Dans le grand brouhaha de l'intelligence artificielle, il est relativement facile d'identifier les premiers gagnants de ce qui se profile comme une technologie de rupture. Microsoft, évoqué précédemment, en fait partie. Mais l'affaire se corse quand il s'agit de pousser la réflexion un peu plus loin, parce que les variables sont trop nombreuses, parfois même trop neuves, pour avoir une vision claire. Il nous a semblé intéressant d'adopter un point de vue original dans le débat actuel en nous penchant sur le cas Wolters Kluwer.

Victimes expiatoires de l'IA

Lorsque l'agent conversationnel ChatGPT a été ouvert au grand public, les investisseurs ont rapidement cherché à prendre leurs jambes à leur cou pour fuir les entreprises cotées qui risquaient de perdre gros. Parmi les cibles initiales, figuraient quelques groupes proposant des prestations de vérification et de reformatage de l'écrit, comme l'américain Chegg, première victime expiatoire de l'ère de l'IA. Mais des éditeurs et des fournisseurs de contenus professionnels européens ont aussi été secoués, à l'image de Pearson, Relx et, donc, Wolters Kluwer. Si une intelligence, même artificielle, est capable de produire du contenu présumément qualitatif, quelle serait l'utilité de ces entreprises, après tout ? Cette réaction épidermique n'est pas dénuée de bon sens. Pour autant, des voix se sont rapidement élevées pour rappeler que la fourniture d'informations professionnelles nécessite une base de contenus de grande qualité, dont les utilisateurs ne peuvent pas douter. Demandez à ChatGPT 3.5 ce qu'il pense des œufs de vache, pour voir !

En tant que plateforme de connaissances, Wolters Kluwer est peut-être et contre-intuitivement, dans le bon camp. Son contenu, protégé et de haute qualité, est précieux. Le groupe utilise d'ailleurs depuis longtemps déjà des solutions d'intelligence artificielle pour renforcer l'attrait de ses solutions. Bref, il ne tombe pas des nues face aux récents bouleversements. D'ailleurs Nancy McKinstry, sa directrice générale, répète à l'envi que le déploiement de nouveaux outils d'IA ne fera qu'augmenter la valeur des services proposés par son entreprise. Elle n'a aucun intérêt à affirmer le contraire, cela va sans dire, mais Wolters Kluwer a quelques atouts à faire valoir.

Un modèle qui tourne comme une horloge

Financièrement, le Néerlandais est une superbe machine à produire des bénéfices. Les ratios de rentabilité sont sur la pente ascendante depuis dix ans, le bilan est sain et une grosse part des revenus (80%) tombe sur une base récurrente grâce aux abonnements.

Période Fiscale : Décembre 2019 2020 2021 2022 2023 2024 2025 2026
Chiffre d'affaires 1 4 612 4 603 4 771 5 453 5 584 5 923 6 279 6 676
EBITDA 1 1 382 1 422 1 514 1 730 1 775 1 929 2 071 2 220
Résultat d'exploitation (EBIT) 1 1 089 1 124 1 205 1 424 1 476 1 591 1 723 1 860
Marge d'exploitation 23,61 % 24,42 % 25,26 % 26,11 % 26,43 % 26,87 % 27,44 % 27,86 %
Résultat Avt. Impôt (EBT) 1 858 937 929 1 276 1 297 1 391 1 519 1 628
Résultat net 1 669 721 728 1 027 1 007 1 085 1 179 1 274
Marge nette 14,51 % 15,66 % 15,26 % 18,83 % 18,03 % 18,33 % 18,77 % 19,08 %
BNA 2 2,460 2,700 2,780 4,010 4,090 4,556 5,056 5,582
Free Cash Flow 1 876 907 1 010 1 220 1 164 1 305 1 411 1 522
Marge FCF 18,99 % 19,7 % 21,17 % 22,37 % 20,85 % 22,03 % 22,47 % 22,8 %
FCF Conversion (EBITDA) 63,39 % 63,78 % 66,71 % 70,52 % 65,58 % 67,65 % 68,15 % 68,58 %
FCF Conversion (Résultat net) 130,94 % 125,8 % 138,74 % 118,79 % 115,59 % 120,22 % 119,68 % 119,49 %
Dividende / Action 2 1,180 1,360 1,570 1,810 2,080 2,213 2,427 2,707
Date de publication 26/02/20 24/02/21 23/02/22 22/02/23 21/02/24 - - -
1EUR en Millions2EUR
Données Estimées

Ce socle solide a permis à l'entreprise de renforcer au fil du temps la part technologique de son activité, en apportant de nouveaux outils numériques à des clients exigeants, qui opèrent dans des secteurs où l'approximation n'a pas droit de cité. En effet, le chiffre d'affaires est réalisé pour un tiers auprès des professions de la fiscalité et de la comptabilité. Environ 27% proviennent des métiers de la santé et 24% du domaine de la gouvernance et de la conformité. Le juridique (environ 17% des revenus) complète le tableau. Depuis cette année, une cinquième division est venue se greffer, ou plutôt emprunter aux branches existantes pour coller à la demande de l'époque : ESG et performance sociétale. Les marges sont élevées, surtout dans la santé et dans la fiscalité, la clientèle est fidèle et en partie captive et la diversification géographique fait la part belle au marché nord-américain, notoirement dynamique, qui génère 64% de revenus.

Exprimé de façon triviale, l'enjeu pour Wolters Kluwer est donc désormais de savoir si cette mécanique continuera à tourner aussi efficacement à l'ère de l'intelligence artificielle ou si n'importe quel modèle de robot conversationnel en libre accès sera capable de répondre aux questions du fiscaliste ou aux besoins du chercheur clinicien sans rien débourser ou presque. De notre point de vue, les gardiens de la connaissance bien organisés et réputés ont à coup sûr la possibilité de tirer parti de l'IA pour renforcer leur position plutôt que de se faire broyer par la machine.