"Pourriez-vous dans un premier temps nous rappeler en quoi consiste votre stratégie d’investissement ?
La stratégie de notre fonds Laffitte Risk Arbitrage Ucits repose sur l’arbitrage des décotes de fusions et acquisitions annoncées, en Europe et aux Etats-Unis.
Notre gestion a pour objectif de générer de la performance quelle que soit l’orientation des marchés. Ainsi, bien qu’investi sur les marchés actions, la performance du Fonds a atteint +7,90% en 2008 et +3,33% en 2011.

Quel bilan faites-vous de ces opérations de fusion-acquisition en 2011 ?
Au niveau mondial, l’année s’est déroulée en deux temps, avec une première période très active jusqu’à fin juillet ; puis, du fait des inquiétudes nourries par la crise des dettes souveraines, puis le rythme des annonces d’opérations a ralenti.
La visibilité des décideurs des sociétés européennes ainsi que leur appétence au risque ont diminué. Les opérations réalisées en Europe Occidentale ont néanmoins cru de 22% par rapport à 2010, le Royaume-Uni représentant le quart des volumes.

Quid des Etats-Unis ?
Les opérations ont été en progression sur l’année de 9.49% en volume, avec un retour des deals de tailles importantes et sur des secteurs très variés. C’est une différence notable par rapport à 2010 où les opérations ont surtout concerné les secteurs pétroliers et parapétroliers.

Avez-vous identifié des particularités dans ces opérations ?
Absolument. Nous avons eu beaucoup d’opérations industrielles, ce qui est assez classique dans une période de crise où les sociétés se restructurent, acquièrent de nouvelles parts de marché ou de nouveaux process. Le rapprochement entre Man et Volkswagen en est un bon exemple.
Nous avons eu par ailleurs une montée en puissance d’acheteurs issus de pays émergents. Au début de l’année 2011, les experts s’attendaient à d’importantes opérations dans l’énergie (pétrole et gaz) et le secteur minier. Cela s’est confirmé par l’importante activité d’acheteurs chinois désireux de sécuriser leur accès aux matières premières afin de soutenir leur croissance. Plusieurs mines en Afriques ont été achetées, souvent propriété de sociétés canadiennes. Le rachat de Kalahari, société britannique spécialisée dans le minerai d’uranium, par la province du Guangdong illustre bien cette tendance forte.
Nous pouvons nous attendre à ce que ces acheteurs étrangers, et en particulier chinois, soient de plus en plus présents en Europe avec la crise de la dette souveraine.

Une autre particularité ?
Malgré les difficultés de financement les opérations de nature financière se sont poursuivies (Private Equity, LBO). Cependant leur typologie n’a plus rien à voir avec celles de 2007-2008. A l’époque nous faisions face à des cas extrêmes avec des offres sur des grosses capitalisations, et des effets de leviers très élevés : les montages étaient souvent répartis entre 10% d’equity et 90% de dette.
Aujourd’hui les sociétés cibles ont une capitalisation de 1 à 2 milliards de dollars. La répartition equity/dette dans les montages s’approche des 50%-50%. Les financements sont contractuellement mieux sécurisés avec les banques.

Quelles perspectives envisagez-vous pour 2012 ?

Les acheteurs asiatiques devraient rester très actifs dans le secteur de l’énergie et se porter acquéreurs de sociétés européennes en contrepartie d’investissements sollicités dans les dettes souveraines européennes. Les valeurs technologiques devraient connaitre une vague de fusions.
Les fonds de private equity devraient rester actifs. L’ampleur de cette activité sera fonction de l’implication des banques dans les syndicats de financement.

A quelle croissance des volumes de transactions vous attendez-vous pour cette année ?
Nous sommes dans un environnement macroéconomique difficile, même si l’on dénote une petite embellie outre-Atlantique. Malgré une belle reprise, l’Europe reste en deçà de ses volumes historiques. Les futurs développements de la crise de la dette vont peser sur l’activité.
Cependant, aujourd’hui, les entreprises regorgent de cash. Les entreprises américaines n’ont jamais disposé d’autant de liquidités depuis les années 50, un véritable trésor de guerre d’environ 3 trillions de dollars. Ces liquidités ont jusqu’à présent été utilisées pour payer des dividendes ou racheter des titres.
Dans un environnement de croissance organique faible, la pression des actionnaires auprès des managements est de plus en plus forte pour les inciter à utiliser ces liquidités pour financer une croissance externe en accédant à de nouveaux produits ou de nouvelles zones géographiques.
La confiance des décideurs sera déterminante ; elle semble revenir fermement aux Etats-Unis, elle est encore embryonnaire en Europe.

Selon vous, nous devrions voir des fusions forcées cette année ?
Principalement dans le secteur financier, banques et assurances. Au-delà des augmentations de capital, des cessions d’actifs, certaines entités seront contraintes d’accepter un rapprochement.
On le voit déjà dans les pays d’Europe du Sud entre les caisses d’épargne et les banques mutualistes.
En Espagne, les deux grands acteurs du secteur : BBVA et Santander, ne devraient pas rester inactifs. Bankinter ou Banco Sabadell pourraient constituer des cibles.
Ces opérations seront davantage nationales que transnationales puisque la crise peut provoquer des comportements protectionnistes.

Ceci étant, nous ne sommes pas à l’abri d’opérations entre institutions de nationalité différentes ?
Certains pays n’auront pas les moyens de leurs ambitions. Des sociétés italiennes comme Parmalat, Bulgari et peut-être Edison sont passées entre les mains de sociétés françaises malgré des réticences politiques locales ouvertement affichées.

Mis à part le secteur financier, voyez-vous d’autres secteurs affectés par cette thématique des fusions forcées ?
Poussé par son environnement, le secteur de la pharmacie devrait également être actif. D’importants laboratoires ont leurs médicaments vedettes qui vont tomber dans le domaine public et vont être concurrencés par les génériques. Teva, société spécialisée dans les génériques, a été particulièrement active dans ce domaine.
Les petites sociétés spécialisées avec des traitements prometteurs constituent aujourd’hui des cibles de choix.

Pourriez-vous rentrer plus dans le détail de votre stratégie d’investissement ?
Notre stratégie a pour objectif d’arbitrer les décotes de fusions et acquisitions annoncées.
La décote, qui est la différence entre le prix d’OPA et le cours coté de la société cible de l’offre dépend de deux paramètres : le portage (financement de la position entre l’annonce de l’offre et le règlement de l’offre qui dure en moyenne 3 à 4 mois) et le risque d’échec anticipé par le marché. Nous nous efforçons d’apprécier ce risque et de déterminer si ce dernier est bien rémunéré. Le principal risque de la stratégie est l’échec de l’offre. Dans ce cas là, le titre revient coter à sa valeur avant l’offre.
Par ailleurs, la convergence du titre vers le prix de l’OPA ne se fait pas de manière linéaire. Nous avons développé depuis 15 ans une approche dynamique de cet arbitrage. Sur certains titres nous pourrons rentrer et sortir plusieurs fois entre l’annonce de l’opération et sa finalisation.

Quels sont les points d’entrée et de sortie sur ces décotes ?
Les points d’entrée et de sortie sont fonction du couple rendement/risque de chaque opération : le risque que l’opération ne soit pas menée à terme et la rentabilité offerte par la décote.
Nous distinguons cinq grandes typologies de risques : un risque de financement, un risque lié au vote des actionnaires, un risque lié à la concurrence ; un risque lié à une réglementation spécifique au secteur, un risque lié aux conditions particulières détaillées dans le dossier de fusion.
Par exemple, lorsque l’on traite une fusion dans le secteur des Télécoms aux Etats-Unis, la société est souvent implantée dans plusieurs Etats, il faut alors obtenir le feu vert du régulateur des Télécoms dans chacun de ces Etats. De même lorsqu’une société non-américaine souhaite acquérir une société américaine, il lui faut l’autorisation spécifique du Committee on Foreign Investment (CFIUS) en charge de protéger les sociétés américaines en cas d’OPA.
Enfin, la finalisation d’une offre peut être conditionnée à des clauses spécifiques qui pourraient être affectées entre l’annonce de l’offre et sa finalisation par exemple de mauvais résultats comptables, une perte de marché, un événement climatique…

Chaque dossier a son risque spécifique. Charge à nous de l’analyser lors du choix d’un dossier et de ne pas nous retrouver trop concentrés sur un même type de risque à un moment donné dans la construction du portefeuille.

Quel a été le risque le plus rencontré en 2011 ?
Au début de l’année nous avons plutôt été exposés à un risque de concurrence, Dans le courant de l’été, le risque de financement est revenu sur le devant de la scène affectant en premier lieu les opérations de type LBO.
En 2012, le risque de protectionnisme des Etats ne sera pas à ne pas négliger.

Vous avez tendance à investir dans les sociétés cibles ou dans les sociétés prédatrices ?
Tout dépend de la structure de l’opération. Dans le cas d’une OPA, on achète le titre sujet de l’OPA. Dans le cas d’une OPE, on achète la société cible et on vend la société acheteuse avec la parité de la fusion.

De quelle importance peut être cette décote ?

Cette décote s’élève en moyenne à 6-7% annualisée. Certaines années extrêmes, cette décote peut grimper à 20-25% annualisée. Cela a été le cas en 2008 ou au cours de l’été 2011. La décote moyenne en 2011 s’est établi au dessus de la moyenne historique, autour de 10% annualisé.

Combien détenez-vous de dossiers dans votre portefeuille ?

Nous avons dans le portefeuille 20 à 40 dossiers d’arbitrage et une trentaine en moyenne. La rotation du portefeuille est importante, deux fois par mois en moyenne. En termes de collecte le fonds a dépassé les 200 millions d’euros et son encours sera limité à 500 millions d’euros pour conserver une taille qui nous permette de respecter notre processus de gestion et nos contraintes de liquidité.

Quelles sont les principales positions de votre fonds ?
Nous avons plusieurs dossiers dans les télécoms dont Google/Motorola, de même que dans le secteur pharmaceutique (Gilead /Pharmasset) ou minier (Kalahari Minerals).

Quelles ont été les principales difficultés de gestion rencontrées en 2011 ?
Le mouvement global d’écartement des décotes en août a été le principal défi que les gérants de notre stratégie ont rencontré et en particulier sur les opérations de type LBO. Le risque que le financement de ces opérations ne soit pas bouclé, à l’image de ce qu’il avait pu se passer en 2008, nous a amené à considérer avec attention ce type d’opérations. Nous avions cinq positions d’opérations de type LBO dans le portefeuille au mois d’août. Nous avions trois options possibles : tout vendre à perte, conserver et patienter, ou bien réétudier les dossiers au cas par cas, ce que nous avons fait. Sur les cinq dossiers, trois présentaient peu de risque, les financements étant solides. Nous avons sorti du portefeuille un quatrième dossier plus risqué en matière de financement et nous sommes mis vendeur à découvert du dernier dossier afin de couvrir cette poche du portefeuille. In fine, les trois positions conservées en portefeuille ont été réglées en cours de mois ce qui a généré de la performance et nous a permis d’être positifs en août.

Nous avons par ailleurs connu des difficultés sur des dossiers spécifiques. La première OPA lancée en mars sur Kalahari Minerals avait été remise en cause suite à l’accident de Fukushima qui avait entrainé une baisse moyenne de 20% des valeurs de l’uranium. L’acheteur chinois de Kalahari Minerals est néanmoins revenu en fin d’année.

Quel a été le signe précurseur qui vous conduit à être réactif ?
La réaction des marchés lors des négociations du relèvement du plafond de la dette américaine.

Y a-t-il des dossiers sur lesquels vous n’avez pas pu entrer ?

Au mois de juillet, BHP Billiton a lancé une OPA sur Petrohawk. Nous n’avions pas pu entrer sur cette décote que nous jugions trop serrée par rapport à son risque jusqu’à ce que la décoté s’écarte en août. Nous avons opportunément à ce moment là ouvert une position conséquente sur ce dossier.

Quelques mots sur votre second fonds ?
Notre second fonds « Event Driven » Laffitte Equity Arbitrage a un positionnement plus agressif sur la thématique puisqu’il intervient également avant l’annonce d’une OPA ce qui implique un couple rendement/risque espéré plus élevé.
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