Un peu de contexte

Avant 2019, quasiment personne n’avait entendu parler de monnaie numérique de banque centrale. C’est à partir de la publication du projet Libra de Meta (ex-facebook), qui consistait à créer et distribuer une monnaie numérique appelée Diem avant d'être abandonnée, que les mentions autour de ce sujet ont explosé. Il faut dire que lorsqu'un géant de la tech envisage de proposer une monnaie virtuelle à plus de 3 milliards d’utilisateurs  - plus de 77% des internautes, soit environ 3,59 milliards de personnes, sont actifs sur au moins une plateforme Meta en 2023 - une levée de boucliers des autorités semble évidente.

Le développement de ce type d'initiatives privées a forcément inquiété les gouvernements, qui y voyaient un risque de perte de contrôle sur la monnaie et de leur capacité à protéger les données des citoyens. Une telle initiative menée par un mastodonte de la commercialisation des données personnelles, a accéléré le processus de réflexion quant à la mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) dans certaines régions du monde. Depuis, de nombreux pays ont avancé sur le sujet.

Où en sont les réflexions sur les MNBC ? 

Déjà, à l’heure actuelle, il n’est pas facile de définir ce qu’est concrètement et précisément une monnaie numérique de banque centrale (Central Bank Digital Currency - CBDC, en anglais). Typiquement, à la conférence “Les opportunités et les défis de la tokenisation de la finance : quel rôle pour les banques centrales ?”, qui à eu lieu à Paris en septembre dernier, et qui réunissait des pointures de la finance traditionnelle mondiale, et bien pas grand monde n’était d’accord sur une définition commune. A titre d’exemple, pour la Banque de France, une MNBC est en quelque sorte une amélioration du système SWIFT actuel, donc d’une optimisation du système bancaire. En revanche, pour la Banque Centrale Européenne (BCE), une MNBC est destinée à servir directement les particuliers. Dans l'option de la BCE, si les flux de la MNBC européenne est directe entre le citoyen lambda et le portefeuille BCE, se pose la question du court-circuitage avec les banques commerciales puisqu'elles jouent aujourd'hui le rôle d’intermédiaire. Autrement dit, il reste encore du travail pour que les pays s’accordent sur l’utilité et de l’application concrète d’une MNBC. Et cela commence par avoir la même définition. 

Les travaux en cours

Si nous devions poser les premières briques d’une définition, nous pourrions au moins dire que les MNBC sont une forme de monnaie numérique pouvant être émise par les banques centrales et les autorités monétaires des pays. Des études de recherche estiment que les banques centrales des seuls pays du G7 dépensent plus de 50 milliards de dollars par an pour compenser et régler des titres. Cela est principalement dû aux ressources nécessaires pour transférer les actifs et rapprocher les comptes. En effet, les systèmes de paiement transfrontaliers modernes nécessitent le mouvement d'actifs et de données de transaction sensibles via plusieurs banques correspondantes, ce qui expose les particuliers et les institutions à des risques opérationnels et de règlement. Les MNBC pourraient ainsi réduire ces coûts.

Si nous partons du postulat que la MNBC basée sur la technologie Blockchain surmontent certaines vulnérabilités du cadre actuel de la banque centrale en simplifiant le système de paiement et en en faisant un registre d’actifs et une chambre de compensation “décentralisée” à grande échelle, alors nous pouvons la décomposer en trois caractéristiques :

  • Actifs numériques : Les MNBC sont des actifs numériques qui sont comptabilisés dans un registre numérique (distribué ou non) qui agit comme la seule source de données fiables.
  • Banque centrale soutenue : La MNBC représente des créances sur la banque centrale, tout comme les billets de banque.
  • Banque centrale contrôlée : L'offre de MNBC est entièrement contrôlée et déterminée par la banque centrale.

Enfin, nous pouvons distinguer deux catégories de MNBC : 

MNBC de détail (retail) :  La MNBC de détail est utilisée pour les paiements entre particuliers et entreprises, comme des billets de banque numériques. 

MNBC de gros (wholesale) :  La MNBC de gros est utilisée pour faciliter le règlement interbancaire, c'est-à-dire les paiements entre les quelques banques et autres entités qui ont des comptes à la banque centrale. 

Les dernières initiatives mondiales majeures en termes de MNBC : 

  • En février 2023, la banque centrale des Emirats arabes unis (EAU) a annoncé prévoir d'émettre une MNBC pour les “usages transfrontaliers et domestiques”.

  • La Banque d'Angleterre a publié une demande de candidature en décembre 2022, cherchant une preuve de concept pour un portefeuille pouvant contenir une MNBC, ainsi que des fonctionnalités telles que la réalisation de transactions et l'envoi de demandes de paiement. La banque centrale prévoit d'allouer près de 255 000 dollars au développement de l'exemple de portefeuille.

  • En décembre 2022, la Banque du Canada a annoncé qu'elle lancerait une consultation publique sur les MNBC en 2023.

  • En novembre 2022, la France, Singapour et la Suisse ont lancé un essai interrégional conjoint appelé Project Mariana pour leurs MNBC et leurs protocoles de financement décentralisés afin d'explorer comment les institutions financières pourraient utiliser ces outils pour régler les opérations de change.

  • L'Autorité monétaire de Singapour a annoncé que son projet MNBC a achevé la première phase en octobre 2022. Au cours de cette étape, le projet a exploré les cas d'utilisation possibles d'un dollar singapourien numérique et l'infrastructure nécessaire à sa mise en œuvre.

  • En septembre 2022, la Banque de France a annoncé de nouveaux projets qui explorent les avantages des MNBC pour les banques et les institutions financières, notamment la gestion de la liquidité via des teneurs de marché automatisés et l'émission et la distribution d'obligations à jeton.

  • En septembre 2022, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé qu'elle s'associait à 5 entreprises, dont Amazon, Nexi, CaixaBank, Worldline et l'Initiative européenne de paiement, pour le développement de prototypes frontaux basés sur des cas d'utilisation spécifiques du l'euro numérique. En décembre, la BCE a révélé que l'itération numérique de l'euro était basée sur des jetons.

  • En août 2022, la Reserve Bank of Australia a annoncé le lancement d'un programme de recherche d'un an pour explorer l'utilisation d'une MNBC. En décembre, la banque centrale a révélé qu'elle explorait les avantages et les inconvénients de l'utilisation des stablecoins comme alternative à la monnaie numérique.

  • La Banque de Thaïlande a annoncé en août 2022 qu'elle lancerait un projet pilote de la MNBC de détail d'ici la mi-2023.

  • En avril 2022, la DTCC Depository Trust & Clearing Corporation) a annoncé le développement d'un prototype, baptisé Project Lithium, qui explorerait comment une MNBC basée sur une blockchain pourrait fonctionner dans l'infrastructure de compensation et de règlement des États-Unis.

Par ailleurs, en octobre 2022, la Banque de Chine, qui est le pays le plus avancé en matière de MNBC, a annoncé que son yuan numérique avait atteint près de 14 milliards de dollars de transactions dans sa phase pilote. Plus de 5,6 millions de commerçants acceptent le yuan numérique (e-yuan) comme monnaie légale. D’ailleurs le pays en a distribué aux citoyens pour pour encourager l'adoption de cette monnaie numérique de banque centrale (MNBC)”. En cliquant sur le lien suivant, vous serez redirigés vers une map interactive de l’avancement des MNBC dans le monde : https://cbdctracker.org/

Etat des MNBC dans le monde
cbdctracker

Réflexions finales

Bien que de nombreuses banques centrales se penchent sur la question de l’utilité d’une monnaie numérique de banque centrale, sa mise en application reste encore floue à l’heure actuelle. La potentielle désintermédiation des banques commerciales étant l’une des préoccupations majeures. Mais il est inimaginable de voir un bankrun des banques commerciales au profit de la banque centrale. Il sera intéressant de voir la poursuite des discussions sur ce sujet. En tant que consommateur, les questions sur la traçabilité, la confidentialité et la censure des données permises avec un potentiel e-euro soutenu par une blockchain privée seront aussi intéressantes à observer dans les débats. 

En guise conclusion, et pour résumer ce sujet sur les MNBC, j’emprunte les mots de Joseph Lubin, fondateur de ConsenSys et cofondateur d’Ethereum : Les MNBC donnent aux banques centrales des outils tournés vers l'avenir pour leur permettre de mettre en œuvre des politiques monétaires de manière plus directe et innovante et de suivre le rythme des changements technologiques”.