Depuis les années 2010, l'essor du e-commerce, les exigences de rapidité, la mondialisation des chaînes et la reprise post-crise financière ont dopé le secteur de l'entreposage. La pandémie de Covid de 2020 a ensuite transformé ce petit feu en un véritable brasier. Cloîtrés chez eux, les consommateurs ont fait exploser la demande de livraison, et entraîné un élan de construction dans la logistique. Les entrepôts sont sortis de terre comme des champignons, et des quartiers, voire des régions entières, sont devenus de vastes zones de stockage. Avec la normalisation post-pandémique du commerce, ce dynamisme s'est essoufflé. A titre d'exemples, en 2023, les importations globales aux Etats-Unis ont plié de 4%, et au T1 2023, le e-commerce ne représentait plus que 15% du marché, contre 16.5% au T3 2020. 

Les détaillants, qui s'étaient habitués à gonfler leurs stocks après l'épidémie, pour faire face aux problèmes logistiques, aux engorgements, aux pénuries, ont aussi revu leurs provisions à la baisse, pour revenir à des méthodes de gestion à flux tendu. Ils ont révisé leurs chaînes d'approvisionnement pour s'adapter aux prévisions de croissance plus modérée. Deuxième "effet kiss cool" sur l'industrie (pour les jeunes-vieux qui ont la ref').  

La tendance croissante à l'automatisation et à la robotisation des entrepôts, rendue nécessaire par la vive hausse des salaires dans le secteur de la supply chain, la pénurie de main d'oeuvre, et par un besoin de gestion plus efficace des hangars, a aussi réduit les surfaces de ces derniers, et mis un dernier coup de frein au boom du secteur. Et ça, c'était avant la déferlante intelligence artificielle. 

Un pan entier de l'économie a ainsi commencé à s'essouffler. Car il ne s'agit pas seulement des entrepôts, mais des infrastructures environnantes (ports, aéroports, routes, installations dites "du dernier kilomètre"), des emplois, des logiciels dédiés et des recettes fiscales liées.   

Les signes de ralentissement

Aux Etats-Unis, la croissance des loyers dans l'immobilier industriel de stockage a nettement ralenti (à 12.5% en 2023, contre 24% en 2022, et 6.3% en 2019, selon les données de JLL). Les taux d'inoccupation, bien que toujours solides, ont affiché un premier fléchissement. Sur le territoire américain, Cushman & Wakefield estime que le taux moyen d'inoccupation des entrepôts était de 5,2 % au T4 2023, contre 4,6 % au trimestre précédent et 3,1 % un an plus tôt. Il n'a pas été aussi élevé depuis l'ère pré-pandémique. 

Les sous-locations d'entrepôts sont également devenues plus fréquentes : au T4 2023, elles ont atteint, dans tout le pays, le niveau record de 156 millions de pieds carrés, soit plus de trois fois qu'au T4 2021 (Savills). Les nouvelles mises en chantier dans le secteur logistique ont chuté de 40% au T2 2023 (Prologis). 

Les volumes portuaires ont reculé et les emplois liés aussi : la demande de main-d'œuvre dans l'entreposage a reculé de 10 % au T4 2023 par rapport à 2022 (Employbridge). 

Une décrue modérée ?

UBS tempère ce déclin. Dans une note d'investissement datée de fin février, la banque helvète continue d'adouber le secteur de l'immobilier logistique aux côtés des très en vogue centres de données et tours de télécommunication, et d'en prévoir la surperformance à moyen terme par rapport aux autres segments de l'immobilier. 

Le prêteur souligne que les taux d'inoccupation, bien qu'en hausse, sont largement inférieurs à ceux d'autres segments de l'immobilier, tels que l'hôtellerie par exemple. Dans les zones périphériques des villes, lieux de prédilection des installations, les loyers sont toujours en croissance, boostés par les limites géographiques. La diversité grandissante des besoins (de la préparation des commandes aux centres de distribution et aux dépôts frigorifiques) garantit la croissance à moyen terme des entrepôts. La demande d'amélioration des sites (modernisation, robotisation, durabilité) aussi. 

L'ombre au tableau ? Les risques inhérents au secteur, avec la qualité de l'emplacement et la correction des prix en premier lieu. L'illiquidité propre au segment (baux longs) peut aussi s'avérer un obstacle à l'investissement. Enfin, les taux d'intérêt hauts peuvent réduire l'attrait de ces immeubles, à fort besoin de capital. 

Une concurrence accrue des centres de données

Faut-il se tourner vers une alternative ? Le banque d'investissement américaine Jefferies, dans son dernier papier de recherche, vante les mérites de centres de traitement et de stockage de données. Portés par les besoins de numérisation, l'augmentation des flux, les dépenses en cybersécurité, l'adoption massive des outils d'intelligence artificielle, ils connaissent une demande sans précédent, et cette croissance devrait s'accélérer. 

S'attardant sur les cas de Crowdstrike et SentinelOne, spécialistes des centres de cybersécurité, les analystes entrevoyaient, en novembre 2023, une croissance des nouvelles affaires de 34% en glissement annuel. De quoi faire pâlir les performances des entrepôts de stockage. Chez le second, les plateformes cloud affichent une croissance à deux chiffres depuis le T1 2023. 

Ici encore, les barrières à l'entrée (besoins en capitaux) sont conséquentes, et confèrent aux acteurs spécialisés un fort pricing power. Les marges d'exploitation sont coquettes, la croissance des nouveaux clients exponentielle, et la pénurie de main-d'œuvre, qualifiée, est encore plus marquée que celle vécue par le secteur de l'entreposage. 

Ces deux types d'activité, entreposage et stockage de données, convoitent les mêmes sites, industriels, à proximité des centres urbains et des PME, et s'alignent sur les durées des baux. Faut-il s'attendre à ce que le premier cède, à terme, sa place au second ?