par Daniel Leussink, Norihiko Shirouzu et Maki Shiraki

TOKYO, 24 juin (Reuters) - Nissan a ouvert une enquête sur les accusations d'un haut conseiller selon lesquelles son directeur général Makoto Uchida a fait surveiller son adjoint sortant Ashwani Gupta, ont dit à Reuters quatre sources proches du dossier.

Les accusations de surveillance, rapportées en premier par le Financial Times, ont été faites par Hari Nada, haut conseiller de Nissan âgé de 59 ans, dans une lettre datée du 19 avril et adressée aux administrateurs indépendants du conseil d'administration du constructeur automobile japonais.

Dans ce courrier, que Reuters a pu consulter et qui en rapporte pour la première fois les détails, il est fait mention des allégations de surveillance, des divisions profondes au sein de la direction sur les relations de Nissan avec son partenaire Renault et des inquiétudes sur les transferts de propriété intellectuelle vers le constructeur automobile français.

Dans sa lettre, Hari Nada, dont la coopération avec les magistrats japonais en charge de l'accusation a contribué à renverser l'ancien PDG Carlos Ghosn, affirme que Makoto Uchida a mis sous surveillance Ashwani Gupta pendant une longue période.

Il ajoute que la surveillance a été commanditée par Makoto Uchida pour lui donner des armes afin d'écarter Ashwani Gupta du groupe.

Nommé directeur général délégué en 2019, Ashwani Gupta était en conflit avec le directeur général sur les termes de la restructuration de l'alliance négociée entre Nissan et son partenaire Renault et était considéré comme un obstacle à la finalisation des accords, selon la lettre de Hari Nada et quatre personnes au fait du dossier.

Interrogé à propos de l'enquête sur la surveillance, Nissan a répondu: "Des tiers indépendants ont été désignés pour vérifier les faits et engager les actions appropriées."

Le groupe n'a pas souhaité faire de commentaires supplémentaires.

Reuters n'a pas été en mesure de déterminer qui pilotait l'enquête, qui a démarré fin mai selon une source proche du dossier.

Hari Nada ne précise pas dans son courrier comment il a appris qu'Ashwani Gupta était surveillé. Reuters n'a pas été en mesure de confirmer de manière indépendante que cette surveillance a eu lieu.

ACCUSATIONS DE HARCÈLEMENT

Selon la législation japonaise, une entreprise peut surveiller les communications sur les téléphones et les ordinateurs professionnels et enquêter sur la conduite d'un employé en dehors du temps de travail pour protéger ses intérêts commerciaux, explique Akira Takeuchi, avocat et examinateur agréé en matière de fraude à Tokyo.

"Dans d'autres cas, les actions en dehors de l'entreprise peuvent être considérées comme privées et une enquête à ce sujet pourrait être jugée excessive", a-t-il déclaré, soulignant qu'il parlait de manière générale et non de Nissan.

Ashwani Gupta et Hari Nada n'ont pas répondu aux demandes de commentaires, tandis qu'aucun commentaire n'a pu être obtenu auprès de Makoto Uchida, des administrateurs du groupe et d'autres destinataires de la lettre, Nissan n'ayant pas donné suite à une demande en ce sens.

Hari Nada a également envoyé sa lettre au Directeur des ressources humaines, au responsable des Affaires juridiques et au patron de la propriété intellectuelle de Nissan.

Nissan a annoncé le 12 mai qu'Ashwani Gupta, 52 ans, ne serait pas renouvelé au conseil d'administration à l'expiration de son mandat le 27 juin. Le 16 juin, le groupe japonais a ajouté qu'il avait choisi de quitter Nissan pour saisir d'autres opportunités.

Dans sa lettre, Hari Nada indique que Nissan s'est penché sur les accusations concernant le comportement d'Ashwani Gupta au cours de la semaine du 10 avril et qu'il lui a été demandé de démissionner. Il indique avoir compris qu'une enquête avait été menée par le cabinet juridique japonais Anderson Mori & Tomotsune sur les allégations contre Ashwani Gupta.

Trois sources directement au fait du dossier ont dit que l'enquête portait sur des accusations de harcèlement sexuel contre Ashwani Gupta faites par une femme salariée.

Les accusations ont été faites en mars et l'enquête n'était pas terminée au moment de l'annonce de la démission d'Ashwani Gupta, a déclaré une source.

Anderson Mori & Tomotsune a refusé de commenter.

NISSAN DIVISÉ

Les détails de la lettre de Hari Nada montrent que cinq ans après la disgrâce de l'ancien PDG de Renault et Nissan, Carlos Ghosn, le constructeur japonais reste divisé sur les liens avec son partenaire français.

Après de longs mois de pourparlers denses, Renault et Nissan ont trouvé un accord en janvier pour réorganiser leur alliance pour les 15 prochaines années, avec un rééquilibrage des participations et un fonctionnement plus libre, projet par projet.

Les deux partenaires projetaient de faire approuver les accords définitifs par leurs conseils d'administration respectifs d'ici le milieu de l'année mais cet objectif a été repoussé à la fin de 2023, selon deux sources au courant des négociations.

D'après une source au fait de la position de Renault, la direction du groupe au losange estimait qu'Ashwani Gupta freinait la finalisation des accords avec Nissan, dont les principes avaient pourtant été validés par les conseils d'administration des deux groupes et détaillés publiquement le 6 février dernier à Londres.

Un porte-parole de Renault n'a pas souhaité faire de commentaires.

Dans sa lettre d'avril, Hari Nada estime que Makoto Uchida a outrepassé ses fonctions en offrant à Renault des concessions et des promesses à travers ce qu'il appelle "des arrangements de coulisses" avec son homologue Luca de Meo, notamment sur la propriété intellectuelle pour laquelle il donne deux exemples.

Luca de Meo a refusé de faire un commentaire, a dit Renault.

"ANTI-RENAULT"

Hari Nada reproche aussi au directeur général de Nissan l'engagement d'investir jusqu'à 15% dans Ampère sans avoir démontré l'intérêt stratégique de l'opération pour le groupe japonais.

Reuters n'a pas été en mesure de déterminer si les administrateurs avaient donné suite à la demande de revue formulée par Hari Nada.

C'est la deuxième fois que ce haut conseiller s'oppose à un dirigeant de Nissan sur le sujet de la protection des intérêts du groupe dans le cadre de son partenariat avec Renault.

Avant son arrestation en 2018, Carlos Ghosn avait envisagé une fusion complète des deux groupes. L'ancien dirigeant, réfugié depuis au Liban après avoir fui le Japon, a dénoncé le procès intenté contre lui comme un coup d'Etat des dirigeants de Nissan, y compris de Hari Nada, opposés à la perspective d'un rapprochement plus poussé.

Hari Nada, qui a échappé aux poursuites dans le dossier Ghosn en échange de sa coopération avec les magistrats japonais en charge de l'accusation, avait expliqué à l'époque s'être ému de l'hypothèse étudiée par Carlos Ghosn d'une fusion complète entre Renault et Nissan.

Le haut conseiller est membre de deux comités de pilotage mis sur pied par Nissan après l'affaire Ghosn pour garantir un contrôle des agissements individuels au sein du management.

Dans sa lettre, il estime qu'un de ces comités tente actuellement de développer un argumentaire en faveur de l'investissement dans Ampère mais n'a pas été jusqu'ici en mesure d'apporter quelque chose de crédible.

Le départ brutal d'Ashwani Gupta pourrait servir d'avertissement à tous ceux au sein de Nissan qui seraient considérés comme moins accommodants ou anti-Renault, ajoute Hari Nada dans sa lettre. (Avec David Dolan à Tokyo et Gilles Guillaume à Paris, édité par Kate Entringer)