La France et le luxe, une longue histoire d'amour 

La France n’a pas de GAFA, mais elle a les géants du luxe mondial” s’est félicité Bruno Le Maire en 2019. Et il n’a pas tort. 

LVMH, Kering, Hermès : ces trois valeurs-là représentent plus qu'une part importante du CAC40 (16,92%) ou une capitalisation impressionnante (627 milliards de dollars). Ce sont des symboles français à l'international qui s'inscrivent dans la lignée d'un patrimoine culturel avec des marques implantées depuis des décennies (1837 pour Hermès, 1854 pour Louis Vuitton, 1921 pour Gucci, qui est italienne). 

Reconnu à l’international pour son art de vivre, l’Hexagone s’est forgé une image forte au travers de grandes figures comme Coco Chanel ou encore Yves Saint Laurent, mais aussi au travers de ces grandes maisons qui sont restées à l’avant-garde du luxe tout en parvenant à le démocratiser. 

Des maisons qui, elles-mêmes, sont devenues des mastodontes sur les marchés financiers. D’après BandZ et Kantar, sur les dix marques de luxe les plus valorisées en 2020, six sont tricolores. 

Sources : BrandZ, Kantar et Statista

Une année charnière :

Les marchés boursiers ont connu une année inédite en 2020, à l'image de la crise sanitaire sans précédent qui a frappé la plupart des pays du monde. Les diverses mesures de confinement ont entraîné l'arrêt brutal de pans entiers de leur économie. 

Si des secteurs d'activités s'en sont trouvés fortement pénalisés comme la restauration ou l'hôtellerie, une grande partie de la population mondiale a continué à exercer en découvrant le télétravail. Cette longue période de privation (sorties, voyages, loisirs) a permis à de nombreux ménages d'accumuler une importante épargne. En France, d'après l'Insee, l'"épargne-Covid" accumulée en 2020 représentait près de 100 milliards d'euros, soit une augmentation de près de 45% par rapport à 2019. L'épargne brute totale des français pourrait même monter jusqu'à 380 milliards d'ici la fin de l'année. 

De nombreux particuliers ont compensé cette privation en achetant ce qu'ils avaient sous la main, c'est-à-dire via internet, des produits dits de "cœur". Les objets luxueux font bien évidemment partie de ces produits "plaisirs" prisés. Nous retrouvons d'ailleurs de nombreuses marques de luxe dans les marques préférées dans le monde. Le classement "Top Global Brands Passion" fait par NetBase identifie les marques les plus aimées par les consommateurs sur les réseaux sociaux. Dans leur rapport de 2020, nous retrouvons Chanel (21ème position), Gucci (22ème position), Dior (23ème position), Ferrari (30ème position), Louis Vuitton (34ème position), Prada (52ème position), Yves Saint Laurent (59ème position). C'est une preuve que ces marques ont bien réussi à pénétrer les réseaux sociaux et à démocratiser leur communication pour toucher le plus grand nombre (surtout les plus jeunes). De plus, les acteurs du secteur étaient déjà très bien implantés sur internet et la clientèle s’est relativement bien adaptée à commander en ligne. 

Pourquoi le luxe nous attire-t-il ? 

Le luxe représente une oasis pour celui qui traverse un désert. Un superflu qui devient nécessaire pour certains pour se positionner dans une société, pour exister, pour avoir quelque chose en plus, quelque chose à raconter. Dans une société en perte de repères, les marques du luxe ont un héritage à revendiquer. La rareté, réelle ou somptueuse, créé de l’attractivité. Finalement, le luxe devient nécessité car il répond à un besoin humain essentiel : se distinguer. 

Les entreprises présentées aujourd’hui ont très bien compris les ressorts de leur industrie. En abordant un vocabulaire bien rodé (artisanat d’exception, authenticité, exigence, savoir-faire, héritage, etc.) et en permettant de vivre une véritable expérience sensorielle au sein des boutiques, ces marques luxueuses nous donnent l'illusion de la postérité en permettant de se hisser hors du temps vécu de la conscience. 

Un secteur très rentable 

Les marges du secteur sont impressionnantes. Des marges nettes de 10,5% pour LVMH, 16,4% pour Kering, 21,8% pour Hermès. C’est bien connu : Il n’y a que dans le luxe que les marges sont "luxueuses". 

Les revenus sont tout aussi grandioses : 

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(Source Jefferies avec Euromonitor)

Promis à un bel avenir 

  • Une croissance qui ne décélère pas 
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Sources : Bain & Company, Global Web Index et Visual Capitalist 

  • La digitalisation et l’influence des réseaux sociaux 

La forte présence  des marques du luxe sur les réseaux sociaux depuis quelques années s’est accélérée en 2020. La découverte de l’univers de la marque ou la possibilité d'assister aux défilés depuis le premier rang lors des Fashion Weeks, via des vidéos live extrêmement génératrices d’émotions, se répand énormément. Cette sensation d'exclusivité rendue accessible à tous via les réseaux sociaux constitue à la fois un levier de croissance formidable pour les entreprises du secteur qui peuvent s’adresser simultanément à un public bien plus large mais constitue également un danger qui pourrait détériorer l’essence même de leur identité. En effet, par essence, le luxe ne peut pas être accessible à tout le monde, sinon il devient banal. 

Les marques de luxe incluent de plus en plus les influenceurs dans leurs stratégies de communication afin de toucher plus de communautés. Elles communiquent sur les réseaux sociaux et mettent un point d’honneur à répondre aux messages qui les interpellent sur ces canaux. Par exemple, Gucci, propriété de Kering, enregistre le meilleur score en termes d'impact sur les réseaux sociaux, selon le cabinet Tribe Dynamics. 

Les ventes en ligne ont explosé en 2020 et cette tendance n'est pas prête de s’arrêter. D’ici 2025, 25% des ventes seront faites sur internet contre 8% en 2016. 

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Source : eMarketer

  • Henrys et les Millenials 

Les “Henrys”, pour “High Earners Not Rich Yet” (hauts revenus mais pas encore riches), représentent une part de plus importante de la population. Ce sont principalement des jeunes avec un niveau de revenu élevé, qui sont à l'aise financièrement sans pour autant être encore vraiment riches. Avec des revenus supérieurs à 100.000€ mais un patrimoine inférieur à 1.000.000€, ces clients rois sont la première clientèle des marques de luxe. Les "Henrys" sont issus de la classe moyenne, mais ont un revenu disponible plus élevé. Ils sont quatre à dix fois plus nombreux que les clients très riches de leurs pays respectifs, et constituent une cohorte socio-démographique en expansion selon Bain & Company. C’est la nouvelle clientèle des acteurs du secteur qui consomment beaucoup ce type de produits plus que leurs aînés. 

Bernstein identifie quatre types de clientèles des objets de luxe. La clientèle historique correspond aux “epicurean” (les “henrys” viennent se positionner là). Une autre source de revenu importante pour les marques provient aussi des "aspirationals". Ce sont des clients capables d’économiser plusieurs mois pour s’acheter de temps en temps un produit de luxe. Et quand cela arrive, ils se concentrent sur leur marque favorite. Et vous savez quoi ? C’est souvent Chanel, Louis Vuitton, Hermès, Gucci, etc. D’où l’importance d’être un leader avec des marques fortes dans le secteur. 

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Source : Bernstein

D’après Bain & Company et Berenberg, les Millenials (nés entre 1980 et 1995) et la Génération Z (nés entre 1995 et 2010) représentent aujourd’hui 57% de la clientèle et pourraient même peser plus de 70% d’ici 2025. 

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  • L’engouement des pays émergents 

Même si la plupart des grands groupes du secteur sont issus des pays riches, une part de plus en plus importante de la demande vient des pays émergents, notamment en Chine où la classe moyenne devient plus aisée. 

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La plupart des études que j’ai épluchées sur le sujet estiment que la croissance sera à deux chiffres grâce à la demande dans cette partie du globe jusqu'en 2025, entraînant la quasi-totalité de la croissance du marché. Ainsi, les ventes en Chine devraient plus que tripler d’ici 2025 d’après Berenberg. D’ailleurs, à cette date, la clientèle chinoise comptera pour 45% du marché contre 33% aujourd’hui. Une statistique incroyable : 54% des chinois déclarent vouloir dépenser une part de leur revenu dans le luxe en 2021 (soit 750 millions de personnes). 

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  • Expérience d’achat 

La culture asiatique dans l'ensemble et chinoise en particulier, accorde une importance plus accrue à l'expérience d’achat que nous autres européens. Les marques de luxe investissent énormément pour continuer à surprendre, à innover et être capables de fidéliser les clients grâce à ces “expériences” comme des concerts ou des espaces éphémères, afin de maintenir le lien avec des consommateurs censés se sentir appartenir à une même communauté. Les marques s’attachent donc à proposer des expériences immersives, en particulier autour de la 3D et de la réalité augmentée. 

Il se s’agit plus de vendre le bon produit, à la bonne personne, au bon endroit et au bon moment mais de parvenir à raconter une histoire différenciante, désirable et cohérente par rapport à l'expérience client attendue. Cette histoire est à faire vivre plutôt qu’à raconter pour que le client puisse y croire, s’y confronter et la décupler. C’est d'autant plus important en Chine. Et ça, nos petits génies du luxe français l’ont bien compris. 

  • Pricing power et inflation 

Dans un contexte inflationniste incertain, les marques fortes réussiront à imposer leur prix. En effet, leur image de marque est perçue par les clients comme un bénéfice à elle toute seule. Cette possibilité d’imposer son prix permet de l'augmenter au besoin, au gré de l’inflation, sans trop se soucier de la capacité de paiement de la clientèle, puisque cela crée d'autant plus un sentiment d'exclusivité. C’est ce que l’on appelle le "pricing power”. Les marques ayant un “moat” ont davantage de “pricing power” (j’en parle ici). 

Cette donnée est analysée dans de nombreux rapports et les trois valeurs citées (LVMH, Kering et Hermès) n’ont pas trop de soucis à se faire de ce côté là. Leurs marques fortes leurs permettent de capter un maximum de valeur, notamment auprès des "aspirationals" qui se concentrent sur un ou deux produits par an et vont donc être très sélectifs sur leurs achats. 

Les trois valeurs françaises font un podium dans le classement Bernstein (étant donné que Tiffany a été racheté par LVMH). 

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Source : Bernstein

Focus sur un champion : LVMH 

Fondé en 1987, le groupe LVMH est dirigé depuis 1989 par Bernard Arnault. LVMH (abréviation de Louis Vuitton Moët Hennessy, les marques piliers du groupe) a pour vocation d’assurer le développement à long terme de chacune de ses 75 maisons. 

  • Quelques chiffres sur le groupe 
  • N°1 du luxe dans le monde 
  • 75 maisons 
  • 5003 boutiques 
  • 44,7 milliards d’euros de ventes 
  • 150 479 employés 
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Source : LVMH 

  • Diversité des activités et des implantations géographiques 

C’est le seul acteur du luxe se positionnant sur autant de secteurs. 

Les activités du groupe se répartissent de la manière suivante : 

  • Vins & Spiritueux : Hennessy, Moët & Chandon, Ruinart, Dom Pérignon, Château Cheval Blanc, Krug, Veuve Coquelicot, Belvédère, etc. 
  • Mode & Maroquinerie : Louis Vuitton, Christian Dior, Fendi, Givenchy, Kenzo, Berluti, etc.
  • Parfums & Cosmétiques : Guerlain, Acqua di Parma, Benefit Cosmetics, Cha Ling, etc.
  • Montres & Joaillerie : Chaumet, Bulgari, TAG Heuer, Hublot, Tiffany & Co, etc.
  • Distribution sélective : Sephora, Le Bon Marché, La Grande Epicerie de Paris, etc.
  • Autres activités : Les Echos, Le Parisien, Le Jardin d'Acclimatation, Radio classique, etc. 
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Source : LVMH 

En 2020, LVMH a réalisé 41% de ses ventes en Asie, son plus gros marché, 24% aux États-Unis et 24% en Europe. La branche “Mode & Maroquinerie” représente 47% de son chiffre d'affaires, suivie par son réseau de distribution sélective à 23%. 

L’Asie représente le plus gros marché pour LVMH 

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Source : LVMH 

  • Management de qualité 

La famille Arnault détient 47,5% des parts du groupe en Novembre 2020. Depuis, elle a accéléré ses rachats d‘actions et va proposer à ses actionnaires de l'autoriser à racheter jusqu'à 10% de son capital à un prix maximum de 950 euros par action, soit 50% plus élevé qu’aujourd’hui. Cela représente un engagement pouvant atteindre près de 50 milliards d'euros. Ces rachats prouvent la confiance des principaux actionnaires dans l’avenir du groupe. C’est ce que l’on appelle “skin in the game” dans notre jargon. Le PDG est récompensé par les performances du groupe, puisque sa fortune est directement liée au cours du titre LVMH, ce qui nous rassure sur sa détermination à faire prospérer l’entreprise. 

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Source : LVMH 

  • Intégration verticale mais organisation décentralisée 

L’intégration verticale permet de maîtriser tous les aspects de la chaîne de valeur et d'optimiser le rendement des pôles recherche & développement ainsi que les réseaux logistique. Pour autant, le groupe a à cœur de conserver l’identité propre de chaque entité à travers une organisation décentralisée pour favoriser l’autonomie et la réactivité des maisons. 

  • Une performance élevée du cours de bourse 

LVMH surperforme le CAC 40 chaque année. L’action prend quasiment 100€ par an depuis 2017. Un actionnaire qui aurait investi 1.000 euros le 1er janvier 2016 se retrouverait au 21 mai 2021, sur la base d’un réinvestissement en actions des dividendes perçus, en possession d’un capital de 4628€. En cinq ans et demi, son investissement lui aurait ainsi offert un gain de 362%. 

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Source : LVMH 

  • Un petit résumé de sa situation financière 
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Source : Zonebourse

Croissance à deux chiffres, révision des bénéfices à la hausse, rentabilité remarquable, belle visibilité du business, etc.. seul hic, la valorisation (à son plus haut historique comme le cours de l’action). L’action se paye actuellement 36,7 fois son bénéfice prévisionnel pour 2021. 

J’aurais très bien pu faire un focus sur Kering ou Hermès, deux très belles valeurs également. LVMH présente l’avantage d’offrir une plus grande diversité. 

Vous l’aurez compris, le secteur du luxe regorge de potentiel.