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(Easybourse.com) Retrouvez en cliquant ici l'article Quels enjeux de l'Immatériel dans la sphère publique ?

A votre arrivée, la MONNAIE DE PARIS accumulait plus de 30 millions d'Euros de pertes sur les cinq années passées et souffrait d'importants déficits organisationnels. Vous avez entrepris de nombreuses actions pour revaloriser la marque de l'établissement qui semblent avoir porté leurs fruits. En quoi le renouvellement de la marque était-il si important ?
Dans le diagnostic de départ, la question de la marque était un des aspects, même si les difficultés de l'entreprise ne s'y résumaient pas. Les produits de la MONNAIE DE PARIS qui ne relèvent pas du service public, c'est à dire de la production de monnaies courantes pour le compte de l'Etat, sont des produits à forte valeur ajoutée. Il s'agit de produits qui ne remplissent pas de besoin direct du consommateur, mais font appel à des ressorts psychologiques, de positionnement social, de rêve, de prestige. Ils supposent donc un effort particulier de marketing.

Le discours marketing de la MONNAIE DE PARIS se doit donc de porter le message sur la nature particulière de cette institution, crée il y a plus de 12 siècles, qui recèle d'un savoir faire multi-séculaire, qui compte en son sein des ouvriers dont certains sont «Meilleurs ouvriers de France» et qui possède une activité artistique, abritée dans un cadre architectural unique. L'élément-clé de ce discours repose sur la marque. Indépendamment de ce qu'elle porte, ses mots seuls - «monnaie» et «Paris» ont déjà de la valeur. La monnaie est un actif, fait référence à ce qui est précieux ; Paris évoque de nombreuses images, d'un attrait indéniable notamment sur un public étranger. Les deux mots associés véhiculent une fondation royale, un bâtiment exceptionnel («l'Hôtel des Monnaies», quai de Conti). Comme pour le luxe, la marque joue un rôle de capsule qui contient tout ces éléments à la fois et lui donnent son identité.

La marque contient depuis longtemps des choses positives, mais elle portait également une charge négative non négligeable : son nom peut souffrir la confusion, du fait de l'homophonie par exemple avec la «Mairie de Paris» par exemple ; or avoir une marque qu'on confond avec une autre n'est pas une marque forte. Plus important, son identité publique était mal vue. Elle fonctionnait comme un répulsif à l'activité orientée sur l'art et le rêve que nous souhaitions développer. Le bâtiment enfin, sorte de place forte à la Fort Knox, était perçu sous un aspect poussiéreux et complètement fermé sur lui-même, qui faisait de la MONNAIE DE PARIS une «belle endormie».

Notre travail sur la marque a donc consisté à capitaliser sur ses aspects positifs en les mettant en valeur, et à retourner les aspects négatifs.

La MONNAIE DE PARIS est devenue depuis janvier 2007 un Établissement Public Industriel et Commercial (EPIC). Quelle importance ce changement de statut revêt-il pour la gestion de ses actifs immatériels (marque, capital client, capital humain...) ?
La Direction des Monnaies et Médailles, ancien nom juridique de la MONNAIE DE PARIS, avait déjà engagé une gestion des actifs immatériels puisqu'elle s'était déjà donné, en déposant le nom «Monnaie de Paris», une marque qui transcendait son périmètre juridique. La transformation en EPIC n'a pas tellement changé les choses sur la gestion juridique de la marque proprement dite, qui était déjà gérée de manière quasi-autonome.

Les changements se sont traduits au niveau de la gestion comptable, puisque la Monnaie est passée d'un «budget annexe» à une comptabilité propre, mais aussi au niveau de la gestion des ressources humaines. D'un statut de quasi-fonctionnaires, les ouvriers sont passés sous statut privé et régit par une convention collective, ce qui a provoqué au départ de fortes oppositions. Si la question du passage à l'EPIC est surtout juridique, elle nous a aussi aidés à nous différencier par rapport à l'Etat et par là, de pallier un des handicaps de l'image publique dans une activité qui se rapproche du luxe.

Vous avez insisté lors de votre prise de fonctions, sur le renouvellement des relations sociales au sein de la MONNAIE DE PARIS. Pensez-vous que l'aptitude à tisser un partenariat avec ses employés participe de l'actif immatériel d'une entreprise, et œuvre éventuellement pour sa différenciation ?
Quel que soit le type d'établissement, je suis convaincu qu'on ne peut rien faire rien sans l'adhésion des gens. La transformation d'une structure doit d'abord venir de l'intérieur. A mon arrivée, j'ai trouvé une situation de blocage complet : un corps social figé, pas de recrutement depuis 10 ans, ce qui signifiait pas sang neuf. Le corps social souffrait d'une certaine endogamie. Le dialogue avec la Direction était rompu, or ce dialogue à l'intérieur de l'institution était un préalable à son ouverture sur l'extérieur.
 
Une fois renoué le dialogue avec les salariés, un cercle vertueux commence. Les employés se sentent impliqués et peuvent se faire les avocats du changement, à l'intérieur comme à l'extérieur. Il suffit de quelques éléments déclencheurs pour que les gens retrouvent de la fierté à travailler dans leur entreprise. Les réactions à l'exposition de photographies «David LaChapelle» à la MONNAIE DE PARIS sont à ce titre révélatrices : lors de l'installation, il y a eu certaines réactions de rejet de la part des salariés, mais par la suite, voyant les longues files d'attentes à l'entrée de l'exposition, que celle-ci attirait un public visiblement plus jeune et plus divers, ainsi que les retombées dans les médias, leur opinion a évolué ; ils ont ensuite salué la réussite de l'exposition.

Pouvez-vous évoquer le rôle des expositions au sein de la MONNAIE DE PARIS ?
Les expositions font partie de la MONNAIE DE PARIS. Tout dépend du sens que l'on veut donner à cet outil. Jusqu'ici, le marketing des expositions était pensé uniquement en lien avec le cœur de métier de la MONNAIE DE PARIS, en présentant des objets en métal comme les bronzes animaliers par exemple. L'avantage était la légitimité de la marque dans de telles thématiques. Mais, en n'élargissant pas son audience, en restant sur un public relativement âgé, l'inconvénient était notable.

Nous avons donc décidé d'utiliser les expositions comme vecteur de rajeunissement de la marque et d'association de cette marque aux domaines artistiques actuels. Il s'agit de montrer que, malgré la limitation technique de son support (le métal), la MONNAIE DE PARIS a encore des choses à dire dans le domaine artistique. Les expositions relèvent ainsi presque de la technique de la métonymie, c'est à dire que le contenant (l'entreprise et la marque) s'assimile peu à peu au contenu (les artistes et œuvres exposées, les valeurs qu'ils véhiculent).

La métonymie fonctionne bien sûr dans les deux sens. L'année dernière, une célèbre marque de haute couture avait dans un premier temps refusé de collaborer avec la MONNAIE DE PARIS, considérant que celle-ci n'était pas assez valorisante. Un an plus tard, la collaboration a été possible et pleinement réussie.

Comment gérez-vous les risques éventuels liés à l'exploitation de votre marque ?
Les principaux risques sont de deux types. Le premier est la «confusion sémantique» avec d'autres marques ou la mauvaise interprétation du nom. En Allemagne par exemple, il existe 5 organismes nommés «Monnaies» différents, réparties dans les Länder.  Le problème du nom de notre marque est de faire penser, notamment à un public étranger, que nous sommes une institution locale («Paris»), problème que ne rencontrent pas d'autres services nationaux comme Météo France, Française des Jeux, France Télécom, etc.

Le second risque est que les mots «monnaie» et «Paris» sont extrêmement banals. La marque est certes déposée depuis longtemps, mais toute déclinaison pour des noms de produits et des extensions de marque sont difficiles à protéger. Il faut faire preuve d'imagination... ou renoncer à la protection.

Un projet de restructuration de l'Hôtel de la Monnaie quai de Conti vient d'être lancé. Quel est l'objectif de ce projet et quelle valeur une telle démarche peut-elle délivrer au public ? Quelle valeur ajoutée pour la marque ?
Ce projet de restructuration répond à trois objectifs :
1- Accroitre le flux de gens à l'intérieur de la MONNAIE DE PARIS. Il s'agit d'attirer les clients, en offrant un espace attrayant, comportant des lieux de restauration, des expositions, des ateliers.
2 - Montrer «l'intérieur de le bête» : la préservation de métiers anciens. Cet aspect tient un discours sur le produit en lui-même. La démarche marketing est de montrer un savoir-faire préservé, une tradition d'artisanat d'art, destiné à enrichir la vision que le client a du produit.
3 - Renforcer le caractère unique de nos productions d'art en montrant que cette activité est réalisée dans son environnement historique d'origine. Le discours qu'on peut y proposer est ainsi plus complet : il s'agit de rattacher histoire du bâtiment et de l'institution à l'histoire de France et à celle du patrimoine national.

Avez-vous analysé ou vous-êtes vous inspiré de pratiques d'autres entreprises, d'autres organismes publics, en France ou à l'étranger, pour votre démarche à la Monnaie de Paris ?
Nous avons analysé plusieurs stratégies de sociétés lancées auparavant :
-Les Gobelins et Sèvres, pour leurs stratégies de marque et d'ouverture au public. Ces deux manufactures sont cependant différentes de la MONNAIE DE PARIS : il s'agit davantage d'administrations au sens classique car leur client principal est l'Etat.
-Dans le privé, nous nous sommes inspirés de ce qui avait été fait par les cristalleries Baccarat  et Daum : relooker leur patrimoine technologique. Daum a ainsi mis en vente des pièces spectaculaires en utilisant le même procédé que la haute couture : les produits uniques, très haut de gamme, produisent un effet d'entrainement sur les éléments plus bas dans la gamme. Baccarat a également réalisé des pièces exceptionnelles, s'est associé au designer Philippe Starck et s'est doté d'un showroom qui utilise leur patrimoine immobilier pour en faire un élément de la marque. Nous nous en sommes inspirés pour notre concept store, qui ouvrira en 2011.
-Enfin, le syndicat de verriers vénitiens à Murano. Il s'agit d'une activité comparable à celle de la MONNAIE DE PARIS, car c'est un métier d'art utilisant des techniques anciennes. Dans le cadre exceptionnel de l'île vénitienne de Murano sont réalisées des démonstrations du savoir-faire devant les clients, qui repartent en achetant des productions de Murano. Nous reproduirons cela avec la visite de nos ateliers.

Interview réalisée par les étudiants de la Tribune Sciences de l'Immatériel
Sous la direction de Marie-Ange Andrieux - Deloitte - Directeur de la Tribune Sciences Po de l'Immatériel

- 30 Juillet 2009 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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