Paris (awp/afp) - L'Amérique latine dans le viseur: les opérateurs surveillent le prix du soja, resté ferme cette semaine après des pluies décevantes au Brésil, et la situation en Argentine après l'élection d'un président ultralibéral qui pourrait supprimer des taxes à l'exportation.

Au Brésil, premier producteur et exportateur mondial de soja, les semis ont pris du retard du fait d'un temps sec ces dernières semaines. Les régions du centre ont enregistré des pluies en début de semaine, mais les prévisions annoncent un temps de nouveau sec et chaud la semaine prochaine.

La situation est particulièrement scrutée au Mato Grosso, qui pèse plus du quart de la production brésilienne de soja et un tiers du maïs. Or "les retards de semis de soja pourraient entraîner un retard de ceux de la Safrinha", la deuxième et principale récolte du grain jaune, destinée à l'exportation, relève Sébastien Poncelet, du cabinet Agritel (groupe Argus Media).

Certains analystes américains estiment que cela pourrait porter le soja jusqu'à 14 dollars le boisseau, un niveau qu'il n'a plus connu depuis près de trois mois. Sur le marché européen, le colza a été entraîné par le soja, grimpant à nouveau au-dessus des 440 euros la tonne sur l'échéance de février, la plus rapprochée.

Pour le soja brésilien, note Rich Nelson, de la maison de courtage Allendale, le début de la pollinisation est prévu dans cinq semaines, "donc c'est un sujet d'inquiétude".

"Mais si on a des pluies normales, cela peut tout solutionner. Donc tout est encore incertain", souligne-t-il.

Pour Jake Henley, de Teucrium Trading, les bons chiffres récents de commandes de la Chine aux Etats-Unis (plus d'1,6 million de tonnes de soja depuis le 8 novembre) "pourraient être la conséquence des craintes sur la production au Brésil, les acheteurs chinois se couvrant" contre le risque d'une mauvaise récolte brésilienne.

Toujours en Amérique latine, la situation en Argentine est scrutée après l'élection dimanche à la présidence de l'ultralibéral Javier Milei. Son programme choc visant à réduire les domaines d'intervention de l'Etat pousse les agriculteurs à patienter avant d'engager de nouveaux volumes à la vente.

"On ne prend pas position"

"Les farmers argentins s'assoient sur leurs tas de grains, en attendant de savoir si les taxes à l'exportation - traditionnellement importantes dans ce pays gros pourvoyeur de maïs - vont être levées ou substantiellement allégées", explique Damien Vercambre, courtier au cabinet Inter-Courtage.

Cette retenue de l'offre argentine pourrait peser sur les marchés si elle dure. Or "il va falloir attendre le 10 décembre (et l'investiture de Javier Milei) pour voir ce que le Congrès et la justice lui laissent faire", indique Jon Scheve, de Superior Feed Ingredients.

Chez le courtier Allendale, la prudence est de mise: "On suit, mais on ne prend pas de position" sur le marché agricole. "On veut voir s'il peut vraiment faire voter ces réformes", indique Rich Nelson.

Quant au blé, en dépit d'un léger rebond mardi, ses cours restaient plutôt orientés à la baisse, sous la barre des 230 euros la tonne depuis huit jours sur Euronext.

"Lundi, l'échéance de décembre, la plus rapprochée, a clôturé à 224,25 euros, au plus bas depuis le 31 mai dernier. L'échéance de mars, la plus échangée, a aussi atteint un plus bas" en six mois, signale Sébastien Poncelet.

Le blé européen, qui reste plus cher que le grain russe, a été pénalisé par la remontée de l'euro face au dollar. "On voit que le marché teste de nouveaux niveaux support [après le seuil symbolique de 235 euros la tonne, maintenu pendant des semaines] pour relancer les exportations", explique-t-il.

Il s'attend à un léger ralentissement des exportations de la Russie, "dont les carnets de commande sont pleins". "Il y a encore 12 dollars d'écart entre les blés russes et français, mais le grain français gagne du terrain et est désormais moins cher que le roumain", principal concurrent intra-européen de la céréale française.

Ces baisses ont favorisé un retour, encore modeste, des acheteurs. La Jordanie a ainsi acheté 60.000 tonnes de blé meunier, la Tunisie a lancé un double appel d'offre pour 100.000 tonnes de blé et 75.000 tonnes d'orge fourragère et la Corée du Nord cherche à acheter 65.000 tonnes de blé fourrager.

afp/rp