WASHINGTON, 29 mars (Reuters) - Les talents d'équilibriste du président de la Reserve fédérale, Jerome Powell, seront mis à l'épreuve par des risques économiques croissants, des membres du conseil des gouverneurs divisés et des anticipations importantes de baisses de taux pour juin, selon plusieurs observateurs.

Le ralentissement de l'économie et des marchés du travail pourrait inciter la Fed à baisser ses taux pour soutenir l'emploi, son deuxième mandat avec la stabilité des prix, d'après des analystes, surtout si le processus de désinflation se poursuit sans heurts dans les prochains mois.

Pour autant, même si l'inflation est plus persistante et l'économie plus résistante qu'attendu, la Fed pourrait assouplir sa politique monétaire en expliquant qu'il ne s'agit que d'un ajustement ponctuel, plutôt que du début d'une série de baisses de taux, écrit dans une note l'ancien vice-président de la Fed Richard Clarida.

Désormais conseiller chez PIMCO, le géant de l'obligataire, Richard Clarida explique que la banque centrale justifiera probablement cet assouplissement par le ralentissement du rythme d'inflation: tant que la dynamique des prix décélérera, les taux pourront continuer de baisser.

"Si l'inflation se retrouve coincée à 2,5%, un chiffre plausible, (...) les banques centrales mettront probablement en pause leur cycle d'assouplissement", explique Richard Clarida. "Avec une politique monétaire maintenue à un niveau restrictif assez longtemps, les banques centrales pourront anticiper de manière crédible un retour de l'inflation à sa cible de 2% à terme".

Une baisse de taux accompagnée d'une communication conditionnant les prochains assouplissements à la poursuite du processus de désinflation parerait aux risques posés aux deux mandats de la Fed, et rassurerait à la fois les membres du conseil des gouverneurs s'inquiétant d'une surchauffe de l'économie et les membres inquiets d'une inflation persistante.

OPTIMISME

De fait, les vues sont divergentes au sein du Conseil des gouverneurs. Cette semaine, Christopher Waller a favorisé un biais restrictif, tandis qu'Austan Goolsbee ne voyait pas de tendance à une persistance plus forte de l'inflation. Jerome Powell s'exprimera vendredi après la publication de l'inflation PCE à 12h30 GMT, et partagera ses perspectives.

Ses derniers commentaires font néanmoins espérer une baisse des taux en juin.

La situation économique semble en effet idéale, car plusieurs forces jouent en faveur des banquiers centraux. La productivité a progressé rapidement, permettant à l'économie de croître sans ajouter aux pressions sur les prix, tandis qu'une hausse de la population active a permis de satisfaire la demande d'emploi sans soutenir les salaires.

Les dernières projections économiques de la Fed reflètent cet optimisme: la croissance est attendue plus forte les deux prochaines années, et le chômage plus faible, que les projections de décembre. L'inflation doit toujours retrouver sa cible de 2% d'ici deux ans, selon la banque centrale.

"ARTEFACT"

Des données d'inflation plus fortes que prévu les prochains mois pourraient pourtant remettre en cause ces attentes, alors que les membres du conseil des gouverneurs sont divisés sur les prochaines étapes de politique monétaire.

La banque centrale projette de baisser ses taux de 25 points de base à trois reprises cette année, mais dix gouverneurs estiment qu'il faudra autant, voire davantage, d'assouplissement, contre neuf gouverneurs estimant qu'il en faudra moins.

Dans l'ensemble, 14 des 19 membres du conseil des gouverneurs s'attendent à deux ou trois baisses de taux cette année, et un changement des conditions économiques pourrait donc suffire à faire basculer le consensus.

La suite des évènements dépend désormais de la manière dont sont perçus les derniers chiffres d'inflation, plus élevés qu'attendus en janvier et février, écrit l'ancien économiste en chef de la Fed, John Roberts, dans une analyse pour Evercore ISI.

Ou ces surprises ne sont que des "artefacts", et les taux pourront baisser à trois, voire quatre reprises en 2024; ou elles signalent que l'inflation est plus persistante qu'attendue, et seules deux baisses sont alors envisageables, détaille John Roberts.

Pour le moment, l'espoir que la croissance économique se poursuivra sans faire pression sur les prix semble prendre le pas sur les craintes d'une inflation plus persistante, écrit l'économiste. L'essentiel des membres du conseil des gouverneurs "semblent juger que les chiffres de janvier et de février ont été des surprises ponctuelles", souligne John Roberts.

(Reportage Howard Schneider, version française Corentin Chappron, édité par)

par Howard Schneider