par Jeff Mason et Steve Holland

WASHINGTON, 4 avril (Reuters) -

Le président américain Joe Biden a menacé jeudi de conditionner le soutien des Etats-Unis à l'offensive d'Israël dans la bande de Gaza à la mise en oeuvre de mesures concrètes pour protéger les civils palestiniens et les travailleurs humanitaires, utilisant pour la première fois l'aide américaine comme levier pour influencer le comportement militaire de l'Etat hébreu.

Cet avertissement, effectué lors d'un entretien téléphonique avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, intervient trois jours après une frappe de l'armée israélienne dans la bande de Gaza ayant tué sept employés de l'ONG World Central Kitchen (WCK), dont des ressortissants britanniques et australien.

L'incident, qualifié d'"accidentel" par Tsahal, a alimenté les pressions exercées sur Joe Biden par ses pairs démocrates afin que Washington fixe des conditions à Israël pour l'aide qu'il lui apporte.

Joe Biden, soutien de longue date d'Israël, a jusqu'à présent refusé de suspendre les aides ou les livraisons d'armes américaines à l'Etat hébreu.

L'avertissement formulé jeudi par le président américain pourrait influencer les opérations militaires menées par Israël dans la bande de Gaza en représailles à l'attaque du Hamas, lors de laquelle 1.200 personnes ont été tuées et 250 autres enlevées. Une partie de ces otages a depuis lors été libérée.

Plus de 32.000 Palestiniens ont été tués depuis le début, il y a quasiment six mois, du siège de la bande de Gaza, ravagée et où la situation humanitaire est catastrophique. La quasi-totalité des 2,3 millions d'habitants de l'enclave ont été déplacés par les combats.

PRESSIONS

Joe Biden a clairement exprimé auprès de Benjamin Netanyahu "la nécessité pour Israël d'annoncer et mettre en oeuvre une série de mesures spécifiques, concrètes et mesurables pour remédier aux préjudices civils, répondre à la souffrance humaine et garantir la sécurité des travailleurs humanitaires", a rapporté la Maison blanche.

Il a aussi fait savoir que "la politique américaine à l'égard de Gaza sera déterminée par notre évaluation des actions immédiates entreprises par Israël", a ajouté la présidence américaine dans un communiqué, précisant que l'entretien téléphonique entre les deux dirigeants avait duré moins d'une demi-heure.

Washington est le principal fournisseur d'armes d'Israël et a pour tradition de le protéger diplomatiquement aux Nations unies. Les Etats-Unis ont toutefois permis le mois dernier l'adoption par le Conseil de sécurité de l'Onu d'une résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, en s'abstenant lors du vote, alors qu'ils avaient opposé leur veto à plusieurs textes depuis le début de la guerre dans l'enclave.

Au cours d'un point de presse tenu après l'échange téléphonique entre Joe Biden et Benjamin Netanyahu, le porte-parole du conseil de sécurité nationale de la Maison blanche a refusé de donner des détails sur les changements spécifiques qui pourraient être apportés par les Etats-Unis à leur politique concernant Israël et la bande de Gaza.

John Kirby a dit espérer qu'une annonce sur des mesures prises par Israël serait effectuée "dans les prochaines heures ou les prochains jours".

En signalant qu'un changement dans la politique américaine à propos de Gaza était possible si Israël ne répondait pas à la catastrophe humanitaire dans l'enclave palestinienne, Joe Biden a exprimé sa frustration et répondu aussi aux pressions accrues auxquelles il fait face, notamment d'une partie des électeurs démocrates à quelques mois de l'élection présidentielle, pour contraindre Israël à faire preuve de retenue.

NÉCESSITÉ D'UN CESSEZ-LE-FEU

Interrogée sur d'éventuels changements dans la politique américaine, la porte-parole de Benjamin Netanyahu, Tal Heinrich, a déclaré à la chaîne de télévision américaine Fox News que ce serait "quelque chose que Washington devra expliquer".

Le chef étoilé José Andrés, fondateur de World Central Kitchen (WCK), ONG qui fournit des repas aux personnes dans le besoin, a déclaré mercredi dans un entretien à Reuters que les employés de WCK ont été délibérément visés, "systématiquement, voiture par voiture", par les frappes de l'armée israélienne.

Israël s'est engagé jeudi à revoir ses tactiques militaires dans la bande de Gaza après avoir exprimé sa "tristesse" à propos de ce qu'il a qualifié d'"accident".

En amont de l'entretien téléphonique entre Joe Biden et Benjamin Netanyahu, la Maison blanche a fait savoir que le président américain était indigné et avait le coeur brisé à cause de cet incident, mais qu'il n'avait toutefois pas apporté jusque-là de changement fondamental au soutien apporté par Washington à Israël dans la guerre livrée au Hamas.

Joe Biden a déclaré à Benjamin Netanyahu qu'un cessez-le-feu immédiat était essentiel pour "stabiliser et améliorer la situation humanitaire et protéger les civils innocents dans la bande de Gaza", a rapporté la présidence américaine. Il a exhorté le dirigeant israélien à "sceller sans attendre un accord" avec le Hamas pour récupérer les otages encore détenus dans la bande de Gaza à la suite de l'attaque du 7 octobre.

Au cours d'un déplacement à Bruxelles, où il participait à une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Otan, le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a appelé Israël à accorder la plus haute importance aux vies humaines et à accroître les flux d'aides arrivant à Gaza.

"Si nous ne voyons par les changements que nous voulons voir, il y aura des changements dans notre politique", a-t-il déclaré devant des journalistes. (Jeff Mason et Steve Holland, avec Doina Chiacu, Susan Heavey et Matt Spetalnick; version française Jean Terzian)