Aujourd’hui je vous propose un format assez ludique. Amundi VS Blackrock en image. En espérant que couvrir les chiffres clés relatifs au business du secteur nous aide à comprendre pourquoi les parcours boursiers des deux titres sont si différents. Amundi est-il un petit Blackrock des années 2010 ? Est-ce Amundi qui est sous-valorisé ou plutôt Blackrock qui s’échange à des prix délirants ? Dans le second cas, quels sont les joyaux dont Blackrock dispose qui justifient cette valorisation ?

Deux petites précisions avant d’aller plus loin. Pour aider votre œil, un code couleur est associé à chaque entreprise. Les chiffres du groupe américain sont sur fond bleu tandis que les chiffres d’Amundi sont présentés sur fond marron. Enfin, les données sur lesquelles je me suis appuyé pour réaliser ces visuels ne prennent pas en compte l’intégration de Lyxor (Amundi n’ayant pas encore publié son document d'enregistrement universel 2021).

Actifs sous gestion par classe d’actifs et par stratégie. (excl Lyxor)

Commençons par préciser qu’en dépit du cap franchi par Amundi, le gestionnaire européen reste 5 fois plus petit que Blackrock. Une des raisons qui permet d’expliquer la différence de taille entre les gestionnaires américains et européens est le système de retraite via les fonds de pension. Pour rappel, un fonds de pension est un fonds d’investissement spécifique à la retraite par capitalisation. C’est un organisme de placement gérant collectivement les retraites et l’épargne salariale. En Europe, notamment en France, ce type d’outil d’épargne est bien moins développé qu’aux US. On notera toutefois que les systèmes suèdois et néérelandais se rapprochent plus du système américain que du système français ou allemand. Cette distinction est importante puisque l’épargne retraite et salariale peuvent constituer des flux importants de capitaux sur les marchés. Au Pays-Bas, les encours gérés par des organismes d’épargne retraite ont presque doublé en 10 ans pour atteindre un montant équivalent à deux fois le PIB national.

Alors que l’on connaît Blackrock et Amundi pour leurs ETFs, on remarque qu’une proportion significative des encours est gérée activement. On notera aussi la catégorie “Advisory” de Blackrock que l’on ne retrouve pas chez Amundi. Il est difficile de trouver des informations précises sur l’origine de cette catégorie, mais il semblerait qu’il s’agisse de fonds confiés par la FED (notamment lors de la crise des subprimes) dont Blackrock doit assurer la gestion. 

Concernant la répartition par classe d’actifs, rien de bien surprenant si ce n’est la présence de la joint-venture entre Bank Of China Wealth Management et Amundi, une co entreprise détenue à 55% par Amundi et 45% par Bank of China qui va permettre d’accélérer le développement d’Amundi en Chine. 

Enfin, il conviendra de préciser que la gestion alternative inclut les activités relatives à la gestion d’actifs immobiliers et le private equity.

 

Actifs sous gestion par classe d'actifs
Actifs sous gestion par stratégie et pas classe d'actifs

Actifs sous gestion par type de clients et par provenance.

On peut alors se demander d'où viennent ces fonds. Sans surprise, les investisseurs institutionnels américains sont les plus représentés dans l’actif de Blackrock, le groupe a aussi une forte empreinte en Europe, et nous reviendrons sur la question de l’Asie plus tard. Concernant Amundi, l’empreinte est beaucoup plus locale, 50% des actifs sous gestion sont français. Le groupe semble avoir du mal à se faire sa place aux US (moins de 5.8% des actifs sous gestion) mais se développe rapidement en Asie. 

Pour être critique vis-à-vis de ces chiffres, il est intéressant de les comparer au poids de chaque pays sur les marchés financiers. A titre d’exemple, les marchés actions asiatiques représentent environ 30% du total des capitalisations mondiales. Or, l’Asie n’est que très faiblement représentée à l’actif de Blackrock. On se doute alors que ce marché est une cible de choix pour le mastodonte américain. D’ailleurs, lorsque l’on regarde les encours nets levés (net inflows) sur l’exercice 2021, on s’aperçoit que l’Asie est d’ores-et-déjà un vecteur significatif de croissance pour Blackrock comme pour Amundi.

Parmi les clients des deux gestionnaires, les institutionnels sont les plus représentés, cependant, Blackrock ne communique pas l’ensemble des chiffres sur ses clients finaux et cela rend la comparaison difficile. On remarque aussi la proportion non négligeable des mandats d’assurance de Crédit Agricole et de la Société Générale dans l’actif de Amundi.

 

Actifs sous gestion par client
Actifs sous gestion par provenance et par type de clients

Evolution des actifs sous gestion

L’encours de Blackrock et de Amundi semble évoluer au même rythme en dépit de la différence de taille, c’est d’ailleurs surement l’une des raisons pour lesquelles Blackrock est mieux valorisée. En revanche, il faut préciser que la croissance de l’encours prend aussi en considération l’évolution de la valeur des titres détenus et pas uniquement les nouvelles entrées de fonds. A titre d’exemple, si l’on s’intéresse à l’exercice 2021 de Blackrock, l’actif sous gestion est passé de 8 676 Mds$ à 10 010 Mds$, soit une augmentation de 1 334 Mds$ qui s’explique par 540 Md$ de nouveaux fonds levés, 864 Mds$ de valorisation des titres (826 Md$ grâce aux marchés actions), 41 Mds$ d’acquisitions et un effet de change négatif de 112 Mds$ !

En lisant les rapports annuels des deux groupes, on comprend que l’évolution de l’encours se fait principalement par croissance interne. Les acquisitions ne sont pas rares pour autant, à l’image du rachat de Lyxor (148 Mds€ d’actifs sous gestion) par Amundi pour 825 M€ ou de Aperio par Blackrock sur l’exercice 2021.

 

Evolution des actifs sous gestion
Evolution des encours des gestionnaires Blackrock et Amundi

Plus grosses expositions

A l’évidence, les deux gestionnaires ont des participations significatives dans les entreprises les plus importantes du monde. Cela s’explique en partie par la construction des indices pondérés par la capitalisation que les fonds indiciels répliquent. On remarque toutefois la présence de plusieurs groupes européens (de taille intermédiaire lorsqu’ils sont comparés aux entreprises américaines) dans les participations de Amundi. Parfois, cette forte présence au capital s’explique par le fait que le gestionnaire d’actifs héberge l’épargne salariale du groupe. C’est le cas pour Eiffage, une entreprise détenue à plus de 20% par ses salariés dont les titres sont conservés chez Amundi (participation de 1.6 Mds€).

 

Expositions des gestionnaires
Participations les plus importantes de Blackrock et Amundi

Répartition du CA et évolution des résultats.

Sans surprise, la plus grosse proportion des revenus des deux gestionnaires provient des frais de gestion ainsi que des prêts de titres, notamment pour la vente à découvert. Lorsque l’on regarde le détail du chiffre d’affaires de Blackrock, on remarque que les revenus de gestion sont générés en proportions équivalentes par la gestion active et passive. Pourtant, seulement 26% de l’encours du gestionnaire américain est géré activement. Constat relativement logique me direz vous, la gestion active est facturée plus chère.

Une proportion non négligeable des revenus provient aussi de frais indexés sur la performance, un business model lucratif qui ne peut représenter qu’une faible proportion du chiffre d’affaires d’un gestionnaire.

Enfin (et c’est peut-être l’un des points les plus importants de l’article), Blackrock a une activité tech qui commence à représenter une part intéressante des revenus de l’entreprise (6,6%). Derrière ces “services technologiques” se trouvent les plateformes d'investissement et de gestion du risque Aladdin, Aladdin Wealth, eFront et Cachematrix qui ont fait la renommée du groupe. 

Sur le terrain des services, la différence de maturité entre Blackrock et Amundi est notable et le gestionnaire européen compte bien se mettre à jour en développant sa solution numérique de gestion de portefeuille ALTO Investment au travers de la branche Amundi Technology. La route est longue pour rattraper l’américain, aujourd’hui, sur les 114 000 Mds$ d’actifs gérés dans le monde, plus de 20 000 Mds$ sont gérés sur la plateforme Aladdin.

 

Répartition du CA amundi
Répartition du CA blackrock
Répartition du CA et évolution des résultats de Amundi et Blackrock

Evolution des dividendes

Rappelez vous, on cherche à comprendre les raisons qui poussent les investisseurs à acheter des titres Blackrock plutôt que des titres Amundi. Il semblerait que les historiques de dividendes et la consistance dont Blackrock fait preuve dans sa politique de distribution ait un rôle à jouer la dedans. Depuis 2003, le groupe n’a jamais interrompu le versement de dividendes trimestriels et, d’un trimestre sur l’autre, son montant n’a jamais diminué ! Même si Amundi se débrouille plutôt bien niveau politique de distribution, la confiance accordée par les investisseurs n’est pas la même. Il convient par contre de préciser que le rendement du titre Amundi (autour des 5%) est plus important que celui de Blackrock (autour des 3%).

 

dividendes amundi blackrock
Evolution des dividendes de Blackrock et Amundi

Valorisation

La première idée qui m’est venue à l’esprit est de regarder combien les 148 Mds€ d’actifs de Lyxor ont été vendus à Amundi (valorisation par comparables). La filiale de Crédit Agricole S.A a dépensé 825 Millions pour mettre la main sur son concurrent français. Si l’on retient bêtement ce rapport pour valoriser Amundi, on obtient une capitalisation avoisinant les 10 Mds€, un résultat pas si farfelu puisque la capitalisation actuelle du gestionnaire est de 12.5 Mds€. Faire la même chose pour Blackrock nous amène à un résultat deux fois plus faible que la capitalisation. On comprend alors que la valorisation d’un gestionnaire n’évolue pas linéairement avec son encours et cela se confirme lorsque l’on regarde le PBR des deux groupes.

Quand on s'intéresse au Free Cash Flow des deux entreprises, on note que sur les 10 dernières années, l’action Blackrock n’a fait que s'éloigner de ses fondamentaux pour atteindre une valorisation digne d’une boite de la tech comme Dassault Systèmes, Apple ou Paypal, c’est à dire proche d’un FCF yield à 3%. A l’inverse, le titre Amundi s’échange à des prix qui nous rappelle bien plus le secteur financier que le secteur des technologies. Incontestablement, Aladdin, Larry Fink et le Soft power de Blackrock se paient cher.

 

valorisation blackrock
valorisation amundi
Valorisation Blackrock et Amundi

Reprenons les différents points abordés dans cet article.

  • Amundi a une très faible empreinte aux US, le marché de capitaux le plus important au monde, et aura du mal à s’y faire sa place.
  • Les deux gestionnaires se concentrent maintenant sur l’Asie, région encore très faiblement représentée dans les portefeuilles occidentaux. 
  • Blackrock dispose de revenus plus diversifiés que Amundi.
  • Le groupe américain dispose d’une forte histoire, il a notamment accompagné plusieurs fois des banques centrales, conglomérats ou gouvernements dans des situations critiques (crise des subprimes, crise grecque…)
  • Les solutions technologiques de Blackrock sont bien plus matures que celles de son homologue européen. 
  • L’encours de Blackrock a beau être 5 fois plus important que celui d’Amundi, il croît à la même vitesse.
  • En termes de croissance de résultat et de marges les deux groupes sont relativement proches, Amundi est légèrement plus efficace dans la conversion de son chiffre d’affaires en résultat courant avant impôt.
  • La politique de distribution de Blackrock est impeccable. Depuis bientôt 20 ans, l’entreprise verse un dividende qui ne fait que croître d’année en année.

Ce sont ces différentes raisons qui m’amènent à penser que c’est Blackrock qui jouit d’un premium soft power/technologie et non Amundi qui est sous-valorisé. Pour autant, au vu de ses fondamentaux, le titre Amundi s’échange à un prix intéressant lorsqu’il est comparé au reste de son secteur.