Dirigé par la famille fondatrice depuis trois générations, cet équipementier automobile discret tire son épingle du jeu dans une filière automobile compliquée, grâce à un positionnement sur des niches dans les systèmes de câblage de véhicules. En Bourse pourtant, la valeur n’a pas été épargnée. Entretien avec son PDG.

Gérald Streit, vous êtes Directeur Général de DELFINGEN depuis 2015 et votre père, Bernard Streit, vous en a transmis la Présidence il y a un peu plus d’un an. C’est une entreprise familiale à forte identité… 

"Notre ADN, imprégné d’une vision sociétale forte, est à mettre directement en lien avec l’histoire de l’entreprise. Elle commence en 1954, quand la famille Streit créée une activité spécialement pour une tante atteinte de la poliomyélite. Puis, en 1973, lorsque mon père reprend l’entreprise, c’est à la demande de mes grands-parents afin que mon oncle, handicapé, ait un lui aussi un travail. Cette empreinte humaine a rejailli au moment du développement international de la société, car nous nous sommes alors interrogés sur les valeurs qui relieraient les hommes entre eux malgré le changement de dimension. La valeur Partage est notamment ressortie comme essentielle, aux côtés de la Liberté, de l’Amélioration continue, et de la Responsabilité. Pour prendre un exemple concret en matière de partage, chaque année, 20% du résultat net consolidé du Groupe est redistribué entre tous les salariés, ce qui correspond à 2,5 semaines de rémunération supplémentaire pour chacun de nos 2500 collaborateurs. Ainsi, quand tout va bien, nous partageons les fruits, et quand c’est plus difficile, nous partageons l’effort. Lors de la crise de 2008, tout le monde a consenti à une baisse de son salaire en attendant un retour à meilleure fortune. Et en 2009, nous sommes redevenus bénéficiaires. C’est cet ensemble de valeurs qui donne du sens au travail de chacun, et cela plaît, notamment chez nos collaborateurs américains et asiatiques. Le climat social est bon chez Delfingen, avec 94% des collaborateurs qui jugent qu’il fait bon travailler dans le Groupe, pour un taux de participation de 75% au sondage ."

Delfingen vient de publier ses résultats 2019 à mi-parcours. Comment se présente cet exercice ?

"Dans un marché automobile chaotique, ce semestre a été excellent pour Delfingen, qui a surperformé le marché automobile de 10 points et amélioré son résultat opérationnel courant de 21%, à 7,2 M€, soit 6,3% du CA. Confortés par le trimestre en cours, nous sommes confiants dans la poursuite de cette tendance sur la fin de l’année. Notre objectif pour cet exercice 2019 est de dégager une croissance au moins 5 points au-dessus de celle du marché automobile, d’améliorer le résultat opérationnel et de dégager un free-cash flow légèrement positif, avant une accélération à partir de l’année prochaine."

Vous évoquez un marché automobile chaotique …

"Oui, au sens mathématique du terme. Cette situation trouve son origine essentiellement en Chine. La Chine, premier marché automobile mondial, s’est spécialisée sur les véhicules électriques, dits propres, afin de se créer un avantage concurrentiel mondial. En tant que premier marché mondial, il donne le ton, malgré les soucis techniques et économiques qu’une telle rupture technologique peut engendrer sur une industrie de volume comme l’automobile. Pour les constructeurs allemands, pour qui le marché chinois assure les principaux débouchés et qui subissent des taxes sur les véhicules polluants en Europe, l’équation est compliquée. Sans compter l’arrivée de Tesla et ses véhicules haut de gamme, qui plus est électriques, ce qui crédibilise la voie ouverte par la Chine… Les constructeurs européens doivent donc opérer des bouleversements rapides, loin de l’innovation incrémentale à laquelle ils étaient habitués…"

Dans ce contexte, quelle est votre vision stratégique pour le groupe ?

"Pour Delfingen, il n’y a pas à ce jour de rupture technologique ni d’alternative fiable au câblage. L’augmentation des contenus média et des contraintes de sécurité, le développement des motorisations hybrides et électriques, ainsi que l’apparition des voitures connectées et autonomes, font du câblage électrique le véritable système nerveux du véhicule. Notre mission est de protéger en apportant des solutions toujours plus innovantes et à plus forte valeur ajoutée. Par exemple, les capteurs lidar et les caméras des voitures autonomes nécessitent plus de câblage électrique, ainsi que des câbles transporteurs de fluides très techniques pour pouvoir les nettoyer. Notre ambition à long terme est de poursuivre le développement de notre activité automobile, qui pèse aujourd’hui 80% de l’activité, et de croître encore plus vite sur les autres débouchés industriels. Nous aimerions ainsi voir notre activité, à horizon 10 ans, se répartir entre l’automobile, à 60/65%, et les autres industries, à 35/40%.  Dans l’automobile, nous avons beaucoup investi dans la R&D depuis 6 ans, afin de devenir le leader technique sur la protection des câblages et expert sur les tubes techniques pour le transfert des fluides. C’est sur cette dernière division, que nous appelons FTT, et qui pèse aujourd’hui à peine 15% du CA groupe, que nous connaissons le plus de croissance et la plus forte rentabilité. Nous visons pour cette division une cinquantaine de million d’euros de CA à horizon 2020, contre une trentaine actuellement. Notre ambition repose sur un positionnement de leader technique sur une niche, dans un marché mondial des tubes qui pèse environs 10 milliards d’euros. Quant à la croissance des autres industries, elle s’appuiera notamment sur notre filiale américaine Drossbach, acquise en 2017."

La croissance externe a régulièrement accéléré la croissance de Delfingen. Le taux d’endettement du groupe permet-il d’autres acquisitions ?

"Nous sommes continuellement en phase de veille et de négociation, même si, a priori, rien ne se concrétisera d’ici la fin 2019. Nous réalisons en moyenne une acquisition tous les 14 mois. Nous disposons d’une ligne de crédit de 15 M€ mobilisable à cette fin."

 

L'Auteur est actionnaire de la société à titre personnel.