Akzo Nobel aux Pays-Bas, ThyssenKrupp en Allemagne, Whitbread au Royaume-Uni, Telecom Italia en Italie… A force de tourner autour de l'hexagone, le "vautour" Elliott a fini par se poser du côté de Marseille. En réalité, le fonds d'investissement, qui préfère se voir comme un correcteur de situation anormale que comme un charognard, a déjà tissé des liens avec la France, par ricochet puisqu'il s'oppose à Vivendi dans le dossier Telecom Italia, ou plus directement puisqu'il empêche depuis quelques années l'américain XPO Logistics de retirer de la cote sa filiale européenne, l'ex-Norbert Dentressangle.
 
Elliott n'a pas l'habitude de cacher bien longtemps ses investissements. Après tout, les actions ont tendance à prendre la pente ascendante quand les investisseurs savent qu'un activiste est dans la place. Le fonds a donc claironné ce matin son arrivée au capital de Pernod Ricard, en maniant comme toujours la carotte et le bâton. Il considère en effet que la société "représente une des opportunités d'investissement les plus intéressantes du secteur des spiritueux" et qu'elle a mené une transformation "impressionnante" en passant "d'un acteur local de niche à une multinationale française emblématique", sous l'impulsion de la famille Ricard, dont le rôle "mérite d’être souligné". Mais Elliott critique aussi la perte de parts de marché alors que le contexte est favorable, des plans successifs d'optimisation de la performance opérationnelle qui "ne sont pas parvenus à générer de levier opérationnel" et une croissance externe décevante, "notamment avec l’acquisition pour 6 milliards d’euros d’Absolut en 2008 qui n’a pas répondu aux attentes espérées".
 
Elliott pense que cette sous-performance "est notamment liée à une gouvernance d'entreprise inadaptée et à une culture peu ouverte sur l’extérieur". Le fonds a écrit au PDG Alexandre Ricard et à son conseil d'administration pour proposer des améliorations, notamment un plan d'amélioration opérationnelle "plus ambitieux" et un alignement de la gouvernance "avec les meilleures pratiques de marché des entreprises comparables".
 
Un actionnariat très anglo-saxon

La tactique du fonds de Paul Singer est bien rôdée. Elliott propose au management son assistance pour maximiser le profit des actionnaires. Selon le degré de réticence qu'il affronte, il appuie de plus en plus fort sur les dysfonctionnements qu'il a identifiés. C'est ce qui va se produire avec Paul Ricard. La pression peut être d'autant plus forte que d'autres fonds d'investissement, pas forcément estampillés activistes d'ailleurs, se joignent à la fronde. A ce titre, le tour de table du groupe français présente quelques risques, car il est largement occupé par les investisseurs professionnels américains.
 
Le TPI (Titre au porteur identifiable) réalisé par Pernod Ricard pour les besoins du document de référence 2017/2018, au 31 mars 2018, montre que le concert familial Ricard possède 15% de la société, ce qui en fait le premier actionnaire devant le Groupe Bruxelles Lambert de feu-Albert Frère. En cumulé, les investisseurs institutionnels américains sont toutefois largement majoritaires, avec 40,2% du capital, devant leurs homologues britanniques (11,5%) et français (10,9%). Les autres investisseurs institutionnels étrangers couvrent ensemble 11,5% du tour de table. Les actionnaires individuels sont réduits à la portion congrue : 3,8% seulement, tandis que l'empilage direction, conseil, salariés, autodétention pointe à 2,1%. Les équilibres ont sans doute un peu changé depuis, mais le capital de Pernod Ricard ressemble à peu près à ça :
 

Plus de 51% du capital est détenu par des fonds angl-saxons, principalement américains (Source Zonebourse avec Pernod Ricard)
 
Pernod Ricard n'a pas encore officiellement réagi à l'heure où nous écrivons ces lignes. Nous attirons toutefois l'attention, avec ce dernier graphique, sur le parcours de l'action sur les 10 ans écoulés, soit à peu près depuis l'acquisition d'Absolut. Pernod Ricard fait 2,5 fois mieux que le Stoxx Europe 600. En dividendes réinvestis, l'action a offert un rendement annuel moyen de 14,5%. C'est un peu moins que le grand rival Diageo (+15,16%), mais Pernod Ricard est loin d'avoir démérité et les actionnaires présents au capital n'ont pas vraiment à se plaindre du chemin parcouru.
 

Pernod Ricard, un parcours boursier qui ne correspond pas à une société mal gérée (cliquer pour agrandir)