L'A321 est un appareil singulier. C'est le plus gros avion de la famille A320, le best-seller d'Airbus qui comprenait à l'origine les appareils A318, A319, A320 et A321. Ces avions sont à la fois des biréacteurs (par opposition à un A340 ou un A380, qui sont des quadriréacteurs) et des monocouloirs, c’est-à-dire qu'ils comptent deux rangées de sièges séparées par un couloir, à l'inverse des appareils plus gros qui comptent trois rangées espacées par deux couloirs (qualifiés aussi de "gros porteurs"). La famille A320 couvrait initialement le marché des appareils allant de 90 (A318 en version triclasse) à 220 places (A321 en version monoclasse).
 
Un best-seller
 
La famille A320 d'origine est désormais appelée "A320ceo" par opposition aux "A320neo" de nouvelle génération. Airbus a reçu 8135 commandes pour les quatre modèles de l'ancienne version, avec une part de 22% pour l'A321. Dans la version NEO, qui ne comprend que trois déclinaisons (l'A318 a été abandonné), l'A321 a capté 36% des 6 505 commandes (avant celles engrangées ce jour), signe de l'appétit du marché pour le plus grand des appareils de la gamme. L'illustration qui suit montre la répartition des commandes entre appareils des gammes CEO et NEO :
 

La répartition des commandes d'A320neo et A320ceo (Source Zonebourse avec Airbus)

Le succès de l'A321 s'explique principalement par un ticket d'entrée et un coût d'exploitation intéressants pour les compagnies. C'est un biréacteur à grande capacité d'emport, qui est moins gourmand que les gros porteurs actuels. Et il n'a pas vraiment de rival, hormis le B757, qui peut embarquer davantage de passagers mais qui accuse son âge (il a été mis en service en 1983) et qui n'est plus produit depuis 2004. Avec ses versions à long rayon d'action (A321LR) et désormais très long rayon d'action (A321XLR), Airbus peut proposer un monocouloir embarquant 200 personnes capable de liaisons transatlantiques étendues, comme un Londres Miami, un Rome New York ou même un Sydney Tokyo.
 
Le prix de base d'un A321neo était de 129,5 millions de dollars en 2018 en version classique. Les plus petites versions des gros porteurs capables de franchir de grandes distances sont nettement plus onéreuses : un A330-200 coûte 238,5 millions de dollars et un B787-8 affiche un prix catalogue de 248,3 millions de dollars. Profitons-en pour ouvrir une parenthèse : dans les jours qui viennent, le Salon du Bourget sera l'occasion d'empiler les commandes de plusieurs milliards de dollars. Toutefois, la valeur réelle des contrats sera très différente : découvrez ici pourquoi. Parenthèse refermée.
 

La plaquette du nouvel A321XLR (Source Airbus - Cliquer pour agrandir)
 
Mais que fait Boeing ?
 
Si les A321 chassent sur des terres quasiment vierges de la présence de Boeing, pourquoi l'Américain ne se lance-t-il pas dans la bataille ? Initialement, la menace de l'A321 n'était pas aussi évidente. La montée en puissance de l'appareil entre la version CEO, déjà bien vendue, et la version NEO, a surpris. Boeing planche depuis longtemps déjà sur un programme d'avion moyen, ou "NMA" (pour "New Midsize Airplane"), mais l'officialisation a été repoussée à plusieurs reprises. Lancer un nouveau programme est risqué. Les déboires du B737MAX pourraient même retarder l'échéance en rendant l'industriel encore plus prudent. Reste que Boeing a besoin d'un appareil qui fasse le lien entre ses gammes, sans les cannibaliser.
 
Pour Airbus, les atermoiements de l'Américain sont une aubaine. Déjà dominant dans les monocouloirs, l'Européen a une occasion d'enfoncer le clou en adaptant son A321, qui a déjà une excellente réputation. L'officialisation de l'A321XLR est aussi une approche tactique, comme le souligne Doug Harned, spécialiste de l'aéronautique chez Bernstein. Le nouvel Airbus "ne couvrirait pas exactement le NMA, mais il pourrait prendre une part de marché importante", explique le spécialiste, parce qu'il arrivera bien avant et qu'il présente une communauté avec la famille A320 (et donc des coûts de formation, de maintenance… etc. réduits). "Une compagnie qui dispose actuellement d'une grosse flotte de la famille A320 pourrait ajouter quelques A321XLR pour des liaisons longues spécifiques. Si Airbus peut obtenir suffisamment de traction avec son A321XLR, cela pourrait même réduire l'intérêt pour une compagnie d'ajouter le NMA" ajoute Harned.

Pour alimenter notre réflexion sur l'avenir de l'aéronautique civile, ajoutons un dernier point mentionné par l'analyste de Bernstein : la tendance récente montre un goût de plus en plus affirmé des compagnies pour les "gros" monocouloirs. Une tendance de fond selon notre spécialiste, comme le montre le graphique avec lequel nous concluerons, et qui montre qu'en moins de 15 ans, la part des plus petits monocouloirs a très nettement reculé (le pointage a été réalisé sur la base d'une configuration biclasse, les appareils monoclasse des compagnies à bas coûts étant capables de totaliser une trentaine de sièges de plus par appareil). 
 

Proportion de monocouloirs par taille entre 2006 et 2019 (Source Bernstein)