernières années :

Source : Statista 

De plus, Disney est certes une société solide sur le long terme mais avec une croissance un peu molle. Il y a peut être mieux à faire avec son argent. A méditer.