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L'interdiction totale de la corrida discutée à l'Assemblée

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Une tradition ancrée dans le sud de la France

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Manifestations, tribunes et débats dans tout le pays

par Eric Gaillard

ARLES, Bouches-du-Rhône, 22 novembre (Reuters) - Dans les arènes de Gimeaux, les élèves de l'école taurine munis d'une muleta flamboyante défient des taurillons avec le rêve de devenir torero, roi de la corrida, tradition régionale controversée qui fait régulièrement débat en France.

Jeudi, à l'Assemblée nationale, sera examinée une proposition de loi de La France insoumise (LFI) visant à abolir la corrida, activité importée d'Espagne déjà interdite par le Code pénal, qui punit les actes de cruauté envers les animaux mais institue une exception pour les "traditions locales ininterrompues" comme la corrida.

L'article unique proposé, qui prévoit "l'abolition de la corrida sur tout le territoire français", a peu de chances d'être voté, même si le thème divise jusqu'au sein du camp présidentiel.

D'Arles à Bayonne en passant par Nîmes, Dax, Béziers et Tarascon, une cinquantaine de villes de trois régions du sud de la France - Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur - perpétuent la corrida, spectacle d'environ deux heures qui se termine par la mise à mort du taureau, élevé à cette fin.

Une activité barbare pour ses détracteurs, un ballet chargé d'émotion pour ses défenseurs.

"Une tradition n'a jamais justifié moralement une pratique. Une exception à la loi commune, c'est un séparatisme", plaide Aymeric Caron, député LFI de Paris à l'origine du texte de loi. "La corrida n'est pas une tradition française mais espagnole importée en France en 1853 pour faire plaisir à la femme de Napoléon III."

Selon un sondage Ifop paru dans Le Journal du dimanche (JDD), 74% des Français prônent l'interdiction totale de la corrida, suspendue au Chili et en Argentine. En Europe, elle est interdite au Danemark, au Royaume-Uni, en Italie, en Catalogne.

Preuve de l'intérêt porté à ce sujet que certains députés considèrent comme un symbole de la montée des thèses antispécistes et d'une rupture entre Paris et une partie du pays, des manifestations "anti" mais surtout "pro"-corrida se sont déroulées samedi dernier dans des dizaines de communes.

"UNE SORTE DE DANSE AVEC LE TAUREAU"

Dans le JDD, une tribune intitulée "Nos traditions doivent résister à l'écototalitarisme" signée par plus de 200 élus et responsables politiques s'élève contre la volonté d'"interdire une culture et humilier une partie de nos concitoyens".

"La corrida n'est pas un spectacle de la mort, c'est un spectacle sur la mort, et qui dit mort, dit vie, c'est très large", a expliqué à Reuters Yves Lebas, directeur de l'école taurine d'Arles, qui compte une dizaine d'élèves âgés de huit à 20 ans.

Un apprenti torero de 16 ans, Baptiste, raconte avoir été initié par son père qui l'emmenait aux ferias. "J'espère devenir torero mais c'est très compliqué, les gens ne savent pas combien c'est difficile", a-t-il confié à Reuters. "La corrida c'est une tradition, un art, une sorte de danse avec le taureau, il faut voir avant de critiquer".

La corrida est aussi une activité aux retombées économiques importantes. A Nîmes (Gard), ville de 150.000 habitants, les 14 spectacles taurins annuels représentent environ 60 millions d'euros de retombées selon la mairie, qui a relevé 20% de spectateurs en plus cette année par rapport à 2019.

"Le taureau à Nîmes, c'est 2000 ans d'Histoire : il y a des têtes de taureau sculptées dans les arènes, aux quatre coins de la ville. La statue de Nimeño II (matador français mort en 1991-NDLR) est la plus photographiée par les touristes. Nous on ne parle pas d'hémoglobine ou de mort, on glorifie cet animal", dit Frédéric Pastor, adjoint à la tauromachie de la cité dotée d'arènes antiques.

En France, moins d'un millier de taureaux sont tués lors de corridas chaque année. L'association des éleveurs de taureaux de combat compte une quarantaine d'élevages de bêtes vendues entre 5.000 et 10.000 euros pièce pour les plus prestigieuses. "Le taureau va mourir dans l'arène, il a été élevé pour ça", explique à Reuters son président, Virgile Alexandre, qui élève 120 têtes de bétail dans les environs d'Arles.

L'éleveur reconnaît verser une larme, parfois, au moment de laisser partir une bête élevée en liberté pendant quatre ans dans les plaines herbeuses.

"On est heureux quand ça s'est bien passé pour les taureaux à l'arène, mais malheureux de ne plus les voir", confie-t-il. (Reportage Eric Gaillard, avec la contribution d'Elizabeth Pineau, édité par Sophie Louet)