Le premier camp s'enthousiasme pour le positionnement unique du groupe hollandais dans le très en vogue secteur des semi-conducteurs. Véritable monopole technologique en la matière, ASML vend des équipements de lithographie à ultra-violets aux fabricants de puces et de circuits, réalisant au passage les meilleures marges du secteur.

Il a ainsi su mettre à profit le vieil adage — dans une ruée vers l'or, mieux vaut vendre les pelles et les pioches que creuser les trous — en multipliant ses ventes par quatre en dix ans.

Le camp d'en face ne pourra manquer de s'étouffer en observant que la moitié des livraisons d'ASML sont vers Taiwan, le quart vers la Corée du Sud, et 9% directement vers la Chine — pays au sujet duquel la Hollande s'est entièrement alignée sur la position américaine. On imagine sans peine les conséquences si la situation géopolitique devait dégénérer en Asie-Pacifique. 

Par ailleurs, ASML n'est pas épargné par le coup de froid qui traverse le secteur des semi-conducteurs dans son ensemble. Si les ventes et les marges du trimestre restent égales, c'est grâce aux commandes passées. Sur le premier trimestre de l'année 2023, lesdites commandes diminuent de 40%.

En conséquence, le carnet de commandes cesse de croître. Il demeure cependant remarquablement bien garni, à hauteur de $39 milliards, soit six années de chiffre d'affaires — une solide assurance-vie dans un secteur aussi cyclique. Mais il est permis de craindre que l'on soit arrivé à un tournant, même si les tendances séculaires restent porteuses. 

Il est vrai que les deux précédents exercices fiscaux furent exceptionnels, et par extension dangereux à extrapoler. Quant à l'opposition entre la Chine et les Etats-Unis, le pire est à craindre et l'expérience prouve que le pari de la rationalité ne paie pas toujours. 

Ceux qui le faisait dans le cas de la Russie, par exemple, en furent pour leurs frais. Les livres d'histoire regorgent de situations comparables, et rappellent à qui veut l'entendre que les raisons d'Etat transcendent volontiers les intérêts économiques lorsqu'elles sont heurtées dans leurs sensibilités les plus profondes.

ASML ralentit très fortement sur les rachats d'actions, divisés par cinq par rapport à l'an passé malgré des niveaux de valorisation comparables. Le groupe télégraphie ainsi un message très clair — celui de s'attendre à des lendemains difficiles.