Mais même avec le meilleur des produits, toutes les entreprises ont un prix sur les marchés financiers. Or, lorsqu’elles sont valorisées (si ce n’est survalorisées) pour la perfection, même le plus infime couac peut diviser par deux, voir trois la capitalisation d’une société en quelques jours. Depuis maintenant quelques semaines, les exemples sont nombreux et DocuSign n’échappe pas à cette règle. Mercredi 3 décembre, la firme américaine est brutalement revenue à la réalité en voyant son cours chuter de près de 45% en une seule séance. Est-elle pour autant devenue bon marché ? Telle est la question…. Tout investisseur se doit de faire ses propres choix, découlant le plus possible de réflexions non orientées. C’est pourquoi nous allons étudier aujourd’hui et ce le plus factuellement possible, le business model de DocuSign ainsi que les résultats du Q3 à l'origine de cette brutale chute. Alors sans plus tarder, let’s break it down !

  • Adieu aux contrats papier :

Bien que DocuSign réunisse plusieurs tendances à la mode (Covid, Cloud, Digitalisation…) l'exubérance qui l’entoure repose également sur un business exceptionnel à l'avantage concurrentieltrop souvent ignoré. Mais l’e-Signature n’est pas une technologie récente, ni la seule propriété de DocuSign. You Sign ou Adobe permettent également de signer des contrats directement depuis notre ordinateur ou smartphone. Ce qui différencie réellement DocuSign de ces entreprises susnommées est son service “Agreement Cloud”. Afin de parfaitement comprendre l’étendue et l’importance de cette offre, revenons sur le processus historique de la création à l’archivage d’un contrat.

Omniprésents dans toutes entreprises, les contrats nécessitent, bien qu’il existe de nombreux templates, d'être rédigés, transmis, signés, retournés, archivés ect… Pour faire court, le processus est lent, coûteux et toutes erreurs ou modifications nécessitent de recommencer ce laborieux mécanisme, entraînant perte de temps et coûts additionnels en supplément…

Source : DocuSign

Les accords sont présents à tous les étages d’une entreprise, et peuvent concerner un service tout entier ou une simple fonction. Ce qui nécessite souvent, du moins pour les plus grandes entreprises, un employé ou un service entièrement dédié à leur gestion. Le bon fonctionnement d’une entreprise dépend finalement ni plus ni moins de la manière dont ses accords sont gérés, de la rédaction à l’archivage en passant par le suivi (contrats de ventes, offres d'emploi, accords de non-divulgation…)

Source : DocuSign

Le problème qui rend ce processus long, fastidieux et coûteux est qu’il n’existe aucune connexion automatique entre chaque phase. C’est pourquoi il faut que des actions manuelles viennent lier les différentes étapes d’un processus contractuel. L'Agreement Cloud règle ceci. Il s'agit là de la partie immergée de la proposition de valeur de DocuSign. La partie la plus importante mais souvent la moins bien connue.

L'Agreement accélère le processus d'activité des entreprises et simplifie la vie de leurs clients et employés. Pour ce faire, il transforme l'élément fondamental de l'entreprise, l'accord, en le rendant plus rapide, facile et moins coûteux. Ce service se découpe en quatre sous étapes.

  • Préparer : Préparation des contrats
  • Signer : Signature des contrats
  • Agir : Faire ce que les contrats exigent
  • Gérer : Stocker et gérer les contrats

Source : DocuSign

De nombreux services sont disponibles aux travers de ces 4 étapes, comme réduire les erreurs en automatisant l'ensemble du cycle de vie des contrats grâce à la génération de documents, ou d’un workflow. Il est également possible de mieux comprendre le contenu des accords grâce à des analyses de contrats alimentées par l'IA, qui permettent également d’accélérer la révision, ou encore d’identifier les risques et d’extraire les termes clés à l'aide de modèles d'IA prédéfinis et personnalisables. Pour accéder à la liste exhaustive de tous les services de DocuSign : cliquez ici

L’Agreement Cloud permet aux entreprises de mesurer le délai de signature d’un contrat en minutes plutôt qu'en jours. La réduction des coûts est également considérable et une grande partie des erreurs sont éliminées.

Quelques données pour appuyer ces affirmations. Avec DocuSign :

  • 44% des contrats sont signés en moins de 15 minutes
  • 80% des contrats sont signés en moins d’une journée

Ces résultats sont rendus possibles grâce à la numérisation de presque toutes les étapes de la gestion d’un contrat. Et ce à partir de pratiquement n'importe quel appareil, dans le monde entier et en toute sécurité. Nul besoin de papier, les contrats sont interconnectés et automatisés sur la plateforme Agreement Cloud. Mais pour parvenir à préparer, signer, agir et gérer les accords par le biais d'une offre automatisée, connectée et native au cloud, il faut bien évidemment une très forte intégration aux systèmes et outils de l’entreprise cliente. L'Agreement Cloud s'intègre ainsi à plus de 350 outils tels que Google, Microsoft, Salesforce…

 

Les entreprises doivent la plupart du temps faire appel à des équipes DocuSign pour parvenir à intégrer aux mieux les outils, et ce même avec une excellente API.

Source : DocuSign

Tout ceci permet à DocuSign d'être le leader incontesté sur son secteur avec une part de marché frôlant les 70%. La signature électronique n’est alors plus qu’un service prétexte permettant aux entreprises d'être subtilement confrontées aux offres de l'Agreement Cloud.

Et la vente croisée d'autres produits peut alors commencer. DocuSign émerge comme une solution B2B pleinement intégrée à une entreprise (API et outils), les coûts de changement deviennent alors si élevés qu’un subtil MOAT est en train de se développer. L'e-Signature est essentielle pour décrocher des clients, mais la phase d'expansion se fait par le biais de l'Agreement Cloud à long terme. Il faut croire que cette stratégie d’une épatante simplicité fonctionne à merveille. Lorsque nous jetons un œil à la liste d’utilisateurs des outils de l'Agreement Cloud, plus de 1,11 million d’utilisateurs payants est à relever. Clients parmi lesquels nous pouvons aussi bien trouver des entreprises du Global 2000 que des TPE, PME ou même des entreprises individuelles.

  • 15/15 Sociétés Financières du Fortune 500
  • 14/15 Sociétés Healthcare Fortune 500
  • 13/15 Sociétés Technologique du Fortune 500

Source : DocuSign

Salesforce déclare que, désormais :

  • 90% des contrats réalisés dans la même journée
  • 71% des contrats réalisés dans l'heure
  • 80% de réduction du coût moyen par contrat envoyé

Mais si la popularité semble bien au rendez-vous et que l’expression "Docu Signer" des contrats commence même à apparaître, comment expliquer une telle débâcle mercredi 3 décembre ?

  • Une chute vraiment méritée ?

Analysons dans un premier temps les derniers résultats :

  • Chiffre d’affaires : $545.5 millions (+42% YoY)
  • CA Abonnements : $528.6 millions (+44% YoY)
  • CA Services Professionnels et autres : $16.9 millions (+4% YoY)
  • Bénéfice Brut : $429.5 millions (+51% YoY)
  • Résultats Nets: $5.7 millions (vs $56.6 millions YoY)

Ces chiffres illustrent une très belle croissance, encourageante et prometteuse pour l’entreprise américaine. D’autant plus que toutes les estimations ont été battues puisque le consensus des analystes tablait sur un chiffre d’affaires de $533 millions (battu de 2%) et un BNA Ajusté de $0.46 (battu de 26%).

À la fin du troisième trimestre de l'exercice 2022, DocuSign comptait 1,11 million de clients, soit une augmentation de 35 % par rapport à l'année précédente. Plus de 59 000 nouveaux clients ont été ajoutés au cours du trimestre et les clients dont les dépenses annuelles sont supérieures à 300 000 dollars ont augmenté de 45 % par rapport à l'année précédente pour atteindre un total de 785. Pour ce qui est des facturations, DocuSign a annoncé 565,2 millions de dollars, soit une augmentation de 28% par rapport à l'année précédente. Une très belle croissance mais qui manque de peu les estimations de croissance de l’entreprise. Au dernier trimestre, DocuSign avait annoncé des facturations comprises entre  585 et 597 millions de dollars, soit -4% par rapport aux objectifs si l’on se réfère à la médiane située à 591 millions de dollars.

Source : DocuSign

Pour le moment, presque tous les voyants semblent être au vert. Du moins si nous ne nous penchons pas sur la conférence téléphonique du Q3. Pour cause, le PDG Dan Springer y a déclaré que : “La dynamique du marché que nous avons observée au troisième trimestre était nettement différente de celle que nous avons connue au premier semestre de cette année. Grâce à l'impulsion donnée par COVID-19 au cours de l'année et demie écoulée, nous avons connu des taux de croissance exceptionnellement élevés à l'échelle, car nous avons capté la demande des clients à un rythme sans précédent. Au fur et à mesure que nous avancions dans le troisième trimestre et dans la seconde moitié de l'année, nous avons vu la demande ralentir et l'urgence des habitudes d'achat des clients se tempérer". Une annonce de ralentissement de croissance. Nouvelle rarement accueillie positivement par les investisseurs…

Pour ce qui est du développement produit, de nombreux ajouts et mises à jour viennent améliorer un peu plus encore l’offre DocuSign :

  • La vérification d'identité (IDV) a été améliorée pour permettre aux clients d'ajouter la réauthentification par SMS aux enveloppes IDV. Une fois que les signataires ont passé une première vérification d'identité, ils saisissent un code d'accès transmis par SMS pour accéder à l'enveloppe, ce qui ajoute une couche supplémentaire de sécurité et de commodité.
  • DocuSign Notary a été amélioré afin que les administrateurs puissent gérer la disponibilité des notaires de première partie. Un certain nombre d'institutions financières, dont Fidelity, ont ajouté ce service au troisième trimestre. 
  • Après l'intégration de la signature électronique dans Microsoft Teams au début de l'année, DocuSign est désormais un fournisseur officiel de signatures électroniques dans l'application Microsoft Teams Approvals.

En bref, DocuSign semble ne pas se reposer sur ses lauriers et investit de manière significative dans l'innovation des produits et de la plateforme. Pour ce qui est des dépenses de R&D, la firme américaine à investi un peu plus de 53 M$ soit 14% de son chiffre d’affaires (+47% YoY). Une très belle somme même pour une entreprise de ce type.

Les marges brutes s'améliorent également, passant 74% à 79% par an (ATH). Pour ce qui est des revenus des activités internationales, ils ont augmenté de 68% par rapport à l'année précédente, principalement grâce à la région Asie-Pacifique. Au total, les revenus internationaux représentent 128 millions de dollars, soit 23 % des revenus totaux.

Source : DocuSign

Les flux de trésorerie de DocuSign s'améliorent également. Au troisième trimestre de l'exercice 2022, ils ont augmenté de 84%, passant de 57 millions de dollars à 105 millions de dollars. L'un des principaux éléments du flux de trésorerie d'exploitation est la charge de rémunération à base d'actions (SBC), qui a augmenté de 35% par rapport à l'année précédente. Cette dépense est courante dans les entreprises à forte croissance car elle permet de rémunérer les employés et dirigeants sans aucune sortie d’argent. Mais si elle n'entraîne aucun coût pour l'entreprise, elle dilue le rendement pour les actionnaires. Or 11 millions d'actions ont été émises (soit une augmentation de 6%) au cours des 12 derniers mois. Un peu trop élevé aux goûts des actionnaires semble-t-il…

La direction a revu à la baisse ses prévisions de facturation pour l'ensemble de l'exercice 2022, entre 2,335 et 2,347 milliards de dollars contre 2,409 à 2,429 milliards de dollars pour les prévisions précédentes. Toutefois, la direction a relevé ses prévisions de revenus pour l'ensemble de l'exercice 2022, les portants entre 2,083 et 2,089 milliards de dollars contre 2,078 a 2,088 milliards de dollars précédemment. La croissance prévue du chiffre d’affaires serait alors comprise entre 43% et 44% par rapport à 2021.

Source : Zonebourse

DocuSign a donc battu toutes les estimations et relevé ses prévisions. Mais cela ne semble pas suffire pour combler l’annonce de perte de croissance du PDG et la forte dilution (6%) des actionnaires à cause de la rémunération en action. À court terme, les prévisions pour la fin d’année ont également été légèrement réduites. Mais cette baisse de 3% dans les estimations pour la fin d’année ne semble pas justifier une baisse du cours de 42%. Fondamentalement, DocuSign conserve une très belle dynamique de croissance. Il ne pourrait donc s’agir que d’une purge méritée suite à la valorisation excessive de cette entreprise. Aujourd’hui la firme américaine pèse toujours près de 30 milliards pour un free cash flow en glissement annuel de 215 millions de dollars. Soit une très belle marge FCF de 15% par rapport à son chiffre d’affaires, mais elle se négocie toujours à 13 fois son chiffre d’affaires actuel. Certes, bien loin de son apogée de juillet 2021 à un P/S de 37 mais la valorisation reste toujours très élevée. Sans se lancer dans une tentative de valorisation pour ce type d’entreprise, le fait que Dan Springer (PDG) ait récemment acheté 33 675 actions pour 4,8 millions de dollars confirme d’autant plus ma vision long terme pour ce dossier. Mais nul besoin de se précipiter, la tendance baissière pourrait encore continuer quelque temps...

"Les initiés peuvent vendre leurs actions pour un grand nombre de raisons, mais ils les achètent pour une seule" - Peter Lynch