Sébastien Faijean, quel premier bilan des publications des petites et moyennes valeurs pouvez-vous dresser ?

"L’année 2022 s’est bien terminée pour les PME et ETI cotées dans leur ensemble. Nous observons qu’au sein des sociétés de l’indice CAC Mid & Small la croissance est restée solide jusqu’au dernier trimestre 2022, à +11,5% par rapport à l’année précédente. La croissance a été portée par des effets prix et devises favorables. En revanche, si le taux de croissance médian en 2022, de 12%, a dépassé nos estimations, les résultats opérationnels courants n’ont progressé que de 11%. C’est légèrement inférieur à nos attentes, faute d’effet de levier sur les marges. La répercussion des hausses de coûts de production peut prendre du temps, dans l’industrie surtout. 2023 commence avec de nombreuses incertitudes, quand bien même les carnets de commandes sont remplis et la supply chain se détend. Les renégociations salariales et les prix de l’énergie sont au cœur des interrogations. A ce stade, nous tablons sur une croissance des chiffres d’affaires globale de 5% pour une hausse de 9% des résultats, ce qui est probablement un peu trop optimiste en termes d’effet de levier…"

Évolution du ROC annuel du CAC Mid&Small (médiane – Source : IdMidCaps)

Malgré ces performances, pourquoi les petites et moyennes valeurs font-elles l’objet d’un intérêt très limité depuis quelques trimestres maintenant ?

"Les raisons sont multiples. Certaines sont structurelles, comme la décollecte quasi continue des fonds investis sur cette classe d’actifs depuis 2018 sur fonds d’engouement pour la gestion passive ou l’ISR, ce dernier étant paradoxalement défavorable aux PME, non structurées pour répondre aux questionnaires. D’autres sont plus conjoncturelles, comme la prime de liquidité dans un contexte macroéconomique et géopolitique particulièrement incertain ou la composition sectorielle des indices favorable à un CAC 40 richement pondéré en valeurs du luxe et de l’énergie. A contrario, les indices de petites valeurs sont plombés par le poids de l’industrie et de la santé (biotech, medtech), sans parler des valeurs technologiques ou autres cleantech arrivées en Bourse ces dernières années sur des niveaux de valorisation trop élevées au regard de leur modèle économique non abouti. Conséquence de ce désintérêt, les ratios de valorisations évoluent non loin de leurs plus bas historiques, que l’on se réfère aux multiples de résultats en instantané ou bien un ratio plus froid comme la capitalisation boursière comparée à l’Actif Net des sociétés (P/B). D’où la multiplication des opérations de retrait de cote ou offre publiques de rachat moyennant des primes très substantielles. Le décote entre les valeurs du CAC 40 et celles du CAC Small n’a jamais été aussi élevée : de l’ordre de 35% en VE/EBE depuis 2019. Et la décote entre le non coté et le coté est de l’ordre de 25%. Dans ces conditions et comme la nature a horreur du vide, les sociétés sous-valorisées et qui n’ont pas besoin de la Bourse pour se financer choisissent de sortir de la cote à l’image de Manutan et Somfy depuis le début 2023."   

Quelles sont vos valeurs favorites actuellement ?

"Nous restons à l’achat fort sur Jacquet Metals compte tenu de la qualité de son management, de sa stratégie de consolidation de son secteur et surtout pour sa décote de valorisation toujours très élevée. En effet, la valeur d’entreprise de ce distributeur européen d’aciers spéciaux décote de près de 60% sur la valeur nette de ses stocks à fin septembre 2022. Les aciers inoxydables constituent plus de la moitié des ventes de ce distributeur d’aciers spéciaux, ce qui lui confère des débouchés soutenus dans l’armement et dans les investissements nécessaires à la transition énergétique (ports méthaniers, usines de production d’hydrogène…). Dans un tout autre secteur, nous aimons beaucoup Virbac, quioccupe une position de leader sur le marché défensif : la santé animale. Le titre a beaucoup baissé du fait de la normalisation de son marché post-Covid. Pourtant, la publication récente d’une activité annuelle supérieure aux attentes grâce à un fort quatrième trimestre (+16%) et la confirmation des perspectives 2023 appellent un retour en grâce de cette ex-star de la cote. Nous pouvons également citer Ipsos, qui fait l’objet d’un intérêt appuyé des investisseurs depuis ses progrès très attendus en matière de gouvernance. Pourtant, compte tenu de son niveau de performance et de la dynamique de ses marchés, sa valorisation reste très raisonnable, autour de 10x les bénéfices, alors que le groupe d’études prospère dans un monde particulièrement incertain. Citons également Trigano malgré les interrogations qui pèsent sur le cycle au-delà d’une année 2023 qui s’annonce très bonne. Je citerais Stef pour terminer, car les perspectives de cession de sa filiale en perte La Méridionale devraient améliorer son image boursière et mécaniquement doper son niveau de retour sur capitaux employés dans les années à venir."

Parmi les introductions en Bourse récente, quelles sociétés se distinguent selon vous ?

"Je pense à trois petits dossiers de croissance qui ont bien délivré jusque-là : Hunyvers dans la distribution de véhicules de loisirs, l’éditeur de logiciel de diffusion de contenus vidéo Broadpeak, et enfin Boa Concept, un petit acteur innovant dans le secteur de l’intralogistique. Ces trois sociétés ont respecté voire dépassé les perspectives présentées lors de leur entrée en Bourse."

Quelques valeurs à vendre ou à éviter ?

"SES Imagotag, très appréciée des gérants, nous semble exagérément valorisée au regard de la faible trésorerie générée par son activité. De plus, nous nous interrogeons sur l’évolution défavorable de sa marge brute alors que la société est en forte croissance et devrait logiquement pouvoir jouer sur la massification de ses achats d’étiquettes électroniques et profiter de la très forte augmentation des services (VAS) qui ont représenté en 2022 près de 100M€ de CA. Par ailleurs, nous sommes sceptiques sur la stratégie de Chargeurs depuis quelques années. Le groupe a procédé à de nombreuses acquisitions dont la création de valeur reste à démontrer. A ce stade, la croissance externe s’est surtout accompagnée d’une hausse de l’endettement de l’entreprise alors que les résultats n’ont que peu évolué sur cinq ans. Dans ce contexte, sachant que la société cherche à réaliser une acquisition significative dans l’univers du luxe cette année, nous estimons que les objectifs 2025 sont à risque."

Un point sur lequel vous souhaitez attirer l’attention pour finir ?

"L’écosystème du financement des PME par la Bourse en France et en Europe se fragilise dans l’indifférence générale. La qualité des sociétés introduites n’est pas à la hauteur de celles qui sont sur la sortie, et cela ne semble par parti pour changer. L’attractivité et la performance de ce compartiment de la cote sont en jeu, ce que ne semblent pas réaliser les autorités de régulations qui imposent de plus en plus de contraintes aux acteurs en présence. Il en va pourtant du financement du développement des grandes entreprises de demain d’une part, mais aussi de l’épargne et de la retraite des citoyens."