Commençons par un constat sans appel. Parmi les plus gros fabricants de vaccins du “monde d’avant” (Pfizer, Merck & CO, Sanofi et GlaxoSmithKline) seul Pfizer a su tirer son épingle du jeu dans cette course effrénée. GSK et Sanofi, sans avoir abandonné, ont déjà perdu beaucoup de temps et de terrain. Ils ont annoncé conjointement le 11 décembre 2020 “un retard dans leur programme de vaccin adjuvanté à protéine recombinante contre la Covid-19” faute d’avoir trouvé le bon dosage d’antigènes, ce qui a rendu insuffisante la fabrication d’anticorps chez les personnes de plus de 49 ans. Le groupe français a par ailleurs annoncé le 27 janvier prêter main forte à la société allemande BioNTech dans la mise en flacon des doses de sérum de la jeune pousse allemande alliée de Pfizer, puis tout récemment apporter son appui à Johnson & Johnson. L’injure et l’outrage ?

D’un point de vue purement factuel, résumons la situation ainsi : à l'heure où 11 vaccins sont passés à la phase III de test clinique, seule une “big-pharma” sur les quatre a su répondre présent très rapidement. Ce manque de réactivité sonne comme un constat d’échec. Il se traduit en partie dans les cours desdites sociétés. Ainsi , depuis le 1er janvier 2020, elles affichent toutes une performance négative comprise dans une fourchette allant de -13 à -28%.

Mais on remarque également que les performances boursières de Pfizer,Astrazeneca et Johnson & Johnson depuis le 20 janvier 2020 ne sont pas particulièrement brillantes alors que tous trois ont passé la phase III avec succès. Johnson & Johnson a été préféré à Astrazeneca pour la campagne vaccinale sud-africaine, car son vaccin a été jugé plus efficace sur le virus mutant africain. L’américain Pfizer a quant à lui connu des retards de livraisons et des frictions logistiques dues à des contraintes de conservation basse température mais aussi à des engagements difficiles à honorer sur le plan des quantités de vaccin à livrer. Bref, une accumulation d’événements inattendus qui ne font pas nécessairement des premiers arrivés les gagnants définitifs.

Pour s’en assurer, il suffit de comparer la performance de Pfizer et Johnson & Johnson avec leur indice de référence le S&P 500 health care. Il ne suffit pas de trouver le vaccin et d’être innovant, il faut aussi qu’il puisse arriver jusqu’au patient.

Pfizer et Johnson & Johnson ne font pas mieux que l’indice S&P 500 Healthcare (sector)
  • Les grands gagnants de l’année 2020

Parmi les grands gagnants de cette course à l’innovation en revanche, BioNTech, Moderna et Novavax ont connu des performances records comme l'attestent les graphiques ci-dessous. En effet, selon Airfinity, Moderna et Novavax dépasseront les trois grands en terme de nombre de vaccins vendus. Les parcours boursier sont d’autant plus pentus que ces entreprises accèdent à un nouveau statut avec leurs succès médicaux.

Les performances de Novavax sont telles que nous sommes contraint de changer d’échelle
  • Comment expliquer le manque de réactivité des grands laboratoires

Comme le souligne le Financial Times, la nouvelle technologie ARN-m a bouleversé les délais habituellement nécessaires avant la commercialisation. Or, Merck, GSK et Sanofi accusaient un lourd retard dans la R&D de ce type de technologies. Mais la prise de risque était importante étant donné que jusqu’à présent, aucun vaccin de ce type n’avait atteint le stade de la commercialisation. En fait, la crise du Covid a été une opportunité pour ces entreprises innovantes qui ont su en profiter pour demander des financements aux institutions gouvernementales, ce qui a joué un rôle de catalyseur dans la mise au point de leurs technologies. Cela a permis aux programmes en cours d’accélérer et aux entreprises qui n’étaient pas présentes sur le marché des vaccins d’accéder à des financements et de se positionner.

Dans un contexte ultra-concurrentiel, où les décisions se prennent dans un environnement incertain, les grands groupes ont fait le choix de partir de leurs technologies déjà éprouvées par le passé et dont les circuits de distribution étaient déjà bien établis. A posteriori, le pari n’a pas été gagnant pour Merck par exemple, qui est désormais complètement hors course. Toutefois, peut-on complètement disqualifier cette stratégie ? Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas si longtemps, des questions se posaient sur les possibilités de mise à l’échelle de la distribution des vaccins ARN-m.

Toutefois, d’autres pistes sont aussi évoquées pour expliquer le retard des grands groupes pharmaceutiques. Ces derniers auraient eu peur de perdre au change en se détournant de leurs activités principales et en allouant des ressources démesurées à la recherche d’un vaccin. De fait, ils ont raté le coche à cause de process lourds et de technologies préexistantes.

  • Conclusion : quelles préconisations pour favoriser l’innovation ? 

L’épisode 2020 aura démontré que les structures les plus lourdes ont généralement eu du mal à s’adapter. Le modèle américain de financement de la biotechnologie a en revanche prouvé son efficacité. L’Europe a des arguments à faire valoir, comme le démontre le positionnement de BioNTech, même si c’est un laboratoire américain qui a joué le rôle d’accélérateur pour la biotech allemande. 

Il existe des pistes d’amélioration en France, où les rapports entre la recherche, l’industrie et la finance sont plus complexes qu’ailleurs. Après tout, l’hexagone compte des entreprises innovantes et quelques pépites à appuyer (parmi les sociétés cotées, Valneva illustre bien la situation, puisque l’entreprise a dû aller taper à d’autres portes avant de faire sortir les autorités françaises de leur léthargie). 

Dans un rapport soumis par le Conseil d’Analyse Économique au cabinet du premier ministre, l’économiste Margaret Kyle fait un état des lieux de l’industrie pharmaceutique moderne. Elle souligne la complexité des processus d’innovation et émet une liste de huit recommandations qui visent notamment à optimiser les mécanismes incitatifs dans les politiques publiques.

Il ressort de ce rapport que dans un contexte où les biotechnologies apparaissent comme la technologie du futur et où les besoins d’innovations dans ce domaine sont importants, les contingences économiques de court terme entrent parfois en contradiction avec le temps nécessairement long de la recherche fondamentale. De plus, le pont entre la recherche académique et la recherche appliquée n’est pas optimal malgré les efforts de partenariats entre universités et entreprises qui ont pu être fait ces dernières années. Pour Margaret Kyle, la recherche fondamentale est à la source de toute innovation potentiellement commercialisable et des efforts doivent-être fait pour la favoriser via des mécanismes incitatifs et des partenariats entre universités et entreprises. Sans surprise, les entreprises les plus innovantes sont les plus jeunes et celles qui disposent le moins de possibilités d’autofinancement et encore moins de la capacité de diversifier leurs risques en investissant dans plusieurs projets. Le financement de ces entreprises innovantes types start-up passe donc presque exclusivement par le capital-investissement. Ce marché du capital investissement connaît des problèmes d'asymétrie d’information et par conséquent, des difficultés à rendre optimal le ratio rendements espérés / risque, ce qui tend à faire que les investisseurs se détournent des projets de long terme. De plus, le montant important des capitaux nécessaires pour la recherche suggère que des politiques d’investissement efficaces ne peuvent se faire qu’à l'échelle européenne.

Vous trouverez ci-dessous les recommandations émises par l’économiste du CAE 

  • Recommandation 1. “Augmenter les fonds publics alloués à la recherche fondamentale et poursuivre les efforts visant à renforcer les collaborations entre les universités et les start-ups”.
  • Recommandation 2. Réserver les financements publics aux essais cliniques avec des normes élevées de preuve scientifique”. 
  • Recommandation 3. “Au niveau européen, permettre l’élaboration de contrats dont la durée de l’exclusivité commerciale varie en fonction du degré d’innovation du médicament”.
  • Recommandation 4. “Pour certaines pathologies jugées prioritaires, lancer des concours d’inno­vations pharmaceutiques, et s’engager à l’avance de manière crédible à en financer le montant. 
  • Recommandation 5. “Améliorer la cohérence des règles de fixation du prix en France et permettre leur évolution sur la base des données en vie réelle. Encourager l’expérimentation de contrats de rémunération à la performance et d’autres nouveaux modes de fixation des prix”.
  • Recommandation 6. Soutenir l’initiative du European Health Data Space, pour un partage de données au niveau européen afin de développer la recherche et l’évaluation de nouveaux médicaments par les agences de santé. Poursuivre le travail d’ouverture des données au sein du Health Data Hub au niveau national”.
  • Recommandation 7. “Mettre en place un interlocuteur unique pour les porteurs d’innovation, afin d’améliorer la cohérence et fluidifier les exigences des différentes institutions impliquées dans le développement d’un nouveau médicament”.
  • Recommandation 8. “Évaluer l’efficacité des dernières mesures visant à favoriser la substitution vers les génériques (LFSS 2019) afin de faire jouer la concurrence et de libérer le budget pour les dépenses en médicaments innovants”.
Les différents acteurs dont les vaccins sont à un stade avancé ou validé et les 4 big Pharmas (Source : zonebourse.com)