"Quel regard portez-vous sur la situation dans la zone euro à l’heure actuelle ?
La problématique de la zone euro est connue depuis un moment. Les pays doivent faire face à un déficit structurel, un endettement trop élevé, et à un problème de compétitivité.
La zone euro pourrait s’auto suffire en terme de financement compte tenu de son taux d’épargne contrairement aux Etats-Unis qui ont besoin d’une contribution extérieure, notamment de la part de la Chine. Cependant ces derniers ont l’avantage de ne pas avoir la difficulté de défendre une zone monétaire qui n’a pas encore atteint sa phase de maturité.

Les gouvernements ont aujourd’hui deux écueils à éviter. En premier lieu, éviter de dresser le peuple contre ses élites. Il est infructueux de dire que les financiers sont des boucs émissaires. En second lieu, il n’est guère productif d’avancer que les politiques de rigueur ne mènent à rien.

Quel est votre avis s’agissant du dossier grec ?
La Grèce constitue un cas extrême. Le pays a triché pour entrer dans la zone euro. Les autorités politiques ont menti au peuple. Le rattrapage est douloureux d’où les révoltes que l’on observe actuellement. Les extrêmes ont pris le pouvoir avec un nationalisme effréné. Nous sommes parvenus à un pays qui n’est plus gouverné et plus gouvernable. Malgré tout ce qui a été fait pour sauver la Grèce, il faudra une dizaine d’années avant de retrouver un taux de dette par rapport au PIB appréciable.

Deux options se présentent aujourd’hui. Soit les partis traditionnels parviennent à obtenir une majorité et à créer une coalition d’union nationale. Dans ce cas la Grèce ne fera pas défaut. L’aide de l’Union européenne et du Fond monétaire international sera poursuivie.
Soit le gouvernement de coalition ne parvient pas à être mis en place. Dans ce cas, la Grèce ne pourra pas mettre en œuvre les réformes requises en contrepartie de l’aide qui lui a été accordée. Le pays se retrouvera a court de liquidités, sera forcé de faire défaut, et amené à devoir sortir de la zone euro.

Un défaut de la Grèce vous semble-t-il plausible ?
Le défaut de la Grèce n’aura pas tant de répercussions au niveau du système financier, mais au niveau politique, sur un plan psychologique. Le non maintient de la Grèce pourrait conduire à des pertes plus significatives dans un avenir qu’on ne maitriserait plus.
Je pense que tous les dirigeants politiques seront prêts à justifier, jusqu’à la fin, auprès de leur opinion publique la nécessité d’un maintien de la Grèce dans la zone euro.

Quelle vision avez-vous de l’Espagne ?
L’Espagne a bénéficié de la zone euro grâce à des taux très bas. L’endettement espagnol n’est pas très élevé par rapport au reste des pays de la zone. Cependant le pays est confronté à un problème de croissance. Le taux de chômage s’élève à 25%. En comptant la précarité, il est d’environ 40%. Dans ce contexte, la vulnérabilité des banques, résultant des actifs toxiques liés à l’immobilier, est d’autant plus importante.

La situation du secteur bancaire en Espagne est particulièrement délicate. Nous avons pu le constater avec la nationalisation partielle de Bankia, institution issue de la fusion de sept caisses d’épargne. L’Etat s’est porté acquéreur de 45% du capital de l’établissement.
A présent, la restructuration du système bancaire doit se poursuivre.

Selon vous, malgré les déclarations des responsables politiques espagnols, le recours à une aide financière extérieure sera nécessaire ?
D’après les estimations, une recapitalisation de 90 milliards d’euros est nécessaire. Celle ci passera par plusieurs moyens, tout d’abord le Frob (ou le Fonds de secours espagnol dédié aux banques), mais aussi par une voie européenne (Banque centrale européenne et Fonds européen de stabilité financière). L’Espagne ne pourra pas s’en sortir seule en raison du service de la dette qui deviendrait insoutenable dans le cas d’un endettement excessif.

Cette recapitalisation serait suffisante pour apaiser les craintes autour de l’Espagne ?

Je le pense.

Comment envisagez-vous la suite des évènements pour la France ?
Il faut attendre de savoir quelle majorité aura François Hollande à l’issue des élections législatives pour gouverner et suivre étroitement quelle évolution aura la coopération franco allemande. Nous sommes d’avis que M Hollande devra faire face à la réalité. En cela, il devra conserver une discipline budgétaire et rester dans la continuité de ce qui a été établi avec l’Allemagne.

On parle de plus en plus d’amender le pacte budgétaire pour intégrer un avenant lié à la croissance. Qu’en pensez-vous ?
La problématique actuelle est une problématique politique dans un contexte de faible croissance.
La zone euro a besoin d’une sorte de plan Marshall pour sortir les pays du sud de la récession (Grèce, Portugal, Italie, Espagne). Il faut alors que la compétitivité de ces pays donne envie aux agents économiques privés d’investir. Pour ce faire, le cout du travail dans l’Europe du nord doit être plus important, l’Allemagne doit alors augmenter ses salaires, ce qu’elle n’est pas encline à faire.

Le pays d’Angela Merkel sera en mesure de faire passer auprès se son opinion publique le volet croissance. Le pays a connu un essoufflement à l’issue du premier trimestre et le reste de l’année n’est pas garanti sous de bons auspices. Surtout, la CDU d'Angela Merkel a perdu les élections régionales de Rhénanie du Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé d'Allemagne, face au SPD de Hannelore Kraft.

Cependant des divergences de point de vue existent dans la manière de relancer la croissance ? M Hollande veut procéder à une relance par de la dette. Mme Merkel ne veut pas en entendre parler…
Les Etats ne peuvent pas faire directement de relance keynesienne. Il ne sert à rien d’injecter de l’argent s’il n’y a pas de répondant derrière. C’est ce qui se passe en Grèce totalement désorganisé, incapable de collecter l’impôt. La relance se fera via des dotations à la BEI, à des fonds structurels dans des investissements productifs.

Cette relance de la croissance ne pourra se faire que si une orthodoxie budgétaire est en place. C’est une condition sine qua non.

Une autre manière de redonner de la vigueur à l’économie européenne pourrait résider dans la recapitalisation du secteur bancaire. Jusqu’à présent le lobbying bancaire a empêché les augmentations de capital
Une participation des investisseurs à la remise sur pied des banques pourraient contribuer à la relance économique. Il y aurait moins de souci par rapport aux actifs existants dans les bilans bancaires. Cela sous entendrait l’acceptation par les actionnaires d’une baisse de la rentabilité.

D’après vous, nous n’irons pas tout de suite vers les euro obligations…
Tant qu’il n’y aura pas d’harmonisation budgétaire et fiscale entre les pays européens, ces instruments ne verront pas le jour.

Il y a lieu en revanche de s’attendre à un dépassement plus important du rôle de la BCE ?

L’institution monétaire a déjà dépassé son rôle dès lors qu’elle était uniquement chargée de piloter l’inflation. Elle n’était pas censée acheter des emprunts d’Etat ou accorder aux banques des prêts de long terme.
La BCE aura à aller plus loin pour que les rouages du pacte budgétaire puissent mieux se positionner. Mario Draghi a d’ailleurs récemment signalé que la BCE devait participer à la croissance dans la zone euro.

Il n’a pas précisé comment…
Nous pourrions voir la BCE se rapprocher du rôle de la Fed et contrôler exactement les positions des banques européennes. Dans la zone euro, les autorités de contrôle prudentiel des banques sont nationales. L’autorité européenne existe à titre indicatif.
Aujourd’hui nous n’avons aucune idée de la situation des banques malgré les nombreux stress tests qui ont été réalisés. L’évolution boursière de toutes les banques européennes est catastrophique. A l’inverse des banques américaines qui connaissent pour la plupart une tendance haussière.

Le contrôle exercé par la BCE se fera par une meilleure transparence des banques et surtout par une volonté politique sous entendant un transfert des prérogatives nationales.

L’Allemagne aura intérêt à aller dans cette voie. Au-delà des caisses d’épargne espagnoles, les landesbanks allemandes connaissent des difficultés qui pourraient s’aggraver si la croissance n’est pas au rendez-vous.

A quand l’accalmie ?
Je la vois seulement si le couple franco allemand parvient à s’entendre. Cela peut aller rapidement. Nous pourrions connaitre un été d’embellissement, après avoir connu un été catastrophique l’année dernière.

Quels seraient selon vous les taux de rendement d’équilibre des principales économies européennes ?

Le taux dix ans allemand pourrait remonter à 2%. Le taux à dix ans français pourrait évoluer vers 2,5%.
Le taux à dix ans italien pourrait se situer autour de 4,8% et le taux à dix ans espagnol autour de 5% ou 5,10% eu égard à la capacité du pays à avoir une industrialisation, un financement extérieur.

Quelle est votre allocation d’actifs du moment ?

S’agissant des emprunts d’Etat, nous évitons l’Allemagne et les Etats-Unis. Nous privilégions les obligations à haut rendement qui ont de faibles taux de défaut. De nombreuses entreprises de grande qualité, stratégiques pour leur nation, qui organisent leur chiffre d’affaires et leur coût au niveau mondial, comme Renault, Peugeot, Lafarge, ont intégré ce segment. Les primes de risque sont intéressantes, en ce qu’elles rémunèrent largement le risque pris.
Nous investissons aussi dans la partie investment grade, dans des entreprises comme Areva, Telefonica, Gas natural.

Au niveau du secteur bancaire, nous ne touchons pas aux subordonnés bancaires. Nous sommes sur des titres seniors de banques de réseau davantage en France, en Allemagne et sur les grandes banques d’envergure espagnoles et italiennes comme Santander, Intesa San Paolo.

Nous avons une position en trésorerie de l’ordre de 20%.


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