Quoique lacunaires, les résultats annuels publiés le 6 mars dernier confirment la bonne trajectoire de croissance. Sur les quatre années d'historique financier disponible, on observe un chiffre d'affaires qui croît de $109 à $195 millions, suite notamment à une accélération marquée des inscriptions depuis 2021. 

La marge brute inchangée sur la période, peu ou prou comparable à celle de Match Group, poids-lourd des rencontres en ligne, laisse supposer que Grinder n'a pas versé dans un marketing trop agressif afin d'artificiellement propulser sa croissance avant l'IPO — grand classique du genre, et éternel point de vigilance avec les entreprises de services en ligne.

Le profit cash, ou "free cash-flow", progresse de $36 à $46 millions, et la somme des profits générés sur les quatre derniers exercices — exercices fiscaux 2019 à 2022 — atteint $136 millions. Ceci avant le programme de rémunérations en stock-options, qui sur 2022 représente tout de même la moitié du  profit. Premier potentiel "red flag".

On note aussi la distribution de $196 millions en dividendes sur l'année écoulée, donc un montant supérieur à la somme des profits réalisés, financée entre autres par les $360 millions d'endettement supplémentaires et les $110 millions obtenus via l'augmentation de capital. 

Les prospérités sont précaires dans le secteur des rencontres en ligne, et les plates-formes sujettes à de puissants effets de mode : on peut donc raisonnablement prendre le parti de monétiser au maximum l'activité, au demeurant supérieurement rentable dès qu'on y atteint une certaine échelle, sans grande vision patrimoniale ni prendre le soin de faire des réserves.

Le bilan de Grinder, du coup, fait surtout penser à celui d'un LBO. Toutes choses égales par ailleurs, la dette à long terme — seule source de capitalisation de l'entreprise — équivaut à sept années de profit cash. L'affaire n'intéressera à ce titre que des actionnaires prêts à marcher sur le fil du rasoir. Second potentiel "red flag".

Nonobstant l'avantage compétitif lié au fameux "effet réseau" — le plus d'utilisateurs sur une plate-forme, le plus les nouveaux venus souhaitent la rejoindre — au cours de $7 l'action, la valeur d'entreprise de Grinder atteint $1.5B, soit x7.5 les revenus et x32 les profits avant stock-options. 

Multiples qu'on ne manquera bien sûr pas de comparer à ceux de Match, propriétaire entre autres de Tinder, OkCupid et Plenty of Fish, au chiffre d'affaires quinze fois supérieur et présentement valorisé à x3 les revenus et x30 les profits cash avant stock-options. 

On soulignera que l'historique de croissance de Match n'est guère encourageant, puisque son chiffre d'affaires stagne sur la dernière décennie malgré près de $2 milliards investis en acquisitions. Opérations de croissance externe qui, du coup, s'apparentent davantage à de la maintenance qu'à de la croissance. Troisième "red flag".

Malgré l'ubiquité de Grinder sur son segment de marché, l'hypothèse d'expansion continue des ventes — clairement comprise dans la valorisation — reste donc à prendre avec moult précautions.