Buenos Aires (awp/afp) - Nouvelle crise de nerfs monétaire en Argentine: le dollar a franchi mardi le seuil record de 1.000 pesos pour un dollar au marché parallèle, sur fond de volatilité des changes et d'incertitude politique, à douze jours d'une élection présidentielle capitale pour une économie notoirement fragile.

Le dollar, à 365,50 pesos au taux officiel depuis une dévaluation mi-août s'échangeait mardi soir à 1.010 pesos sur le marché informel, contre 880 vendredi.

Mais à vrai dire, les "arbolitos", changeurs officieux de rue, avaient déserté l'hyper-centre touristique de Buenos Aires, attendant un peu de stabilité pour faire négoce...

La brutale dépréciation du peso coïncide avec des déclarations, lundi, du candidat ultralibéral favori des sondages Javier Milei, partisan d'une dollarisation de l'économie argentine: il a enjoint les Argentins à ne pas épargner ou faire de placements en monnaie nationale, qui pour lui "ne vaut même pas une crotte".

"Jamais en pesos, jamais en pesos ! (...) ces déchets ne servent même pas comme engrais", a-t-il insisté expliquant qu'une dollarisation de l'économie --mesure au coût social risqué et très controversée chez les économistes-- serait plus facile à réaliser avec un dollar fort par rapport au peso.

Le marché parallèle du dollar ne représente pas un volume important mais il est un thermomètre fiable des anticipations, en ce cas de la nervosité, des Argentins. Qui, soumis à un contrôle des changes, se pressent pour acheter des dollars au taux de la rue, et les stocker en prévision du pire: une valeur-refuge, dans une économie de facto bi-monétaire.

Mais au centre de Buenos Aires, des commerçants se plaignaient mardi que des grossistes, "qui déjà demandaient à être payés au comptant, désormais te vendent pour certains au taux parallèle, moyennant ristourne. Sinon ils ne te vendent pas", se désole auprès de l'AFP Angela Sambrano, une libraire.

"Irresponsable"

Le ministre de l'Economie Sergio Massa, candidat présidentiel du bloc gouvernemental (centre-gauche), et voué a priori à un second tour face à Milei, a qualifié ce dernier d'"irresponsable".

"Agiter, dire aux gens de retirer leurs dépôts de façon irresponsable... quand je vois des candidats capables de mettre le feu à la maison pour gagner une élection, ça m'inquiète", a-t-il lancé. Cela nuit "à des millions d'Argentins", Milei "joue avec les économies des gens", a-t-il accusé.

Il a par ailleurs menacé "d'envoyer en prison, même si ça devait me coûter l'élection", une poignée d'opérateurs financiers qui selon lui "spéculent avec l'épargne des gens".

Le gouvernement a aussi annoncé mardi un rapprochement partiel de taux de change (l'Argentine en a plusieurs) pour certains types de dépenses, afin de dissuader l'achat de dollars par les particuliers.

Sur ce fond d'extrême nervosité, la Banque centrale a lundi soir publié un communiqué pour tenter de rassurer, affirmant que "le système argentin présente une situation solide de solvabilité, de capitalisation, de liquidités et de provisions". En d'autres termes, que les Argentins n'ont pas à s'affoler et retirer leur épargne.

Et mardi, l'Association des banques privées et publiques a tancé Milei, sans le nommer, appelant "les candidats aspirant à gouverner à faire preuve de responsabilité dans leur campagne et déclarations" et à ne pas "engendrer inutilement de l'angoisse".

"En tant qu'économiste, il (Milei) sait bien les conséquences qu'une telle phrase +le peso ne vaut rien+ peut déclencher sur l'économie", a dit à l'AFP Martin Kalos, économiste de la firme conseil EPyCA.

Spectre de la "Gran Crisis"

Car nombre d'Argentins restent hantés par le souvenir de la "Gran Crisis" de 2001, lorsqu'une carence de réserves de change --comme aujourd'hui--, ajoutée à des chocs externes, avait entraîné une trop forte demande de dollars pour l'offre, amenant une faillite bancaire et le gel des retraits.

Un vent de panique, des scènes de pillages, des émeutes, avaient suivi, qui firent 39 morts en décembre 2001. Sans doute la crise qui traumatisa le plus les Argentins depuis la dictature de 1976-1983.

Nombre d'économistes convergent toutefois pour estimer que la situation de l'Argentine est très différente en 2023, notamment un système bancaire autrement plus solide, ce qu'ont rappelé les banques mardi. Et ce malgré "des niveaux de réserve de change dangereusement bas", avertissait mi-août le FMI.

Mais le consensus est aussi que le peso "officiel" reste surévalué par rapport au dollar, et nombre d'Argentins redoutent une nouvelle dévaluation post-élections, comme celle survenue mi-août après les primaires. Et qui a rongé plus encore un pouvoir d'achat déjà érodé par l'inflation à 124% sur un an (80,2% depuis janvier).

La Bourse de Buenos Aires a clôturé mardi en forte hausse, à +10,03%, nombre d'investisseurs se ruant sur des actions aux actifs étroitement liés au dollar, une forme de protection préventive contre une éventuelle dévaluation, selon des analystes.

Le scrutin du 22 octobre s'annonce indécis selon les sondeurs, avec Milei autour de 33-35%, voué a priori à un second tour avec Massa (29-30%), la candidate du bloc d'opposition (centre-droit) Patricia Bullrich étant distancée (25-26%).

afp/rp