Le mois dernier, l'opérateur boursier américain ICE a annoncé l'acquisition de Nyse Euronext pour 8,2 milliards de dollars (6,2 milliards d'euros), en déclarant d'emblée vouloir se séparer d'Euronext.

L'opérateur européen, qui gère les Bourses de Paris, d'Amsterdam, de Lisbonne et de Bruxelles, doit être scindé et mis en Bourse.

Pour les spécialistes interrogés par Reuters, le désintérêt d'ICE pour Euronext - bien moins rentable que le marché de produits dérivés Liffe de Nyse Euronext - confirme la perte d'influence des marchés d'actions européens ces dernières années et a fortiori de la place parisienne.

Toutefois, la scission d'Euronext pourrait parallèlement ouvrir de nouvelles perspectives à la Bourse de Paris, selon les scénarios envisagés pour l'opérateur boursier européen.

L'annonce de la fusion ICE-Nyse Euronext a d'ores et déjà aiguisé les appétits d'autres opérateurs boursiers, Nasdaq-OMX en tête, même si Nyse Euronext a pour l'heure écarté toute vente directe. et

UNE REPRISE PAR NASDAQ-OMX

"Un rapprochement entre Nasdaq et Euronext est l'opération qui présente une complémentarité stratégique la plus importante", estime Jean de Castries, directeur général du cabinet de conseil Equinox Consulting.

Selon le spécialiste, un groupe formé de Nasdaq OMX, qui gère les Bourses d'Europe du Nord, et Euronext permettrait d'équilibrer les rapports de force avec les autres places boursières en Europe et de remettre la Bourse de Paris au centre du jeu.

"Si, demain, il y a un rapprochement entre Nasdaq-OMX et Euronext, la majeure partie des volumes traités sur la nouvelle entité en Europe le serait à Paris et certaines fonctions support devraient donc logiquement y être localisées", observe Gaspard Bonin, associé chez Equinox Consulting.

"Sur le papier, la Bourse de Paris est la plus grande place. Mais un opérateur OMX-Euronext ne pourra en aucun cas concurrencer Londres", nuance toutefois Georges Ugeux, président de la banque d'investissement Galileo Global Advisors et ancien dirigeant de Nyse de 1996 à 2003.

Pour Angelo Riva, directeur du département de recherche en finance à l'European Business School et co-auteur d'une "Histoire de la Bourse", une telle opération ne permettrait pas non plus d'offrir de nouvelles perspectives à la place parisienne.

"Un rachat par Nasdaq ne serait pas très différent de celui de Nyse. Le centre décisionnel resterait américain", observe-t-il.

LES CONCURRENTS LONDRES ET FRANCFORT

Les spécialistes s'accordent à dire que la Bourse de Paris n'aurait pas grand chose à gagner d'une reprise d'Euronext par le London Stock Exchange (LSE), l'opérateur de la Bourse de Londres.

"Etant donné la différence de capitalisation entre Londres et Paris - 4,5 milliards d'euros pour la première contre pas plus d'un milliard pour la seconde -, on peut parier que Londres sera clairement le chef de file, malgré les gages qui pourront être donnés aux Français", souligne Georges Ugeux.

Pour l'ancien dirigeant de Nyse, la solution passe par un rachat d'Euronext par Deutsche Börse, qui a déjà tenté à plusieurs reprises de mettre la main sur son homologue européen.

Selon plusieurs sources proches du groupe allemand, Deutsche Börse ne serait toutefois plus intéressé par une reprise d'Euronext.

"Ce refus est une position de départ", estime Georges Ugeux, pour qui un rapprochement entre Euronext et Deutsche Börse permettrait enfin de créer un grand marché unifié sur le plan européen.

VERS UNE GRANDE BOURSE DE LA ZONE EURO ?

"Deutsche Börse n'a que 20% de ses activités sur les marchés d'actions et avec la plate-forme Eurex (marché de produits dérivés, ndlr) de Francfort, il y a la possibilité de recréer quelque chose d'important", souligne Georges Ugeux.

La création d'une Bourse de la zone euro a également été évoquée mercredi par le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) Gérard Rameix lors de ses voeux à la presse.

La décision de racheter d'ICE et de céder Euronext "offre la possibilité aux places concernées de retrouver d'avantage d'autonomie et à tous les acteurs qui ne croyaient pas au rapprochement avec Nyse de promouvoir une solution plus européenne", a-t-il déclaré, appelant à une mobilisation de tous les acteurs des Bourses de Paris, Lisbonne, Amsterdam et Bruxelles.

Mais quid alors dans ce scénario du rôle et de l'influence de la place parisienne ? "Il y a plus d'intérêt à créer une Bourse eurozone qui s'inscrirait dans le projet de construction européenne, mais cela ne veut pas dire que la Bourse de Paris doive faire le deuil de ses ambitions", estime Georges Ugeux.

"Lors de ses premières tentatives de rachat, Deutsche Börse était d'accord pour faire de Paris le centre des activités de marchés d'actions. La place parisienne peut donc trouver facilement une nouvelle vocation".

INVESTISSEURS PRIVÉS OU ACTEURS PUBLICS

La mise en Bourse prévue d'Euronext ouvre aussi la voie à l'intervention d'investisseurs privés qui pourraient être tentés de remettre la main sur la place parisienne, à l'image de la contre-offre lancée l'an dernier par quatre banques canadiennes sur la Bourse de Toronto, cible d'une OPA de LSE.

"Dans le cas de la Bourse de Toronto, il y avait un enjeu économique très fort pour les investisseurs à rester local et à faire échouer l'OPA de LSE. Ce n'est franchement pas le cas avec Euronext où il est plus intéressant d'avoir une dimension européenne et transatlantique", juge Jean de Castries chez Equinox Consulting.

Ce dernier souligne aussi la difficulté pour des banques ou des fonds d'investissement de dégager des sommes importantes sur un marché des actions au comptant peu rentable.

C'est pourquoi les acteurs publics ont tout intérêt à se positionner sur le dossier, estime pour sa part Angelo Riva de l'European Business School.

"Une IPO (introduction en Bourse) d'Euronext laisse la possibilité de rétablir un contrôle de l'Europe sur les marchés européens. L'intervention des institutions publiques pourrait coordonner les institutions privées dans le cadre d'un pacte d'actionnaire", explique-t-il.

Angelo Riva souligne que la Caisse des dépôts (CDC), qui a déjà joué un rôle primordial dans le projet de Bourse des PME à Paris, pourrait ainsi devenir un actionnaire de référence du nouvel ensemble avec ses homologues de la zone Euronext.

"Dans ce cadre, Paris devrait retrouver le rôle qui était le sien avant la fusion de Nyse et Euronext car cela ferait revenir le pouvoir décisionnel dans la capitale", estime-t-il, reconnaissant toutefois que ce scénario paraît peu probable.

Du côté du gouvernement français, le ministre des Finances Pierre Moscovici s'est dit mercredi lors de ses voeux à la presse "attentif aux enjeux de développement de la place de Paris".

"Je sais qu'il y a des opérations en cours, il faudra veiller à ce que l'avenir de la place de Paris soit préservé".

Avec la contribution de Matthieu Protard et Jean-Baptiste Vey, édité par Jean-Michel Bélot

par Blandine Hénault