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(Easybourse.com) Dès lors que le conflit entre la Russie et la Géorgie a éclaté quels impacts avez-vous observés sur l'économie russe ?
Tout d'abord sur le marché russe l'impact du conflit s'est fait sentir sur plusieurs plans. Le premier concerne les marchés financiers où le Micex, le principal indice russe, a cédé plus de 8% de sa valeur depuis le mois d'août.

Parallèlement, le rouble s'est déprécié d'environ 4% sur la même période.

Enfin, nous avons constaté une revalorisation du risque russe avec un spread de crédit qui remonte assez fortement depuis le début du conflit. Nous avons près de 30 points de base d'augmentation du spread EMBI [Emerging Markets Bond Index, ndrl] de JP Morgan.

Il faut tout de même voir que tous ces impacts en Russie s'inscrivent dans un contexte international très volatile avec en particulier la baisse du prix du pétrole qui est de l'ordre de 20% depuis mi-juillet.

Et quels sont les secteurs les plus touchés par ce conflit en Russie ?
Nous observons que tous les secteurs sont touchés, notamment les bancaires et les entreprises de pétrole et gaz, cependant quelques entreprises se portent relativement bien comme Aeroflot, la compagnie russe du transport aérien qui profite de la chute des cours du pétrole.

Comment justifiez-vous que le prix du pétrole ne soit pas impacté par le conflit ?
Depuis mi-juillet, le prix du pétrole est davantage influencé par les fondamentaux de l'économie mondiale que par la saison des ouragans ou par un conflit politique très localisé. Ceci alors qu'au début de l'année nous avions une plus forte sensibilité des marchés sur ce type d'évènements.

A l'heure actuelle, les investisseurs anticipent une baisse de la consommation de pétrole en raison du ralentissement économique mondial, d'où la baisse des prix.

Observez-vous un fléchissement des investissements étrangers en Russie suite aux événements ? Et à quel niveau cela concerne-t-il l'Union Européenne et les Etats-Unis ?
Nous obtenons ces données que très tardivement. Les seuls chiffres disponibles sont ceux du premier trimestre et des estimations pour le deuxième trimestre.

Pour autant, en ce qui concerne les Etats-Unis, il y aura un impact relativement faible. Les investissements américains sur le territoire russe n'ont représenté que 2,3% des investissements étrangers en 2007, ce qui est très peu, sachant que la France est autour des 5,5%.

Aujourd'hui, le premier investisseur en Russie est le Royaume-Uni (21,8%), mais il est difficile d'entrevoir s'il y aura un ralentissement des investissements britanniques en Russie parce qu'il y a une très forte interdépendance entre les deux pays, je prendrais l'exemple de la société TNK BP, filiale de British Petroleum, détenue à moitié par des Russes.

Au-delà des tensions géopolitiques, nous estimons que le climat des affaires sera l'élément clé. Les investisseurs regarderont attentivement ce dernier à court et moyen terme.

Dans un rapport, l'OCDE note que les investissements directs étrangers en Russie ont atteint des niveaux record en 2007, soit 52 milliards de dollars. Pensez-vous que 2008 sera dans la même veine malgré le conflit ?
Le premier semestre devrait être relativement bon, avec un investissement direct à l'étranger correct, mais il s'inscrit dans un contexte très favorable, lié évidemment à l'envolée des matières premières et notamment du pétrole jusqu'au mois de juin.

La conjoncture russe a donc été dynamique pour ce pays qui était perçu comme une poche de croissance, un refuge pour les investisseurs face à la crise, un «Safe Haven».

Cependant, nous observons aujourd'hui que le paradis russe s'estompe un peu compte tenu des prix des matières premières qui repartent à la baisse, les tensions en Géorgie étant un facteur supplémentaire.

L'OCDE met en outre en avant un besoin de la Russie de faire des efforts pour encourager l'investissement par les entreprises étrangères et nationales. Notamment en adaptant les prix intérieurs de l'énergie aux coûts de production, garantir les droits de propriété, améliorer la transparence des procédures fiscales et instaurer une véritable politique de concurrence. Pensez-vous que le gouvernement russe va s'y atteler à court terme ?
La plupart de ces points relèvent du climat des affaires et de la volonté du pays à poursuivre les réformes, mais ces éléments varient autant qu'une «montagne russe». A l'époque de la campagne de Poutine, mais aussi lors de celle de Medvedev, nous avions constaté une réelle volonté de faire des réformes.

La campagne de Medvedev était très «market friendly». Mais dans les faits les commentaires de Poutine à l'encontre de TNK BP ou Mechel contredisent ce discours.

Poutine avait pour autant déclaré, le 16 avril dernier à la foire d'Hanovre, que le seul moyen de retrouver la confiance était d'améliorer le climat des affaires pour justement attirer les investissements directs à l'étranger.

Quelles sont vos estimations de croissance russe pour 2008 ?
Nous croyons au «découplage doux» selon les pays. Il est clair que la Russie n'échappera pas à la décélération mondiale de l'activité économique.

La Russie enregistrera une croissance économique plus faible en 2008, mais néanmoins robuste : aux alentours de 7,6%, ce qui reste particulièrement élevé dans la sphère émergente.

Pour l'année 2009 nous tablons sur une décélération plus marquée aux alentours de 6,5%.

Avant le conflit, quel était l'état des investissements en Géorgie, un pays en très forte croissance et une plateforme stratégique dans l'acheminement du pétrole ? Quel est-il aujourd'hui ? Doit-on craindre un arrêt durable de l'investissement étranger, locomotive économique, dans la région ?
Oui, effectivement, nous considérons que la Géorgie est une plateforme stratégique dans l'acheminement du pétrole, surtout que le pays possède plusieurs pipelines très importants.

BP a notamment un fort contrôle des gazoducs et des pipelines dans le pays. Pour autant, ils ne se situent pas du tout dans la région concernée par les opérations militaires. La zone de conflit se trouve principalement au nord de la Géorgie, en Ossétie du Sud, tandis que les gazoducs et les pipelines se situent au sud de la Géorgie.

A propos des investissements, si l'on se place dans la logique d'une personne qui doit investir sur un pays en rattrapage économique, il est clair qu'à court terme, il devra attendre un peu que les tensions géopolitiques s'apaisent.

Il y aura sans doute une baisse de l'investissement à court terme, mais sur du moyen/long terme, les entreprises regarderont plutôt les fondamentaux du marché géorgien : ce qui portera à l'avenir les IDE en Géorgie, ce sont les fortes croissances de 2005, 2006, 2007, mais également un marché en plein rattrapage économique et qui est en train de privatiser une large partie de son économie.


Selon votre étude publiée le 18 août, comment profiter de la hausse de l'aversion pour le risque en Russie ? Y a-t-il une carte à jouer ?
Oui. La revalorisation du risque russe est notamment liée aux déclarations de Poutine, à la baisse du prix du pétrole et au contexte géopolitique dans la région.

Sur le total des points de base de revalorisation des risques, au moins 40 pb sont liés à la baisse du prix du pétrole et aux tensions sur les marchés financiers et près de 30 pb sont liés à ce conflit géopolitique propre à la Russie.

Nous proposons trois stratégies pour les investisseurs qui souhaitent jouer la contraction des spreads sur les titres russes, en faisant l'hypothèse d'un prochain apaisement des tensions entre la Russie et la Géorgie.

Cependant, je tiens à rappeler que cette stratégie comporte des risques, comme une forte chute du prix du pétrole, des tensions financières sur les marchés émergents ou une recrudescence du conflit ; nous le précisons d'ailleurs dans notre étude.


La faiblesse financière russe actuelle intervient exactement 10 ans après la crise financière de 1998. Comment le marché russe aborde-t-il cette nouvelle faiblesse financière ? Contrairement à aujourd'hui, en 1998 l'économie russe reposait sur des fondations fragiles, pouvez-vous nous rappeler les fondamentaux de l'époque en les comparant à ceux d'aujourd'hui ?
La Russie subit aujourd'hui le ralentissement de l'économie mondiale à la suite de la crise financière de l'été 2007, tout comme elle subissait les répliques de la crise asiatique de 1997, il y a dix ans.

Aujourd'hui nous retrouvons plusieurs éléments qui ont déclenché la crise de 1998 : hausse de l'aversion pour le risque, volatilité accrue sur le change, tensions sur les marchés interbancaires, envolée de l'inflation, ralentissement économique mondial…

La baisse des cours du pétrole à partir de la mi-juillet a été, comme il y a dix ans, un autre facteur important de fragilisation du marché.

Cependant, en dépit de l'existence de plusieurs signes inquiétants en 2008, nous restons confiants sur la Russie :
- en 1998, le marché faisait face à une crise endogène liée notamment au financement des déficits budgétaires via l'émission de GKO, des titres de dette émis à court terme.
- aujourd'hui, l'Etat a les moyens de faire face à la crise mondiale grâce à la santé de ses finances publiques et à l'importance de ses réserves de change, 595 milliards de dollars fin juillet. Par ailleurs, la dette actuelle est majoritairement contractée à long terme et le budget de l'Etat russe est largement excédentaire. Ce dernier  a  atteint 9,2 % du PIB en juillet 2008 contre un déficit de 8,2 % en juillet 1998.

Propos recueillis par Antoine Ragot

- 21 Aout 2008 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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