par Tom Perry et Suleiman Al-Khalidi

BEYROUTH/AMMAN, 22 mai (Reuters) - Un temps relégués au second plan par l'accord de cessation des hostilités signé par leurs rivaux nationalistes, les combattants djihadistes en Syrie repartent à l'offensive contre les forces de Bachar al Assad en profitant de l'effondrement du processus diplomatique.

La branche syrienne d'Al Qaïda, le Front al Nosra, était exclue du cessez-le-feu entré en vigueur en février et des négociations de paix indirectes qui ont suivi à Genève. Mais les pourparlers sont au point mort depuis les violents combats qui ont eu lieu le mois dernier à Alep et dans ses environs.

Discret dans les premiers jours de cessation des hostilités, le Front al Nosra se montre à nouveau sur le champ de bataille et a mené plusieurs attaques récentes contre des milices pro-gouvernementales près de la grande ville du nord de la Syrie, déclarent ses commandants et d'autres rebelles.

Avec d'autres brigades islamistes, la filiale d'Al Qaïda a également ressuscité Djaïch al Fatah (l'Armée de la Conquête), une alliance militaire de divers groupes islamistes qui a engrangé d'importantes victoires contre le régime en 2015.

"Djaïch al Fatah est de retour, mais plus fort cette fois, et notre objectif est de nous étendre aux principaux fronts en Syrie", déclare Abou Chaimaa, un commandant du Front al Nosra, interrogé par Reuters dans la province d'Idlib (nord-ouest), tenue par les rebelles.

Les factions islamistes doivent encore surmonter leurs divergences. Selon une source rebelle haut placée, l'alliance est bien présente sur un front mais les discussions se poursuivent pour l'élargir.

"Dans le sud d'Alep, il y a bien une salle d'opérations mais l'objectif (est de la copier) sur tous les fronts actifs", dit cette source.

LE TOURNANT DE KHAN TOUMAN

D'autres sources rebelles livrent différentes versions quand au degré d'implication des divers groupes au sein de l'alliance, notamment d'Ahrar al Cham, puissant groupe rebelle très probablement soutenu par la Turquie qui constituait une importante composante du Djaïch al Fatah l'année dernière.

Ahrar al Cham a soutenu le processus politique enclenché à Genève mais a toujours pris ses distances avec les vains efforts diplomatiques pour obtenir un arrêt complet des raids aériens, l'acheminement de l'aide humanitaire, ou des échanges de prisonniers.

Le groupe a uni ses forces avec le Front al Nosra, pour prendre une ville alaouite le 13 mai dernier dans la province de Hama, mais les deux groupes n'opéraient pas sous la bannière de Djaïch al Fatah.

La capture, le 6 mai, d'une autre ville, Khan Touman au sud d'Alep, a en revanche été ouvertement attribuée à Djaïch al Fatah, les rebelles identifiant le Front al Nosra et un autre groupe, Djund al Aksa, comme les principales forces sur le terrain.

Selon des sources rebelles, le Front al Nosra et ses alliés se sont déployés au sud d'Alep, en provenance d'Idlib, pour faire échec aux efforts du gouvernement pour couper en deux le territoire aux mains de la rébellion.

Le cheikh Abdoullah al Mohaissany, un islamiste radical sunnite de nationalité saoudienne, a sonné la mobilisation à Idlib. Une vidéo sur YouTube le montre exhortant tous les hommes de plus de quinze ans à rejoindre le djihad.

Selon un habitant du quartier où se tenait ce rassemblement, environ 300 jeunes gens se sont inscrits ce jour-là, et répartis ensuite dans divers groupes du Djaïch al Fatah.

Le chef d'Al Qaïda, Ayman al Zaouahri, a également envoyé un message audio dénonçant le processus de Genève et invitant les djihadistes à s'unir.

"UN INDICATEUR DANGEREUX"

Du côté des groupes nationalistes réunis sous le sigle de l'Armée syrienne libre (ASL), qui jouent un rôle de premier plan dans le processus de négociations parrainé par Washington et Moscou, on affirme avoir encore l'avantage sur le Front al Nosdra dans des régions importantes, à commencer par la ville d'Alep et le sud de la Syrie proche de la frontière jordanienne.

Les groupes de l'ASL combattent depuis plusieurs semaines à la frontière turque l'organisation Etat islamique, également exclue de l'accord de cessation des hostilités, et ont repoussé dans le même temps trois offensives gouvernementales au nord d'Alep, déclare Zakaria Malahefji, chef du bureau politique d'un de ces groupes, baptisé Fastakim.

L'ASL avertit qu'elle ne reprendra pas les discussions de paix indirectes avec Damas tant qu'elle n'aura pas constaté d'amélioration sur le terrain.

Un autre commandant de l'ASL a déclaré que le rôle primordial joué par le Front al Nosra dans de récentes batailles était un "indicateur dangereux" de la direction que prendra le conflit en cas d'échec total de la diplomatie.

"On entend parler d'une restructuration de Djaïch al Fatah, particulièrement après la victoire de Khan Touman", a-t-il dit. "L'absence d'horizon politique et d'aide, ou de quoi que ce soit qui pourrait soulager la population, augmente la probabilité d'une reformation de Djaïch al Fatah et d'une alliance avec Al Nosra."

La reprise des hostilités est une bonne chose pour la branche syrienne d'Al Qaïda, estime Noah Bonsey, analyste à l'International Crisis Group: "Cela lui donne de la crédibilité, alors que la cessation semble affaiblir sa crédibilité et souligne le fossé entre Al Nosra et le reste de la rébellion." (Jean-Stéphane Brosse pour le service français)